BGer 1B_354/2015
 
BGer 1B_354/2015 vom 13.11.2015
{T 0/2}
1B_354/2015
 
Arrêt du 13 novembre 2015
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Karlen et Eusebio.
Greffière : Mme Kropf.
Participants à la procédure
A.________, représenté par
Me Grégoire Rey, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
Objet
Procédure pénale; refus de nomination d'avocat d'office,
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 8 septembre 2015.
 
Faits :
A. Lors de l'audience du Ministère public de la République et canton de Genève du 25 novembre 2014, A.________ a comparu, assisté de son mandataire, et a été mis en prévention d'instigation à escroquerie (art. 146 et 24 al. 1 CP), de dommages à la propriété (art. 144 al. 1 CP) - chef d'infraction cependant abandonné au cours de la séance - et d'inobservation par le failli des règles de la procédure pour dettes et faillite (art. 323 ch. 4 et 5 CP). Par ordonnance pénale du 18 mars 2015, le Procureur l'a reconnu coupable pour les deux chefs d'infraction retenus et l'a condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amende, à 50 fr. le jour-amende, ainsi qu'au paiement d'une amende de 2'000 francs, cette seconde peine étant assortie d'une peine privative de liberté de substitution au cas où l'amende ne serait pas payée. Le Procureur n'a pas révoqué les sursis accordés au recourant le 8 novembre 2011 (peine pécuniaire de 10 jours-amende à 30 fr. le jour-amende, avec sursis pendant 2 ans) et le 25 juin 2013 (peine pécuniaire de 40 jours-amende à 40 fr. le jour-amende, avec sursis pendant 2 ans), mais a prolongé d'un an les délais d'épreuve.
Par courrier de son conseil du 8 avril 2015, le prévenu a formé tardivement opposition et a requis la restitution du délai. Alléguant être dans le dénuement, il a également demandé l'assistance judiciaire, requête qui a été refusée par le Ministère public le 4 mai 2015; il a considéré que la cause était de peu de gravité et ne présentait pas des difficultés juridiques ou de faits particulières de sorte que le prévenu était à même de se défendre seul. Ce même jour, le Procureur a refusé la restitution du délai, décision contre laquelle A.________ a recouru (cause zzz).
B. Le 8 septembre 2015, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève a rejeté le recours intenté par le prévenu contre l'ordonnance du Ministère public relative à l'assistance judiciaire. Elle a tout d'abord relevé que le Procureur n'avait pas traité de l'indigence du prévenu, question qui pouvait d'ailleurs rester également indécise devant elle. Elle a ensuite considéré qu'au vu du stade de la procédure, la question de l'assistance judiciaire ne pouvait concerner que les actes en lien avec l'opposition déposée tardivement; en effet, la procédure devant le Ministère public était terminée et celle devant le Tribunal de police - à qui avait été adressé le dossier - ne deviendrait pertinente que si la requête de restitution était admise. La cour cantonale a alors constaté que la cause ne présentait pas de complexité s'agissant de la rédaction d'une opposition et d'une requête de restitution de délai. Elle n'a en revanche pas examiné si la cause était ou non de peu de gravité dès lors que le recours contre le refus de la restitution de délai avait été rejeté (arrêt du 8 septembre 2015 dans la cause zzz). Elle a enfin relevé qu'il importait dès lors peu que le coprévenu soit assisté, n'étant au demeurant pas allégué que celui-ci soit au bénéfice d'une défense d'office.
C. Par acte du 9 octobre 2015, A.________ forme un recours en matière pénale contre ce jugement, concluant à son annulation, à l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure pénale ouverte à son encontre (P1) et, si besoin, à la jonction de la présente cause à celle ouverte à la suite de son recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours rendu dans la procédure zzz (cause 6B_1074/2015). A titre subsidiaire, il demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente. Il sollicite également le bénéfice de l'assistance judiciaire pour la procédure fédérale.
Invitée à se déterminer, la Chambre pénale de recours s'est référée à ses considérants. Quant au Ministère public, il a conclu au rejet du recours sans déposer d'observations.
 
Considérant en droit :
1. Dans la mesure où les causes 1B_354/2015 et 6B_1074/2015 sont traitées - en raison de leur objet (art. 29 al. 3 et 33 let. b et c du règlement du 20 novembre 2006 du Tribunal fédéral [RTF; RS 173.110.131]) - par des cours différentes, il n'y a pas lieu de joindre les deux procédures.
