BGer 4A_415/2013
 
BGer 4A_415/2013 vom 20.01.2014
{T 0/2}
4A_415/2013
 
Arrêt du 20 janvier 2014
 
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les juges Klett, présidente, Kolly et Kiss.
Greffier: M. Thélin.
Participants à la procédure
X.________ LTD,
représentée par Me Lucio Amoruso,
demanderesse et recourante,
contre
Z.________ SA,
représentée par Me Henri-Philippe Sambuc,
défenderesse et intimée.
Objet
procédure civile; cas clair
recours contre l'arrêt rendu le 28 juin 2013 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
 
Considérant en fait et en droit:
1. A teneur d'un contrat conclu le 16 mai 2006 entre X.________ LTD et Z.________ SA, respectivement à Montréal et à Genève, celle-là a promis de garantir le financement de celle-ci par une banque suisse, d'abord à concurrence de 500'000 euros, puis, dès mars 2007, à concurrence de 1'200'000 euros. Une commission lui était due en contrepartie. Ce contrat était soumis au droit suisse et il prévoyait un for judiciaire à Genève. Il fut exécuté par X.________ LTD puis renouvelé à plusieurs reprises. Celle-ci a finalement dû verser elle-même, en conséquence de sa garantie, un montant important que sa cocontractante n'avait pas remboursé à la banque.
2. Le 30 mars 2012, usant de la procédure sommaire prévue par l'art. 257 CPC pour les cas clairs, X.________ LTD a ouvert action contre Z.________ SA devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Selon les conclusions principales de sa demande, la défenderesse devait être condamnée à payer 1'169'347,60 euros avec intérêts au taux de 17,5 % par an dès le 23 juillet 2011.
La défenderesse a conclu au rejet de l'action. Elle faisait valoir que la demanderesse est une personne morale enregistrée au Canada et que son organisation n'est pas conforme au droit de cet Etat parce que son administratrice unique n'y est pas domiciliée. De plus, la demanderesse n'était pas autorisée à exercer une activité relevant des lois canadiennes sur « les sociétés de fiducie et de prêts en Suisse » et sur les placements collectifs. Selon l'argumentation présentée, ces irrégularités entraînaient la nullité du contrat conclu entre les parties.
Le tribunal s'est prononcé le 25 janvier 2013; il a accueilli l'action et condamné la défenderesse selon les conclusions principales de la demande.
3. La Chambre civile de la Cour de justice a statué le 28 juin 2013 sur l'appel de la défenderesse. Elle a accueilli l'appel et déclaré la demande irrecevable. Elle a retenu que la teneur du droit canadien n'est ni évidente ni reconnue par les parties, de sorte que la situation juridique n'est pas claire aux termes de l'art. 257 al. 1 let. b CPC.
4. Agissant par la voie du recours en matière civile, la demanderesse saisit le Tribunal fédéral de conclusions semblables à celles de sa demande initiale.
La défenderesse conclut principalement à l'irrecevabilité du recours et subsidiairement à son rejet.
5. Contrairement à l'opinion de la défenderesse, la décision attaquée est finale aux termes de l'art. 90 LTF car elle termine l'instance introduite devant la Cour de justice. Il est à cet égard sans importance que la demanderesse conserve la possibilité d'entreprendre un autre procès pour élever la même prétention.
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont par ailleurs satisfaites, notamment à raison de la valeur litigieuse. Il n'est pas nécessaire de vérifier si les conclusions subsidiaires de la demanderesse ont été valablement articulées devant la Cour de justice.
6. La procédure sommaire prévue par l'art. 257 CPC est une alternative aux procédures ordinaire ou simplifiée normalement disponibles, destinée à offrir à la partie demanderesse, dans les cas dits clairs, une voie particulièrement simple et rapide. Selon l'art. 257 al. 1 let. a et b CPC, cette voie suppose que l'état de fait ne soit pas litigieux ou qu'il soit susceptible d'être immédiatement prouvé (let. a), et que la situation juridique soit claire (let. b). Selon l'art. 257 al. 3 CPC, le juge n'entre pas en matière si l'une ou l'autre de ces hypothèses n'est pas vérifiée; en l'espèce, c'est ce qu'ont fait les juges d'appel.
Le cas n'est pas clair, et la procédure sommaire ne peut donc pas aboutir, lorsqu'en fait ou en droit, la partie défenderesse oppose à l'action des objections ou exceptions motivées sur lesquelles le juge n'est pas en mesure de statuer incontinent. L'échec de la procédure sommaire ne suppose pas que la partie défenderesse rende vraisemblable l'inexistence, l'inexigibilité ou l'extinction de la prétention élevée contre elle; il suffit que les moyens de cette partie soient aptes à entraîner le rejet de l'action, qu'ils n'apparaissent pas d'emblée inconsistants et qu'ils ne se prêtent pas à un examen en procédure sommaire (ATF 138 III 623 consid. 5).
