BGer 6B_870/2014
 
BGer 6B_870/2014 vom 01.10.2015
{T 0/2}
6B_870/2014
 
Arrêt du 1er octobre 2015
 
Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Denys, Président,
Jacquemoud-Rossari et Rüedi.
Greffier : M. Vallat.
Participants à la procédure
X.________,
représenté par Me Pierre Bayenet, avocat,
recourant,
contre
1.  Ministère public de la République
2.  Y.________,
intimés.
Objet
Calomnie ; arbitraire ; portée de l'arrêt de renvoi,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice
de la République et canton de Genève,
Chambre pénale d'appel et de révision, du 27 juin 2014.
 
Faits :
 
A.
A.a. Y.________ a engagé A.________ comme employée de maison au printemps 2003. Au début 2008, il a régularisé sa situation auprès de l'AVS/AI/APG/AC pour les années 2003 à 2007 puis réglé les cotisations courantes. Ensuite de la résiliation du contrat de travail par A.________, une demande a été déposée devant le Tribunal des Prud'hommes par le Syndicat Interprofessionnel des Travailleuses et Travailleurs, le 17 novembre 2008. En cours de procédure, le Syndicat Sans Frontières (SSF), représenté par X.________, a finalement assisté l'intéressée et déposé une amplification de sa demande, le 12 février 2009. Le 30 mai suivant, s'est tenue au domicile de X.________ une assemblée générale du SSF à laquelle ont participé trente-six personnes. X.________ y a pris la parole et traité Y.________ d' « exploiteur », « esclavagiste numéro 1 de Genève », « escroc » et « voleur ». Le lendemain, X.________ a fait parvenir au Tribunal des Prud'hommes le procès-verbal de cette assemblée, signé par ses soins, contenant les propos susmentionnés, accompagné d'un courrier précisant que le SSF avait été fondé pour protéger les esclaves travaillant en Suisse pour le corps diplomatique, cette même situation étant vécue par les travailleurs immigrés sans permis de séjour, « ce qu'a l'habitude d'exploiter Monsieur Y.________ ». Ce dernier a déposé plainte le 14 juillet 2009. Selon l'acte d'accusation, il était reproché à X.________ d'avoir, le 30 mai 2009, lors de l'assemblée du SSF regroupant plus d'une trentaine de personnes, calomnié Y.________ en le traitant d'« exploiteur », « esclavagiste numéro 1 de Genève », « escroc » et « voleur » (ch. I.1). Il lui était également imputé d'avoir tenu les mêmes propos dans le procès-verbal de ladite assemblée, document signé par lui-même et adressé le 31 mai 2009 au Tribunal des Prud'hommes de Genève (ch. I.2) et, enfin, d'avoir écrit un courrier audit tribunal contenant les propos suivants : « Le Syndicat sans Frontières a été fondé en 1990 par l'impérieuse nécessité de protéger les esclaves qui travaillent en Suisse pour le corps diplomatique puisque ce[tte] catégorie de travailleurs n'a jamais été défendu[e] par aucun syndicat suisse, et cette même situation était vécue par les travailleurs immigrés sans permis de séjour, ce qu'a l'habitude d'exploiter Monsieur Y.________ » (ch. I.3).
A.b. Par jugement du 17 octobre 2011, le Tribunal de police de Genève a reconnu X.________ coupable de calomnie et l'a condamné à 30 jours-amende à 30 fr. le jour, avec sursis pendant deux ans.
A.c. Saisie d'un appel du condamné, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice du canton de Genève a ordonné, le 3 février 2012, une procédure écrite et écarté les offres de preuves de X.________, auquel son chargé de pièces complémentaires a été retourné, faute de constituer des pièces nouvelles. Elle a rejeté l'appel, par arrêt du 8 août 2013.
A.d. Par arrêt du 14 février 2013, la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral a admis le recours en matière pénale formé par X.________ contre la décision de dernière instance cantonale, qu'elle a annulée. La cause a été renvoyée à la cour cantonale afin qu'elle procède conformément aux considérants de l'arrêt fédéral (arrêt 6B_498/2012 du 14 février 2013).
B. Statuant à nouveau le 27 juin 2014, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice a condamné X.________, avec suite de frais (2000 fr.), à 20 jours-amende à 10 fr. le jour ainsi qu'à verser à Y.________, au titre de l'indemnisation des dépenses occasionnées par la procédure, le montant de 9720 francs. Le jugement de première instance a été confirmé pour le surplus.
C. X.________ recourt en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement sur appel du 27 juin 2014. Il conclut, principalement, à sa réforme dans le sens de son acquittement, la cause étant renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les frais, dépens et indemnités. A titre subsidiaire, il demande, avec suite de frais et dépens, à être acquitté des accusations figurant au ch. I.3 de l'acte d'accusation et que s'agissant des termes " exploiteur " et " esclavagiste numéro 1 " (ch. I.1 de l'acte d'accusation), la cause soit renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants. Il requiert, par ailleurs, le bénéfice de l'assistance judiciaire.
 