2. Le recours en matière pénale est ouvert contre une décision incidente par laquelle l'assistance judiciaire gratuite est refusée à une partie à la procédure pénale (art. 78 al. 1 LTF). Le refus de désigner un avocat d'office est susceptible de causer au prévenu un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, de sorte qu'il peut faire l'objet d'un recours immédiat au Tribunal fédéral (ATF 140 IV 202 consid. 2.2; 139 IV 113 consid. 1.2 p. 116 s.; 133 IV 335 consid. 4 p. 338 s.). Pour le surplus, le recours a été formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue en dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF. Il y a donc lieu d'entrer en matière.
3. Le recourant reproche à la cour cantonale une violation de l'art. 132 al. 1 let. b CPP. Il soutient en particulier à cet égard que celle-ci aurait considéré que la requête d'assistance judiciaire se limitait à la question de la restitution du délai d'opposition et au dépôt de celle-ci. Or, selon le recourant, ce serait sa défense pénale au fond qui aurait dû être examinée, notamment eu égard à la peine encourue en cas de conversation de sa peine pécuniaire et de son amende en peine privative de liberté. Il soutient également en substance qu'il ne bénéficierait pas des connaissances juridiques suffisantes au regard des difficultés concernant l'établissement des faits, ainsi que les questions juridiques soulevées (instigation, escroquerie et coactivité). Il prétend enfin que l'égalité des armes imposerait qu'il soit pourvu d'un défenseur, puisque tel était le cas du coprévenu.
3.1. En dehors des cas de défense obligatoire (art. 130 CPP), l'art. 132 al. 1 let. b CPP soumet le droit à l'assistance d'un défenseur d'office aux conditions que le prévenu soit indigent et que la sauvegarde de ses intérêts justifie une telle assistance.
3.2. En l'occurrence, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que soutient le recourant, son indigence au sens de l'art. 132 al. 1 let. b CPP n'a pas été établie, que ce soit par l'autorité précédente ou par le Ministère public (cf. ad consid. 3.4 du jugement attaqué et l'ordonnance pénale du 4 mai 2015). Cela étant, cette question peut également demeurer indécise devant le Tribunal de céans; il est cependant relevé que le recourant ne prétend pas que sa requête d'assistance judiciaire, déposée le 8 avril 2015 et non à l'ouverture de la procédure pénale, se justifierait en raison d'une aggravation de sa situation financière.
S'agissant de la seconde condition posée à l'art. 132 al. 1 let. b CPP, elle s'interprète à l'aune des critères mentionnés à l'art. 132 al. 2 et 3 CPP. Ainsi, les intérêts du prévenu justifient une défense d'office lorsque la cause n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter (art. 132 al. 2 CPP); les deux conditions mentionnées à l'art. 132 al. 2 CPP doivent être réunies cumulativement.
3.2.1. A teneur de l'art. 132 al. 3 CPP, une affaire n'est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d'une peine privative de liberté de plus de quatre mois, d'une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende ou d'un travail d'intérêt général de plus de 480 heures. Dans le cadre d'une opposition à une ordonnance pénale, l'autorité de jugement de première instance n'est pas liée par la peine prononcée (en l'espèce, 60 jours-amende), respectivement requise, par le Ministère public dans sa décision, celle-ci équivalant alors à un acte d'accusation (cf. art. 356 al. 1 et 326 al. 1 let. f CPP); le tribunal de première instance peut ainsi, le cas échéant, statuer en défaveur du recourant (arrêt 1B_67/2015 du 14 avril 2015 consid. 2.2). Il en va de même lors de l'examen des sursis prononcés antérieurement. Il ne peut dès lors être exclu qu'une possible révocation des sursis accordés pourrait conduire l'intéressé à être condamné à une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende. Au vu toutefois du raisonnement qui va suivre, il n'est pas nécessaire d'approfondir cette question.