7. Dans la présente contestation, la défenderesse soulève des objections qu'elle fonde exclusivement sur le droit d'un Etat étranger.
L'organisation de la demanderesse est censément irrégulière et il résulte de cette irrégularité, à bien comprendre l'argumentation présentée, que cette personne morale est inapte à exercer les droits civils par son organe statutaire. Une pareille restriction de la capacité civile n'a aucun équivalent en droit suisse car les art. 731b et 819 CO prévoient des solutions fondamentalement différentes en cas de carence dans l'organisation d'une société anonyme ou d'une société à responsabilité limitée. Cette restriction de la capacité civile est donc insolite. A supposer que ladite restriction soit avérée à l'issue d'une étude du droit canadien, la personne morale constituée selon ce droit ne pourrait en principe pas s'en prévaloir à l'encontre de sa cocontractante ayant son établissement en Suisse. En effet, celle-ci pourrait alors invoquer l'art. 158 LDIP; celui-ci correspond pour les personnes morales à l'art. 36 LDIP, lequel protège la sécurité des transactions dans lesquelles se trouve impliquée une personne physique incapable selon le droit étranger (Bernard Dutoit, Droit international privé suisse, 4e éd., 2005, nos 1 et 2 ad art. 158 LDIP; voir aussi Rolf Watter et Katja Roth Pellanda, in Commentaire bâlois, 3e éd., nos 4 et 6 ad art. 158 LDIP).
En l'occurrence, la restriction de la capacité civile n'est pas invoquée par la personne morale étrangère. C'est au contraire sa cocontractante en Suisse qui s'en prévaut, longtemps après la conclusion du contrat et aussi après que la prestation convenue lui a été fournie. Elle argue de cette restriction en vue d'échapper à sa propre obligation, laquelle est par ailleurs incontestée. Or, la défenderesse ne saurait pas faire obstacle à la procédure sommaire des cas clairs en soulevant n'importe quel moyen visiblement spécieux, mais néanmoins impossible à réfuter promptement et catégoriquement parce que le droit étranger n'est pas aisément accessible au juge suisse. Il faut prendre ici en considération que les personnes à l'étranger, en tant qu'elles entrent en relations d'affaires avec des personnes en Suisse, doivent elles aussi avoir accès à la procédure sommaire des cas clairs lorsque leur cause satisfait aux exigences légales; il ne convient pas que la partie recherchée puisse se soustraire à cette procédure en excipant artificieusement du droit étranger.
Par ailleurs, le contrat conclu le 16 mai 2006 est censément frappé de nullité par la législation canadienne sur la surveillance des marchés financiers et des placements collectifs. Ce moyen paraît lui aussi sujet à caution, compte tenu que la demanderesse s'est bornée à garantir un prêt consenti par une banque suisse. De toute manière, ledit contrat est soumis au droit suisse par une clause d'élection de droit. Sa validité, y compris celle de l'élection de droit en vertu de l'art. 116 al. 2 in fine LDIP, doit donc être examinée au regard du droit suisse. Le droit administratif étranger n'est en règle générale pas pris en considération au regard de l'art. 20 al. 1 CO, selon lequel un contrat est nul s'il a pour objet une chose illicite (ATF 80 II 53 consid. 3a p. 61).
Il s'ensuit que les moyens de défense fondés sur le droit canadien sont en l'espèce inconsistants et peuvent être rejetés en procédure sommaire, sans qu'il soit nécessaire d'étudier de manière approfondie ce droit étranger. La décision de la Cour de justice se révèle contraire à l'art. 257 al. 1 let. b CPC, ce qui conduit le Tribunal fédéral à réformer ce prononcé selon les conclusions principales de la demanderesse.
8. A titre de partie qui succombe, la défenderesse doit acquitter l'émolument à percevoir par le Tribunal fédéral et les dépens auxquels l'autre partie peut prétendre.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1. Le recours est admis et l'arrêt de la Cour de justice est réformé en ce sens que la défenderesse est condamnée à payer 1'169'347,60 euros avec intérêts au taux de 17,5 % par an dès le 23 juillet 2011.
2. La défenderesse acquittera un émolument judiciaire de 12'000 francs.
3. La défenderesse versera une indemnité de 14'000 fr. à la demanderesse, à titre de dépens.
4. La cause est renvoyée à la Cour de justice pour statuer à nouveau sur les frais et dépens de l'appel.
5. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 20 janvier 2014
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La présidente: Klett
Le greffier: Thélin