BGer 1B_140/2007 |
BGer 1B_140/2007 vom 27.11.2007 |
Tribunale federale
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{T 0/2}
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1B_140/2007
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Arrêt du 27 novembre 2007
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Ire Cour de droit public
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Composition
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MM. les Juges Féraud, Président,
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Reeb et Eusebio.
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Greffier: M. Jomini.
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Parties
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EMS A.________, société coopérative,
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recourante, représentée par Me Pierre-Alain Schmidt et Me Vivian Kühnlein, avocats,
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contre
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B.________,
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intimée, représentée par Me Joël Crettaz, avocat,
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Procureur général du canton de Vaud,
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rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
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Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal 8, 1014 Lausanne.
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Objet
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procédure pénale, séquestre,
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recours contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 30 avril 2007.
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Faits:
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A.
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Le Juge d'instruction de l'arrondissement de La Côte, dans le canton de Vaud, instruit une enquête contre B.________, pour escroquerie, subsidiairement abus de confiance ou gestion déloyale et faux dans les titres (enquête PE06.025092). L'intéressée est mise en cause pour avoir détourné plusieurs centaines de milliers de francs au préjudice de l'établissement médico-social (EMS) qu'elle dirigeait jusqu'en 2006. La société coopérative exploitant cet établissement, l'EMS A.______, a déposé plainte pénale et s'est constituée partie civile.
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B.
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Le 16 février 2007, le Juge d'instruction a rendu une ordonnance par laquelle il a refusé de séquestrer des immeubles appartenant aux enfants de B.________ (parcelle nos xxx, yyy et zzz du registre foncier, à Commugny, propriétés de C.________ pour la première, et de D.________ pour les deux autres).
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L'EMS A.________ a recouru le 26 février 2007 contre cette ordonnance auprès du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud. B.________ a adressé sa réponse au Tribunal d'accusation le 16 mars 2007, en annexant à son mémoire les actes authentiques (donations) en vertu desquels C.________ et D.________ étaient devenus propriétaires des immeubles précités. Le mémoire de réponse, sans les annexes, a été communiqué à l'EMS A.________ pour information le 19 mars 2007.
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Le Tribunal d'accusation a statué sur le recours dans sa séance du 30 avril 2007. Il l'a rejeté, en confirmant l'ordonnance du Juge d'instruction. L'arrêt a été envoyé aux parties le 11 juin 2007.
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C.
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Agissant par la voie du recours en matière pénale (art. 78 ss LTF), subsidiairement par celle du recours constitutionnel (art. 113 ss LTF), l'EMS A.________ demande au Tribunal fédéral de modifier l'arrêt attaqué en ce sens que les parcelles nos xxx, yyy et zzz du registre foncier de la commune de Commugny sont placées sous séquestre. La recourante se plaint d'une violation du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) et d'une application arbitraire (art. 9 Cst.) du droit cantonal de procédure pénale ainsi que des dispositions du code pénal relatives au séquestre (art. 71 CP, en relation avec l'art. 70 CP).
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Le Tribunal d'accusation a produit le dossier cantonal. Il n'a pas été ordonné d'échange d'écritures.
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Considérant en droit:
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1.
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L'arrêt du Tribunal d'accusation est une décision en matière pénale au sens de l'art. 78 al. 1 LTF. La voie du recours en matière pénale est ouverte et les griefs soulevés peuvent en principe être traités dans ce cadre. La voie du recours constitutionnel subsidiaire n'entre donc pas en considération (art. 113 al. 1 LTF). Cela étant, vu le sort à réserver aux griefs sur le fond, il n'y a pas lieu d'examiner plus avant la recevabilité du recours, notamment au regard des art. 81 al. 1 et 93 al. 1 LTF.
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2.
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La recourante se plaint d'une violation du droit d'être entendu, garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., parce que le Tribunal d'accusation s'est fondé sur des preuves littérales produites par l'intimée dans le délai de réponse (deux actes de donation), qui ne lui ont été communiquées qu'après la notification de l'arrêt attaqué. La recourante fait valoir qu'elle n'a pas eu la possibilité de se déterminer sur le contenu de ces pièces devant l'autorité cantonale.