3.2.2. Pour évaluer si l'affaire présente des difficultés que le prévenu ne pourrait pas surmonter sans l'aide d'un avocat, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances concrètes. La nécessité de l'intervention d'un conseil juridique doit ainsi reposer sur des éléments objectifs, tenant principalement à la nature de la cause, et sur des éléments subjectifs, fondés sur l'aptitude concrète du requérant à mener seul la procédure. La jurisprudence impose de se demander si une personne raisonnable et de bonne foi - qui présenterait les mêmes caractéristiques que le requérant mais disposerait de ressources suffisantes - ferait ou non appel à un avocat. Pour apprécier la difficulté subjective d'une cause, il faut aussi tenir compte des capacités du prévenu, notamment de son âge, de sa formation, de sa plus ou moins grande familiarité avec la pratique judiciaire, de sa maîtrise de la langue de la procédure (arrêt 1B_257/2013 du 28 octobre 2013 consid. 2.1 publié in SJ 2014 I 273 et les références citées) et des mesures qui paraissent nécessaires, dans le cas particulier, pour assurer sa défense, notamment en ce qui concerne les preuves qu'il devra offrir (ATF 115 Ia 103 consid. 4 p. 105).
En l'espèce, le recourant est assisté, pour le moins, depuis le 25 novembre 2014 d'un mandataire professionnel. Il a été informé ce même jour des chefs de prévention retenus à son encontre et sur lesquels son avocat n'aura pas manqué de l'informer, notamment sur les notions d'instigation, d'escroquerie et de coactivité, ainsi que sur les conséquences pouvant en résulter (peine, révocation des sursis). Cependant, tant le prévenu que son mandataire n'ont alors pas jugé opportun de déposer une requête d'assistance judiciaire, que ce soit en raison des difficultés de la cause, de la peine encourue et/ou de la possible indigence du prévenu. Au cours de l'instruction, les charges pesant sur le recourant ne sont pas aggravées vu les infractions finalement retenues dans l'ordonnance pénale. De plus, le recourant reconnaît que le dépôt d'une opposition et la requête de restitution du délai y relatif ne sont que des "actes élémentaires" (cf. ad 1c/bb de son recours p. 9). Sans autre démonstration, on ne voit dès lors pas en quoi sa cause se serait, au 8 avril 2015, compliquée dans une telle mesure que l'assistance d'un avocat d'office serait à présent nécessaire. En particulier, le seul prononcé d'une ordonnance pénale ne suffit pas pour considérer que la condition de l'art. 132 al. 2 CPP serait réalisée. Quant à la possible procédure devant le Tribunal de police, le recourant ne prétend pas que les exigences formelles y relatives seraient telles qu'elles nécessiteraient la présence d'un avocat.
La jurisprudence admet certes que l'intervention d'un défenseur puisse être justifiée par d'autres motifs, en particulier dans les cas où la désignation d'un défenseur est nécessaire pour garantir l'égalité des armes ou parce que l'issue de la procédure pénale a une importance particulière pour le prévenu, par exemple s'il est en détention, s'il encourt une révocation de l'autorisation d'exercer sa profession ou s'il risque de perdre la garde de ses enfants (arrêt 1B_234/2013 du 20 août 2013 consid. 5.1). A cet égard, la cour cantonale a retenu que le recourant n'avait pas démontré que le coprévenu bénéficiait d'une défense d'office, constatation que le recourant ne remet pas en question devant le Tribunal de céans; en particulier, il ne fait pas état d'une décision mettant le coprévenu au bénéfice de l'assistance judiciaire. En tout état de cause, un tel argument ne justifie pas la présence d'un avocat au cours de la procédure de restitution de délai, celle-ci ne concernant que le recourant.
3.3. Partant, la cour cantonale a retenu à juste titre que les conditions de l'art. 132 al. 1 let. b CPP n'étaient pas remplies en l'espèce et n'a ainsi pas violé le droit fédéral en confirmant le refus du Ministère public d'octroyer l'assistance judiciaire au recourant.
4. Il s'ensuit que le recours est rejeté.
Le recourant a demandé le bénéfice de l'assistance judiciaire pour la procédure fédérale. Cependant, son recours était dénué de chances de succès (art. 64 al. 1 LTF), si bien que cette requête doit être rejetée. Eu égard aux pièces produites faisant notamment état des poursuites ouvertes à son encontre au 27 mars 2015, il se justifie exceptionnellement de prononcer des frais réduits (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté.
2. La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
3. Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge du recourant.
4. Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 13 novembre 2015
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Fonjallaz
La Greffière : Kropf