BGer 9C_428/2007 |
BGer 9C_428/2007 vom 20.11.2007 |
Tribunale federale
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{T 0/2}
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9C_428/2007
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Arrêt du 20 novembre 2007
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IIe Cour de droit social
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Composition
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MM. les Juges U. Meyer, Président,
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Borella et Kernen.
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Greffière: Mme Moser-Szeless.
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Parties
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Office cantonal AI Genève, rue de Lyon 97, 1203 Genève,
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recourant,
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contre
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P.________, 1949,
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intimée, représentée par Maître Irène Buche, avocate, rue du Lac 12, 1207 Genève.
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Objet
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Assurance-invalidité,
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recours contre le jugement du Tribunal cantonal des assurances sociales de la République et canton de Genève du 24 mai 2007.
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Faits:
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A.
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P.________, née en 1949 et mère d'un enfant aujourd'hui majeur, travaillait à temps partiel (10 heures par semaine) comme photographe à l'entreprise X.________. Atteinte d'un trouble affectif bipolaire (avec personnalité histrionique), elle a présenté une demande de prestations de l'assurance-invalidité le 29 octobre 2002.
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Après avoir recueilli différents avis médicaux et effectué une enquête économique sur le ménage auprès de l'assurée (le 4 janvier 2005), l'Office cantonal genevois de l'assurance-invalidité (ci-après: l'office AI) a évalué le taux d'invalidité en appliquant la méthode mixte d'évaluation (incapacité de 73 % dans l'activité lucrative prise en compte pour 75 % [invalidité de 55 %]; empêchement de 3,5 % dans les travaux habituels pris en compte pour 25 % [invalidité de 1 %]) et l'a fixé à 56 %. Se fondant sur ce résultat, il a alloué à P.________ une demi-rente d'invalidité à partir du 1er avril 2005 (décision du 22 avril 2005), puis du 1er mai 2002 au 31 mars 2005 (décision du 11 mai 2005). A la suite de l'opposition de l'assurée contre la décision du 22 avril 2005, il a confirmé sa position le 22 août 2006.
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B.
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Statuant le 24 mai 2007 sur le recours formé par P.________ contre la décision sur opposition, le Tribunal cantonal des assurances sociales de la République et canton de Genève l'a admis. Annulant les décisions des 22 avril 2005 et 22 août 2006, il a condamné l'office AI à verser à l'assurée une rente entière d'invalidité dès le 1er mai 2002 (ch. 2 et 3 du dispositif). Il a par ailleurs renvoyé la cause à l'office AI afin qu'il calcule la rente d'invalidité de P.________ et statue sur le droit à la rente complémentaire en faveur de son fils (ch. 4 du dispositif). Enfin, il a condamné l'office AI à payer à l'assurée la somme de 1000 fr. au titre de participation à ses frais et dépens et mis un émolument de 200 fr. à la charge de l'administration (ch. 5 et 6 du dispositif).
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C.
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L'office AI interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement, dont il demande l'annulation. Il conclut à la confirmation de ses décisions des 22 avril 2005 et 22 août 2006 et à la constatation que "l'émolument fixé à 200 fr. à sa charge est contraire au droit fédéral".
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P.________ conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des assurances sociales en propose l'admission.
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Considérant en droit:
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1.
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Le recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) peut être formé pour violation du droit selon l'art. 95 sv. LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est donc limité ni par les arguments soulevés dans le recours ni par la motivation retenue par l'autorité précédente; il peut admettre un recours pour un autre motif que ceux qui ont été invoqués et il peut rejeter un recours en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité précédente (cf. ATF 130 III 136 consid. 1.4 p. 140).
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Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF) et peut rectifier ou compléter d'office les constatations de celle-ci si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).
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2.
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Le dispositif du jugement entrepris a pour objet l'annulation des décisions des 22 avril 2005 et 22 août 2006, la reconnaissance du droit de l'intimée à une rente entière d'invalidité, le renvoi du dossier au recourant pour qu'il calcule celle-ci et statue sur le droit à la rente complémentaire en faveur du fils de l'intimée, ainsi que la répartition des frais de justice mis à la charge du recourant (de même que l'indemnité à titre de participation aux honoraires en faveur de l'intimée). En tant qu'il renvoie le dossier à l'administration pour une nouvelle décision, le jugement entrepris doit être qualifié de décision incidente qui peut être attaquée aux conditions de l'art. 93 LTF.