Considérant en droit :
1. L'autorité de l'arrêt de renvoi, que prévoyait expressément l'art. 66 al. 1 aOJ, est un principe juridique qui demeure applicable sous la LTF (ATF 135 III 334 consid. 2 p. 335). L'autorité cantonale à laquelle la cause est renvoyée par le Tribunal fédéral est tenue de fonder sa nouvelle décision sur les considérants de droit de l'arrêt du Tribunal fédéral ; sa cognition est limitée par les motifs de l'arrêt de renvoi, en ce sens qu'elle est liée, outre ce qui a déjà été tranché définitivement par le Tribunal fédéral, par les constatations de fait qui n'ont pas été critiquées devant lui ou l'ont été sans succès (ATF 131 III 91 consid. 5.2 p. 94 ; 104 IV 276 consid. 3d p. 277 s. ; cf. aussi arrêt 6B_440/2013 du 27 août 2013 consid. 1.1). Saisi d'un recours contre une nouvelle décision cantonale faisant suite à un arrêt de renvoi, le Tribunal fédéral est lui-même lié par ce dernier (ATF 125 III 421 consid. 2a) quant aux points qui ont été tranchés définitivement (ATF 131 III 91 consid. 5.2 p. 94).
1.1. Il est constant que le recourant a été acquitté en première instance déjà en ce qui concerne l'utilisation du terme « exploiteur » (arrêt 6B_498/2012 du 14 février 2013 consid. 4 ; jugement du 17 octobre 2011 consid. 1.3.c ). Dans ce dernier arrêt, la cour de céans a aussi indiqué que le sens du texte en relation avec l'expression « l'esclavagiste numéro 1 de Genève » était moins clair et que ces termes devaient plutôt être appréhendés, dans ce contexte, comme un simple jugement de valeur (consid. 5.3.5). La cour cantonale ne s'est pas écartée de cette appréciation et en a conclu, en incluant la référence à l'esclavage dans le courrier du 31 mai 2009 adressé au Tribunal des Prud'hommes, que le jugement de première instance devait être confirmé sous réserve de ce qualificatif (arrêt entrepris, consid. 2.2 p. 14 s.). Il s'ensuit que seules demeurent litigieuses les atteintes à l'honneur résultant de l'utilisation des termes « voleur » et « escroc ».
1.2. S'agissant de ces termes, la cour cantonale a jugé que, dans leur acception ordinaire, ils constituaient des allégations méprisantes et attentatoires à l'honneur censées salir la personne visée. Ce n'étaient pas des jugements de valeur qui reposaient sur une réflexion de leur auteur, dût-elle déboucher sur l'expression d'une opinion peu flatteuse pour autrui. Les qualificatifs utilisés étaient suffisamment explicites pour être compris par une assemblée de militants syndicaux, même de langue maternelle étrangère. Les termes utilisés figuraient d'ailleurs dans le code pénal pour stigmatiser les individus dont les actes étaient susceptibles d'entraîner des sanctions pénales, ce qui était aisé à assimiler. Ces termes étaient d'autant plus enclins à rendre méprisable l'intimé qu'ils s'accompagnaient de l'évocation de diverses manoeuvres auxquelles ce dernier aurait eu recours pour faire taire l'appelant ou l'inciter à la prudence. Dans ce sens, ils étaient aussi blessants, car ils sous-tendaient l'idée erronée que l'intimé était prêt à tout pour continuer à exploiter à sa guise ses employé (e) s de maison.
1.3. Ce considérant de la cour cantonale est, sous réserve de l'ultime passage relatif à l'évocation de manoeuvres censées faire taire le recourant ou l'inviter à la prudence, quasi identique au considérant 2.2 de l'arrêt du 8 août 2012. On recherche en vain dans cette analyse la mise en évidence claire et précise de l'assertion de fait à laquelle serait liée l'utilisation des termes « voleur » et « escroc ».
1.4. Il s'agissait, ensuite, de rechercher si les allégations de fait liées aux qualificatifs « escroc » et « voleur » étaient fausses et si le recourant le savait.
1.4.1. Sur ce point, la cour cantonale a retenu que « l'appelant n'ignorait pas que les termes employés, en tant qu'ils visaient formellement l'intimé, ne correspondaient pas à la réalité formelle, mais il a voulu faire de lui un exemple des pires abus pourfendus par le Syndicat sans frontières. En tant que syndicaliste s'exprimant devant une assemblée de militants, il lui appartenait de ne pas en rajouter, en salissant encore plus la réputation d'un employeur honni, sauf circonstances particulières, ce qu'un homme rompu au contentieux avec des employeurs peu scrupuleux pouvait aisément comprendre. Son rôle ne consistait pas à épouser les thèses les plus extrêmes, ce d'autant que des témoignages discordants permettaient de se faire une idée moins noire des conditions de travail de l'employée de maison qui avait travaillé pour le compte de l'intimé (horaires, temps de vacances et de repos, etc.). L'appelant aurait aussi dû prendre en compte les années de travail à son service qui peuvent témoigner, même avec les réserves d'usage, de conditions que l'employée avait jugées supportables. »
