BGer 1B_66/2017 |
BGer 1B_66/2017 vom 31.03.2017 |
{T 0/2}
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1B_66/2017
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Arrêt du 31 mars 2017 |
Ire Cour de droit public |
Composition
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MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
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Fonjallaz et Chaix.
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Greffière : Mme Kropf.
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Participants à la procédure
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recourant,
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contre
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Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
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Objet
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Procédure pénale; nomination d'avocat d'office,
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recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 18 janvier 2017.
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Faits : |
A. Par pli recommandé du 21 mars 2014, le Service cantonal des véhicules genevois (OCAN) a adressé à A.________ une décision d'interdiction de conduire sur le territoire suisse. Cette missive a été retournée à l'expéditeur avec la mention "non réclamé". Une copie a alors été adressée, par pli simple, à l'intéressé le 28 avril 2014.
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Par ordonnance pénale du 5 août 2016, le Ministère public de la République et canton de Genève a reconnu A.________ coupable de conduite malgré le refus, le retrait ou l'interdiction de l'usage du permis de conduire (art. 95 al. 1 let. b de la loi fédérale du 19 décembre 1958 sur la circulation routière [LCR; RS 741.01]); le prévenu a été condamné à une peine privative de liberté de 180 jours, sous déduction de deux jours de détention avant jugement déjà subis. A.________ a formé opposition le 10 août 2016. A l'appui de celle-ci, il a indiqué que, lors de précédents contrôles de police à Genève, l'interdiction de conduire ne lui avait jamais été signalée; il a aussi mentionné avoir souvent déménagé et n'avoir jamais reçu la décision d'interdiction de conduire en Suisse.
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En date du 22 août 2016, le prévenu, agissant par l'intermédiaire de Me Gaétan Droz, a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire et la nomination de celui-ci en tant qu'avocat d'office. Cette requête a été refusée le 5 septembre 2016 par le Ministère public.
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B. Le 18 janvier 2017, la Chambre pénale des recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève a rejeté le recours intenté contre cette décision par A.________. Cette autorité a considéré que l'indigence du prévenu était établie et que le cas n'était pas de peu de gravité vu la peine privative de liberté de six mois retenue dans l'ordonnance pénale contestée. Selon la cour cantonale, la cause ne présenterait cependant pas de difficultés en fait et en droit que le prévenu ne pourrait surmonter sans l'assistance d'un avocat.
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C. Par acte du 20 février 2017, A.________ forme un recours en matière pénale contre cet arrêt, concluant en substance à la nomination de Me Gaétan Droz en tant qu'avocat d'office pour la procédure P1 à compter du 22 août 2016. Le recourant sollicite également l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure fédérale.
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Invitée à se déterminer, l'autorité précédente s'est référée aux considérants de sa décision. Quant au Ministère public, il s'en est rapporté à justice s'agissant de la recevabilité du recours et, sur le fond, a conclu à son rejet sans déposer d'observations.
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Considérant en droit : |
1. Conformément à l'art. 78 LTF, une décision relative à la défense d'office dans une cause pénale peut faire l'objet d'un recours en matière pénale. Le recourant, prévenu et auteur de la demande de désignation d'un défenseur d'office, a qualité pour agir (art. 81 al. 1 LTF). Le refus de désigner un avocat d'office au prévenu est susceptible de lui causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 140 IV 202 consid. 2.2 p. 205; 133 IV 335 consid. 4 p. 338 s.). Pour le surplus, le recours est formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue en dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF.
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2. Le recourant reproche à l'autorité précédente une violation de l'art. 132 CPP. Il soutient à cet égard que la nomination d'un avocat d'office serait nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts dès lors qu'il n'aurait pas les compétences nécessaires pour se défendre (peintre en bâtiment sans diplôme, domicile en France et défaut de connaissance du système judiciaire suisse); la cause ne serait pas non plus dénuée de complexité vu les questions juridiques à traiter, soit en particulier la contestation de la réception de la décision d'interdiction, la remise en cause du type de peine retenu par le Ministère public et l'argumentation à développer pour obtenir le sursis.
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2.1. En dehors des cas de défense obligatoire (art. 130 CPP), l'art. 132 al. 1 let. b CPP soumet le droit à l'assistance d'un défenseur d'office aux conditions que le prévenu soit indigent et que la sauvegarde de ses intérêts justifie une telle assistance. S'agissant de la seconde condition, elle s'interprète à l'aune des critères mentionnés à l'art. 132 al. 2 et 3 CPP. Ainsi, les intérêts du prévenu justifient une défense d'office notamment lorsque la cause n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter (art. 132 al. 2 CPP). Les deux conditions mentionnées par cette disposition doivent être réunies cumulativement (arrêt 1B_417/2016 du 20 décembre 2016 consid. 4.1).