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Fixant à 75 % (de mai 2002 à avril 2004), puis à 80 % dès le 1er mai 2004, l'incapacité de gain présentée par l'intimée en application de la méthode de la comparaison des revenus, la juridiction cantonale a reconnu le droit de l'assurée à une rente entière d'invalidité. Elle a par ailleurs renvoyé la cause au recourant pour qu'il calcule la rente d'invalidité et se prononce sur le droit à une rente complémentaire pour enfant. Il s'agit donc d'un arrêt de renvoi qui ne laisse aucune latitude de jugement à l'administration (notamment en ce qui concerne l'application de la méthode de la comparaison des revenus et le taux d'invalidité), de sorte que le recourant est tenu de rendre une décision qui, selon lui, est contraire au droit fédéral. En cela, il subit un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière sur son recours (cf. ATF 9C_15/2007 du 25 juillet 2007, consid. 5.2 et les arrêts cités; voir aussi ATF I 126/07 du 6 août 2007, consid. 1.2).
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3.
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Le jugement entrepris expose correctement les règles légales et la jurisprudence pertinente sur la notion d'invalidité, le droit à la rente d'invalidité et son étendue, ainsi que sur les différentes méthodes d'évaluation de l'invalidité (méthode de la comparaison des revenus [cf. ATF 130 V 343 consid. 3.4 p. 348], méthode spécifique [cf. ATF 130 V 97 consid. 3.3.1 p. 99] et méthode mixte [cf. ATF 130 V 393, 125 V 146]) et les conditions conduisant à l'application de l'une ou de l'autre d'entre elles. Il suffit d'y renvoyer.
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4.
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Le litige porte tout d'abord sur le choix de la méthode d'évaluation de l'invalidité, singulièrement sur la mesure dans laquelle l'intimée exercerait une activité lucrative sans atteinte à la santé. Tandis que la juridiction cantonale a suivi l'argumentation de l'intimée en retenant qu'elle aurait travaillé à plein temps et, partant, appliqué la méthode de la comparaison des revenus, le recourant soutient que P.________ n'aurait exercé qu'une activité partielle à 75 %, ce qui impliquait le recours à la méthode mixte d'évaluation.
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4.1 Le point de savoir à quel taux d'activité la personne assurée travaillerait sans atteinte à la santé est une question de fait, dans la mesure où il s'agit d'une appréciation concrète des circonstances et non pas de l'application de conséquences générales tirées exclusivement de l'expérience générale de la vie. Les constatations y relatives de la juridiction cantonale lient donc le Tribunal fédéral, pour autant qu'elles ne soient ni manifestement inexactes, ni ne reposent sur une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 97 al. 1 et art. 105 al. 1 et 2 LTF; ATF I 126/07 du 6 août 2007, consid. 3.2, arrêts 9C_301/2007 du 18 septembre 2007 consid. 3.1 et I 693/06 du 20 décembre 2006, consid. 4.1; cf. aussi ATF 132 V 393 consid. 3.3 p. 399). La violation du droit peut consister en un état de fait incomplet, car l'autorité précédente viole le droit matériel en n'établissant pas tous les faits pertinents pour l'application de celui-ci (Alain Wurzburger, Présentation générale et système des recours, in: La nouvelle loi sur le Tribunal fédéral, Lausanne 2007, p. 20 sv.). L'appréciation des preuves est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, en contradiction avec le dossier ou contraire au sens de la justice et de l'équité ou encore lorsque le juge a méconnu des preuves pertinentes ou s'est fondé exclusivement sur une partie des moyens de preuve (ATF 120 Ia 31 consid. 4b p. 40, 118 Ia 28 consid. 1b p. 30).
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4.2
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4.2.1 L'autorité cantonale de recours a constaté que la recourante, photographe de formation, avait travaillé à plein temps de 1969 à 1980, puis à temps partiel de 1981 jusqu'au mois de mai 2001, date à laquelle elle s'était séparée de son compagnon. Elle a considéré que l'intimée aurait dû, si elle avait été en bonne santé, travailler à plein temps à partir de sa séparation pour des raisons financières. Depuis ce moment-là, l'intimée n'avait pas été en mesure d'assumer seule ses charges, au point qu'elle avait dû se faire assister par l'Hospice général. En effet, elle s'était alors retrouvée du jour au lendemain à devoir assumer seule tous ses frais et contribuer à l'entretien de son fils qui poursuivait son apprentissage et n'était pas encore indépendant financièrement. Elle avait en outre dû faire face à de nombreuses dépenses en raison de son déménagement, son ex-compagnon ayant contracté un emprunt pour qu'elle puisse acheter des meubles, tandis qu'il payait son assurance complémentaire et soutenait financièrement leur fils. De ces éléments, les premiers juges ont déduit que l'intimée devait être considérée, selon le degré de vraisemblance prépondérante, comme une personne active à plein temps.