1.4.2. Ces développements, sont partiellement axés sur l'aspect subjectif (" le recourant n'ignorait pas "). On comprend toutefois que la cour cantonale a jugé que les déclarations faites par A.________ au recourant étaient largement exagérées, voire fausses, cependant que la situation de cette employée aurait, en réalité, été supportable, ce que démontrerait, en particulier, la durée des rapports de travail et divers témoignages.
1.4.3. Sur le point précis du salaire, la décision entreprise constate uniquement que la rémunération de A.________ s'est chiffrée, à raison d'un salaire mensuel net, à 2000 fr. en 2004, 2200 fr. en 2005, 2200 fr. en 2006, 2500 fr. en 2007, puis 2600 fr. dès le mois de septembre 2007 et que l'employeur disait avoir traité avec égards cette employée qu'il avait logée dans une chambre de 20 m2 avec salle de bain et dont il avait, au début 2008, régularisé la situation auprès de l'AVS/AI/APG/AC pour les années 2003 à 2007, puis réglé les cotisations courantes.
1.4.4. Le recourant objecte que la constatation de cette rémunération serait arbitraire.
1.4.5. Les seuls éléments relatifs aux salaires versés ne permettent, au demeurant pas, à eux seuls, d'établir le caractère faux de l'affirmation que l'employeur ne se serait pas acquitté, dans une mesure importante, de l'entier des salaires dus dans ce cas. De surcroît, ces termes ne se rapportaient pas exclusivement au comportement de l'intimé envers son employée A.________, mais visaient, plus largement, son comportement envers ses employés (dont trois autres que A.________ étaient cités nommément) et non seulement l'aspect salarial, mais aussi le paiement de charges sociales. Aussi, quand bien même l'intimé avait, en 2008, régularisé rétroactivement la situation de A.________ envers les assurances sociales et quant à l'impôt à la source, et à supposer que cette employée ait bel et bien perçu un salaire conforme aux minima en vigueur au regard du droit cantonal, il ne serait pas encore démontré que l'allégation de fait liée aux qualificatifs « escroc » et « voleur » serait dénuée de tout fondement, en particulier dans les relations avec les trois autres employés cités. Il s'ensuit que la démonstration de la cour cantonale, fondée essentiellement sur le reproche adressé au recourant de s'être exclusivement fondé sur les déclarations de A.________ pour salir sans retenue la réputation de l'intimé ne suffit pas à démontrer que " les termes employés, en tant qu'ils visaient formellement l'intimé, ne correspondaient pas à la réalité formelle ".
1.4.6. On comprend certes aussi que, du point de vue de la cour cantonale, le fait de ne pas s'acquitter de l'intégralité de salaires dus et de charges sociales ou fiscales n'aurait pas pu justifier l'emploi des qualificatifs « escroc » ou « voleur », en raison du caractère excessif de ces termes dans ce contexte. Dans la perspective de la calomnie, des jugements de valeurs mixtes en particulier, seul est déterminant de savoir si le terme attentatoire à l'honneur entretient un rapport reconnaissable avec un fait. Or, comme l'a jugé la cour de céans dans l'arrêt 6B_498/2012, ce rapport existe manifestement, en l'espèce, avec les accusations relatives au paiement des salaires et des charges sociales. Il est vrai que les termes en question sont, sans aucun doute, excessifs et inutilement blessants. Cette situation ne laisse pas pour autant celui qui est atteint dans son honneur sans protection. Si le caractère faux du fait ne peut être établi, on ne peut exclure qu'en raison de leur caractère excessif les termes utilisés doivent aussi être appréhendés comme un jugement de valeur susceptible de constituer une injure (v. arrêt 6B_498/2012 consid. 5.3.8).
1.5. Il résulte de ce qui précède que la cour cantonale a méconnu la portée de l'arrêt de renvoi. Il convient d'annuler le jugement entrepris et de lui renvoyer la cause afin qu'elle rende une nouvelle décision. Cela rend, en l'état, sans objet les développements subsidiaires du recourant tendant à obtenir, avec suite de frais et dépens, tout au moins son acquittement formel partiel en relation avec l'utilisation des termes " exploiteur " et " esclavagiste ".
2. Le recourant obtient gain de cause. Il ne supporte pas de frais, une part de ceux-ci devant être mise à la charge de Y.________ (art. 65 al. 2 et 66 al. 1 et 4 LTF). Il peut prétendre des dépens à la charge des intimés (art. 68 al. 1 LTF). La demande d'assistance judiciaire est sans objet (art. 64 al. 1 LTF).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est admis. Le jugement entrepris est annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale afin qu'elle rende une nouvelle décision.
2. Une part des frais judiciaires, arrêtée à 2000 fr., est mise à la charge de l'intimé Y.________.
3. Y.________ versera en main du conseil de X.________ la somme de 1500 fr. à titre de dépens.
4. Le canton de Genève versera en main du conseil de X.________ la somme de 1500 fr. à titre de dépens.
5. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision.
Lausanne, le 1er octobre 2015
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Denys
Le Greffier : Vallat