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La recourante ne conteste pas avoir reçu une copie du mémoire de réponse de l'intimée. Le Tribunal d'accusation lui a communiqué cette écriture dès qu'il l'a reçue, et plusieurs semaines se sont écoulées jusqu'à la séance de jugement. Ce mémoire de réponse faisait expressément référence, dans son argumentation, aux pièces annexées. La recourante avait ainsi la possibilité de demander au Tribunal d'accusation l'autorisation de consulter ces pièces. Elle pouvait également requérir la fixation d'un délai pour des déterminations écrites. Or elle n'a présenté aucune requête dans ce sens immédiatement après qu'elle a eu connaissance du mémoire de réponse. Le Tribunal d'accusation a organisé l'instruction de la cause de manière à ce que la recourante puisse exercer son droit d'être entendue moyennant une réaction rapide de sa part en vue d'une consultation du dossier et du dépôt de déterminations écrites, conformément à ce que prévoit la jurisprudence (ATF 133 I 98 consid. 2.2 p. 99, 100 consid. 4.8 p. 105; 132 I 42 consid. 3.3.4 p. 47). Le grief de violation de l'art. 29 al. 2 Cst. est donc mal fondé.
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3.
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Toujours à propos de la prise en considération par le Tribunal d'accusation des pièces annexées au mémoire de réponse de l'intimée, la recourante se plaint d'une application arbitraire de l'art. 306 du code de procédure pénale (CPP/VD). Selon elle, cette disposition imposerait au Tribunal d'accusation de statuer en l'état du dossier au moment de la décision entreprise (en l'occurrence l'ordonnance du Juge d'instruction).
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L'art. 306 al. 1 CPP/VD dispose que "le tribunal d'accusation examine librement les questions de fait et de droit, sans être limité ni par les moyens ni par les conclusions des parties" (les al. 2 à 4 de cette disposition ne concernent pas le pouvoir d'examen dans un cas de séquestre). Le texte, clair, de cette norme n'interdit pas la production de nouvelles preuves par les parties. Le Tribunal d'accusation, en prenant en considération un moyen de la partie adverse, se fondant sur des preuves produites par elle, n'a pas appliqué de manière manifestement insoutenable l'art. 306 CPP/VD. Le grief d'arbitraire (art. 9 Cst.; cf. notamment ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 17) est à l'évidence mal fondé. Au reste, telle qu'elle est formulée, cette critique de la recourante se confond dans une large mesure avec son grief de violation du droit d'être entendu, également mal fondé (cf. supra, consid. 2).
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4.
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La recourante se plaint enfin d'une application arbitraire des dispositions du code pénal en matière de séquestre (art. 70 et 71 CP). Elle critique le refus du Tribunal d'accusation d'ordonner le séquestre d'immeubles appartenant aux deux enfants de l'intimée au motif que ces derniers les auraient acquis de bonne foi par pacte successoral, en fournissant des contre-prestations adéquates.
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4.1 Le Tribunal d'accusation s'est fondé à la fois sur le droit cantonal de procédure pénale - l'art. 223 al. 1 CPP/VD qui dispose que "le juge a le droit de séquestrer tout ce qui peut avoir servi ou avoir été destiné à commettre l'infraction, tout ce qui paraît en avoir été le produit [...]" - et sur l'art. 71 CP. Cette dernière norme règle la créance compensatrice de l'Etat (lorsque les valeurs patrimoniales à confisquer ne sont plus disponibles - art. 71 al. 1 CP) et la première phrase de son troisième alinéa est ainsi libellée: "L'autorité d'instruction peut placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice, des valeurs patrimoniales appartenant à la personne concernée".