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4.2.2 Le recourant soutient au contraire que l'assurée, eût-elle été en bonne santé, aurait travaillé à temps partiel à raison de 75 %, taux qu'elle avait indiqué à deux reprises au cours de la procédure administrative: une première fois le 1er juillet 2004, lorsqu'elle avait rempli le questionnaire servant à déterminer le statut d'assuré et répondu qu'en bonne santé elle aurait exercé son activité de photographe à 75 % pour des raisons financières, depuis 2001; une seconde fois, le 4 janvier 2005, lorsqu'elle avait confirmé oralement ses propos lors de l'enquête économique effectuée par l'office AI à son domicile. Le recourant rappelle que c'est au moment de s'opposer à la décision d'octroi d'une demi-rente que l'intimée s'était écartée de ses déclarations initiales pour alléguer qu'elle aurait travaillé à plein temps sans atteinte à la santé. Il fait valoir, en substance, que celles-ci auraient dès lors dû être retenues en vertu de la jurisprudence selon laquelle lorsque les déclarations successives de l'intéressé sont contradictoires, il convient de retenir la première affirmation qui correspond généralement à celle que l'assuré a faite alors qu'il n'était pas encore conscient des conséquences juridiques qu'elle aurait.
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4.3
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4.3.1 La réponse apportée à la question de savoir à quel taux d'activité la personne assurée travaillerait sans atteinte à la santé dépend de l'ensemble des circonstances personnelles, familiales, sociales, financières et professionnelles (ATF 130 V 393 consid. 3.3 p. 396 et les arrêts cités). Cette évaluation doit également prendre en considération la volonté hypothétique de l'assuré qui en tant que fait interne ne peut faire l'objet d'une administration directe de la preuve et doit en règle générale être déduite d'indices extérieurs (arrêt I 693/06 du 20 décembre 2006, consid. 4.1).
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Pour admettre que l'intimée aurait exercé une activité lucrative à plein temps si elle n'avait pas subi une atteinte à la santé, les premiers juges se sont fondés essentiellement sur la modification de la situation économique de l'assurée après la séparation de son compagnon en mai 2001. Ils n'ont en revanche pas tenu compte des déclarations qu'avait faites l'intimée sur son taux d'occupation en procédure administrative, ni, partant, discuté des contradictions entre la réponse donnée à l'office AI, puis à l'enquêtrice (les 1er juillet 2004 et 4 janvier 2005 [75 %]) et l'argumentation développée à l'occasion de son opposition [100 %], puis du recours cantonal. Ces déclarations constituaient toutefois un moyen de preuve pertinent pour déduire la volonté hypothétique de l'assurée. Ce moyen aurait dû être pris en compte par la juridiction cantonale sous peine de tomber dans l'arbitraire pour autant qu'il fût propre à faire apparaître le résultat de l'appréciation des preuves à laquelle elle a procédé comme insoutenable ou en contradiction avec le dossier (supra consid. 4.1).
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4.3.2 En l'espèce, il n'apparaît pas au vu des pièces du dossier que la situation financière de l'assurée se soit modifiée entre le moment où elle a indiqué au recourant (questionnaire daté du 1er juillet 2004) puis déclaré à l'enquêtrice (rapport d'enquête du 4 janvier 2005) qu'elle aurait exercé une activité à 75 % sans la survenance de son atteinte à la santé et celui où elle s'est opposée à la décision initiale en affirmant qu'elle aurait travaillé à 100 %. Ainsi, l'intimée mentionnait-elle à la collaboratrice de l'office AI qu'elle s'était retrouvée depuis mai 2001 à devoir assumer seule ses besoins et avait dû demander l'assistance de l'Hospice général. Elle n'a au demeurant pas allégué ni cherché à établir par la suite en cours de procédure que les revenus tirés d'une activité exercée à 75 % ne lui auraient pas suffi pour couvrir ses besoins.