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En tout état de cause, une affaire n'est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d'une peine privative de liberté de plus de quatre mois, d'une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende ou d'un travail d'intérêt général de plus de 480 heures (art. 132 al. 3 CPP).
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Pour évaluer ensuite si l'affaire présente des difficultés que le prévenu ne pourrait pas surmonter sans l'aide d'un avocat, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances concrètes. La nécessité de l'intervention d'un conseil juridique doit ainsi reposer sur des éléments objectifs, tenant principalement à la nature de la cause, et sur des éléments subjectifs, fondés sur l'aptitude concrète du requérant à mener seul la procédure (arrêt 1B_257/2013 du 28 octobre 2013 consid. 2.1 in SJ 2014 I 273).
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S'agissant de la difficulté objective de la cause, à l'instar de ce qu'elle a développé en rapport avec les chances de succès d'un recours (sur cette notion, cf. ATF 139 III 396 consid. 1.2 p. 397; 138 III 217 consid. 2.2.4 p. 18; 133 III 614 consid. 5 p. 616; 129 I 129 consid. 2.3.1 p. 135 s.), la jurisprudence impose de se demander si une personne raisonnable et de bonne foi - qui présenterait les mêmes caractéristiques que le requérant mais disposerait de ressources suffisantes - ferait ou non appel à un avocat (ATF 140 V 521 consid. 9.1 p. 537; arrêt 1B_257/2013 du 28 octobre 2013 consid. 2.1 in SJ 2014 I 273). Selon la doctrine, la difficulté objective d'une cause est admise sur le plan juridique lorsque la subsomption des faits donne lieu à des doutes, que ce soit de manière générale ou dans le cas particulier; elle est également retenue, quand il faut apprécier des faits justificatifs ou exclusifs de responsabilité ou lorsque la distinction entre infraction simple et infraction grave à la loi sur la circulation routière est litigieuse (NIKLAUS SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung, Praxiskommentar, 2e éd. 2013, n° 12 ad art. 132 StPO; NIKLAUS RUCKSTUHL, Basler Kommentar Schweizerische Strafprozessordnung, Art. 1-195 StPO, vol. I, 2e éd. 2014, n° 39 ad art. 132 StPO).
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Pour apprécier la difficulté subjective d'une cause, il faut tenir compte des capacités du prévenu, notamment de son âge, de sa formation, de sa plus ou moins grande familiarité avec la pratique judiciaire, de sa maîtrise de la langue de la procédure (arrêt 1B_257/2013 du 28 octobre 2013 consid. 2.1 in SJ 2014 I 273), ainsi que des mesures qui paraissent nécessaires, dans le cas particulier, pour assurer sa défense, notamment en ce qui concerne les preuves qu'il devra offrir (arrêt 1B_417/2016 du 20 décembre 2016 consid. 4.1).
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2.2. En l'occurrence, l'indigence du recourant a été établie par l'autorité précédente (cf. consid. 2.3 de l'arrêt attaqué). Cette dernière a également constaté que la cause n'était pas de peu de gravité au regard de la peine privative de liberté de six mois retenue dans l'ordonnance pénale contestée (cf. consid. 3.7 du jugement entrepris).
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2.3. Seule est donc encore litigieuse, devant le Tribunal fédéral, la question de la complexité de la cause.
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A cet égard, la cour cantonale a considéré que l'unique problématique à examiner était celle de la réception de la décision administrative de l'OCAN; cette question ne présentait toutefois aucune difficulté dès lors que l'art. 62 al. 4 de la loi genevoise sur la procédure administrative (LPA; RS/GE E 5 10) prescrivait qu'une décision qui n'était remise que contre la signature du destinataire ou d'un tiers habilité était réputée reçue au plus tard sept jours après la première tentative infructueuse de distribution et que la date de celle-ci était connue dans le cas d'espèce.
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Selon le recourant, une notification fictive de la décision administrative ne suffirait cependant pas dans le cadre de l'examen d'une éventuelle condamnation pénale fondée sur l'art. 95 al. 1 let. b LCR. A l'appui de son argumentation, il se prévaut d'un avis doctrinal - certes a priori isolé - relatif aux conditions subjectives de l'infraction réprimée par cette disposition. A suivre la doctrine citée par le recourant, un auteur ne serait punissable - sous réserve de l'art. 100 ch. 1 LCR - en application de l'art. 95 al. 1 let. b LCR que s'il a pris effectivement connaissance de la décision administrative et ainsi une notification fictive de ce prononcé à l'échéance du délai de garde serait exclue (YVAN JEANNERET, Les dispositions pénales de la Loi sur la circulation routière [LCR], 2007, nos 80 ss ad art. 95 ch. 2 aLCR [RO 2002 2767 version en vigueur jusqu'au 31 décembre 2011]).