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4.2 La créance compensatrice est en règle générale ordonnée à l'encontre de l'auteur de l'infraction. L'art. 71 al. 1 CP permet cependant de prononcer une créance compensatrice contre un tiers, mais seulement "dans la mesure où les conditions prévues à l'art. 70, al. 2, ne sont pas réalisées". L'art. 70 al. 2 CP, qui se rapporte d'abord à la "confiscation des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction ou qui étaient destinées à décider ou à récompenser l'auteur d'une infraction" (cf. art. 70 al. 1 CP), a la teneur suivante: "La confiscation n'est pas prononcée lorsqu'un tiers a acquis les valeurs dans l'ignorance des faits qui l'auraient justifiée, et cela dans la mesure où il a fourni une contre-prestation adéquate ou si la confiscation se révèle d'une rigueur excessive".
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En l'espèce, le Tribunal d'accusation a considéré que seul serait envisageable un séquestre en vue de l'exécution d'une créance compensatrice (art. 71 CP), les valeurs patrimoniales détournées par l'intimée n'étant plus disponibles. Par ailleurs, les immeubles litigieux ont été acquis par les enfants de l'intimée en 2004, avant la découverte des faits qui lui sont reprochés, et ces acquisitions ont été faites de bonne foi, par pacte successoral. En d'autres termes, les immeubles litigieux ne pourraient pas être séquestrés en vue d'une confiscation selon l'art. 70 CP. La recourante ne conteste pas ces considérations du Tribunal d'accusation. Elle se place donc, comme l'autorité cantonale, exclusivement dans l'hypothèse d'un séquestre conservatoire selon l'art. 71 al. 3 CP, pour garantir l'exécution d'une créance compensatrice.
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4.3 L'art. 223 al. 1 CPP/VD ne réglant pas expressément cette hypothèse, il convient d'examiner si le Tribunal d'accusation a interprété correctement l'art. 71 al. 3 CP en refusant d'ordonner le séquestre d'immeubles acquis en propriété par les deux enfants de l'intimée. La recourante discute avant tout du caractère adéquat des contre-prestations fournies par ces derniers lors de l'acquisition en 2004, en se référant à l'art. 70 al. 2 CP (par renvoi de l'art. 71 al. 1 CP). Or la première question à examiner, lorsqu'un séquestre est requis ou ordonné sur la base de l'art. 71 al. 3 CP, est celle de savoir si les biens visés appartiennent à la "personne concernée". Le séquestre pourrait par exemple être ordonné sur des biens d'une société, en tant que "personne concernée", dans un cas où il conviendrait de faire abstraction de la distinction entre l'actionnaire, inculpé, et la société qu'il détient (cf. à ce propos l'arrêt non publié 1B_160/2007 du 1er novembre 2007, consid. 2.4). L'hypothèse de la remise, par l'auteur de l'infraction, de biens à un tiers contre lequel il conserverait une créance peut également être mentionnée (cf. Niklaus Schmid, Einziehung - Organisiertes Verbrechen - Geldwäscherei, vol. I, 2e éd., Zurich 2007, n. 173 p. 207). Cependant, en l'espèce, de telles circonstances particulières ne sont pas alléguées par la recourante. On ne voit pas de motifs imposant, à ce stade de la procédure pénale, au Juge d'instruction et au Tribunal d'accusation de considérer les enfants de la recourante comme des "personnes concernées" dont les immeubles devraient être séquestrés. Le séquestre étant une mesure provisionnelle, le Tribunal fédéral ne peut sanctionner que l'arbitraire dans l'application de l'art. 71 al. 3 CP et des règles du droit cantonal (art. 98 LTF). En l'espèce, il apparaît clairement que le refus du séquestre n'est pas manifestement insoutenable. Le grief de violation de l'art. 9 Cst. est donc mal fondé.
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5.
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Le recours doit donc être rejeté, dans la mesure où il est recevable. La recourante, qui succombe, doit supporter les frais judiciaires (art. 65 al. 1 et 66 al. 1 LTF). Comme l'intimée n'a pas été invitée à se déterminer, il n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art. 68 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
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2.
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Les frais judiciaires, arrêtés à 1'500 fr., sont mis à la charge de la recourante.
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3.
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Il n'est pas alloué de dépens.
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4.
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Le présent arrêt est communiqué aux mandataires de la recourante et de l'intimée, au Procureur général et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
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Lausanne, le 27 novembre 2007
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président: Le Greffier:
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Féraud Jomini
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