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En l'absence d'éléments susceptibles d'expliquer de manière convaincante pour quelles raisons l'intimée avait modifié ses premières déclarations en cours de procédure d'opposition, il n'y avait pas de motif de s'écarter du principe selon lequel, en présence de deux versions différentes et contradictoires d'un fait - en l'occurrence hypothétique -, la préférence doit être accordée à celle que l'assurée avait donnée alors qu'elle en ignorait peut-être les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être, consciemment ou non, le fruit de réflexions ultérieures (ATF 121 V 45 consid. 2a p. 47; VSI 2000 p. 199 consid. 2d p. 201 [I 321/98]). A cet égard, les raisons alléguées par l'intimée dans son mémoire de réponse pour expliquer ses déclarations contradictoires ne sont pas convaincantes. Le fait d'avoir rempli une partie du questionnaire qui ne la concernait pas, selon elle, n'enlève rien à la clarté de sa réponse à la question du taux d'activité sans atteinte à la santé. Elle a par ailleurs confirmé ultérieurement cette réponse à l'enquêtrice, dont le rapport est, quoi qu'elle en dise, un élément de preuve déterminant. Contrairement à ce que prétend l'intimée, ce rapport ne se limite pas aux seules questions sur les activités de la vie quotidienne, mais comprend également ses déclarations - dont elle n'a du reste jamais contesté la teneur - sur son activité professionnelle hypothétique et effective. Enfin, l'application de la jurisprudence citée ne se limite pas aux situations dans lesquelles l'intéressé souffrirait d'une atteinte somatique et non pas psychique.
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4.3.3 Il résulte de ce qui précède que l'appréciation des preuves à laquelle a procédé la juridiction cantonale est arbitraire, en ce qu'elle a méconnu un moyen de preuve pertinent qui aurait dû la conduire à conclure que P.________ aurait travaillé à 75 % sans atteinte à la santé.
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En conséquence, l'invalidité de l'intimée aurait dû être évaluée au moyen de la méthode mixte applicable aux personnes qui exercent une activité à temps partiel (art. 28 al. 2ter LAI). Il convient dès lors d'annuler le jugement entrepris et de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu'elle procède à une telle évaluation et rende un nouveau jugement.
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5.
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Compte tenu de l'annulation du jugement entrepris, la conclusion du recourant tendant à l'annulation de la condamnation au paiement d'un émolument de justice de 200 fr. (ch. 6 du dispositif) n'a plus d'objet. On précisera toutefois que son argumentation selon laquelle les frais de justice prévus par l'art. 69bis al. 2 LAI (recte 69 al. 1bis LAI) ne pourraient être mis à la charge que de la partie recourante est manifestement mal fondée.
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Entré en vigueur le 1er juillet 2006, l'art. 69 al. 1bis LAI prévoit une dérogation à l'art. 61 let. a LPGA selon lequel la procédure devant le tribunal cantonal des assurances doit être, notamment, "gratuite pour les parties". Aux termes de la nouvelle disposition de la LAI, la procédure de recours en matière de contestations portant sur l'octroi ou le refus de prestations de l'AI devant le tribunal cantonal des assurances est soumise à des frais de justice. Le montant des frais est fixé en fonction de la charge liée à la procédure, indépendamment de la valeur litigieuse, et doit se situer entre 200 et 1000 francs. En tant qu'il déroge au principe de la gratuité de la procédure de recours pour les parties, l'art. 69 al. 1bis LAI impose l'obligation de supporter des frais de justice aux parties (et non exclusivement à la partie recourante). Le caractère onéreux de la procédure cantonale s'applique donc à toutes les parties à celle-ci, la répartition des frais de justice suivant le principe selon lequel ceux-ci doivent en règle générale être mis à la charge de la partie qui succombe, quel que soit son rôle - recourant ou intimé - dans la procédure.
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6.
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Compte tenu de l'issue du litige, les frais de justice doivent être supportés par l'intimée qui succombe (art. 66 al. 1 première phrase LTF en relation avec l'art. 65 al. 4 let. a LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est admis en ce sens que le jugement du Tribunal cantonal des assurances sociales de la République et canton de Genève du 24 mai 2007 est annulé et la cause lui est renvoyée pour qu'il procède au sens des considérants. Le recours est rejeté pour le surplus.
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2.
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Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimée.
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3.
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Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des assurances sociales de la République et canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances sociales.
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Lucerne, le 20 novembre 2007
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Au nom de la IIe Cour de droit social
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président: La Greffière:
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Meyer Moser-Szeless
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