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Une condamnation pénale sur la base de l'art. 95 al. 1 let. b LCR dépend d'une décision administrative qui doit avoir été valablement rendue, être exécutoire et n'avoir pas été respectée (arrêt 6B_81/2014 du 18 mars 2014 consid. 1.1). Dès lors que la réception ou la connaissance de ce premier prononcé est contestée, l'autorité pénale doit examiner si celui-ci a été adressé à son destinataire de manière conforme aux règles sur la notification des décisions administratives. S'agissant de celles relatives au retrait du permis de conduire - respectivement à une interdiction de faire usage d'un permis étranger en Suisse -, leur notification relève du droit cantonal (arrêt 1C_236/2016 du 15 septembre 2016 consid. 2.3). Cependant, il ne paraît pas exclu que, dans certaines circonstances, une notification valable sur le plan administratif puisse ne pas suffire pour une condamnation pénale (cf. dans des cas d'application de l'art. 97 al. 1 let. b LCR [alors art. 97 ch. 1 al. 2 aLCR], arrêt 6B_539/2009 du 8 septembre 2009 consid. 2 ou plus nuancé, arrêt 6S.233/2002 du 11 juillet 2002 consid. 1.3; voir également ATF 119 IV 238 consid. 2b et 2c p. 240 s. et arrêt 6B_280/2010 du 20 mai 2010 consid. 3.1 et 3.3 [ad art. 292 CP]). Cela vaut d'autant plus que la cour cantonale elle-même a considéré que ce raisonnement pourrait être, le cas échéant, suivi (cf. ad consid. 3.7/ii second paragraphe de l'arrêt attaqué). Or, il paraît difficile de soutenir que cet argument juridique aurait pu être soulevé par le recourant, peintre en bâtiment dénué de toute formation juridique, sans l'assistance d'un avocat. Ainsi, contrairement à ce qu'a retenu la juridiction précédente, la cause ne semble pas se limiter à l'examen de faits qui seraient circonscrits aux circonstances en lien avec l'éventuelle réception - ou pas - de la décision administrative.
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A cela s'ajoute le fait que le recourant a sept antécédents, notamment trois en matière de circulation routière; en particulier, il a été, le 20 mai 2014, reconnu coupable d'infraction à l'art. 95 al. 1 let. b LCR pour des faits réalisés en date du 2 août 2013. Certes, il peut en découler une certaine connaissance du système judiciaire. Cela étant, ces inscriptions entraînent avant tout des conséquences quant au type et à la durée de la peine encourue, ainsi qu'à l'octroi ou au refus d'un sursis (cf. arrêt 1B_102/2012 du 24 mai 2012 consid. 2.5.3 où ces éléments ont été pris en considération lors de l'appréciation de la complexité de la cause). Vu la peine privative de liberté ferme de 180 jours envisagée par le Ministère public, l'importance sur l'appréciation de l'autorité pénale que ces précédentes condamnations pourraient avoir ne peut être dès lors ignorée, ce qui peut justifier qu'un prévenu dans une telle situation consulte un mandataire professionnel.
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Au vu de ces considérations, la Chambre pénale de recours ne pouvait donc pas, sans violer le droit fédéral, refuser d'accorder au recourant l'assistance d'un avocat d'office (art. 132 al. 1 let. b CPP) et ce grief doit être admis.
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3. Il s'ensuit que le recours est admis. L'arrêt attaqué est annulé et Me Gaétan Droz est désigné en tant qu'avocat d'office du recourant pour la procédure P1 avec effet dès le 22 août 2016 (art. 132 al. 1 let. b CPP).
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Vu l'issue du litige, la requête d'assistance judiciaire pour la procédure fédérale est sans objet. Le recourant a droit à des dépens pour les procédures cantonale et fédérale à la charge de la République et canton de Genève (art. 68 al. 1 et 4 LTF). Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 3 et 67 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Le recours est admis. L'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 18 janvier 2017 est annulé. Me Gaétan Droz est désigné en tant qu'avocat d'office du recourant pour la procédure P1 à partir du 22 août 2016.
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2. Une indemnité de dépens pour les procédures fédérale et cantonale, fixée à 2'000 fr., est allouée au mandataire du recourant à la charge de la République et canton de Genève.
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3. Il n'est pas perçu de frais judiciaires pour les procédures fédérale et cantonale.
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4. Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
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Lausanne, le 31 mars 2017
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président : Merkli
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La Greffière : Kropf
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