BGer 1C_298/2019 |
BGer 1C_298/2019 vom 21.10.2019 |
1C_298/2019 |
Arrêt du 21 octobre 2019 |
Ire Cour de droit public |
Composition
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MM. les Juges fédéraux Chaix, Président,
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Kneubühler et Muschietti.
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Greffière : Mme Arn.
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Participants à la procédure
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A.________, représenté par
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Me Pierre Charpié, avocat,
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recourant,
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contre
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Secrétariat d'Etat aux migrations, Quellenweg 6, 3003 Berne.
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Objet
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Annulation de la naturalisation facilitée,
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recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour VI, du 18 avril 2019 (F-5226/2017).
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Faits : |
A. En mai 2013, A.________, ressortissant tunisien né en 1982, a déposé une requête de naturalisation facilitée, fondée sur son mariage contracté en janvier 2008 avec une ressortissante suisse. Dans le cadre de cette demande, les époux ont contresigné, en octobre 2014, une déclaration écrite par laquelle ils confirmaient vivre en communauté conjugale effective et stable, résider à la même adresse et n'envisager ni séparation ni divorce.
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Par décision du 16 décembre 2014, entrée en force en février 2015, le prénommé a obtenu la nationalité suisse.
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B. Le 31 août 2015, l'intéressé s'est officiellement et définitivement séparé de son épouse. En décembre 2015, les époux ont introduit une requête en divorce avec accord complet, lequel a été prononcé en mai 2016.
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Après avoir reçu les déterminations de A.________ au sujet d'une éventuelle annulation de sa naturalisation facilitée, ainsi que le procès-verbal d'audition de son ex-épouse, le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) a, par décision du 11 août 2017, annulé la naturalisation facilitée du prénommé.
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C. Le Tribunal administratif fédéral a confirmé cette décision dans un arrêt rendu le 18 avril 2019. Il a considéré en particulier que l'enchaînement chronologique rapide des événements fondait la présomption que la communauté conjugale n'était plus stable et orientée vers l'avenir au moment de l'octroi de la naturalisation facilitée; les éléments avancés par l'intéressé n'étaient pas susceptibles de renverser cette présomption.
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D. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral principalement d'annuler l'arrêt précité du Tribunal administratif fédéral ainsi que la décision du SEM et, à titre subsidiaire, de renvoyer la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision. Il requiert en outre l'assistance judiciaire.
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Le Tribunal administratif fédéral a renoncé à prendre position. Le SEM a observé que le recours ne contenait aucun élément propre à démontrer une violation du droit fédéral ou l'établissement inexact de faits.
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Par ordonnance du 28 juin 2019, le Président de la Ire Cour de droit public du Tribunal fédéral a admis la requête d'effet suspensif, présentée par le recourant.
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Considérant en droit : |
1. Dirigé contre la décision du Tribunal administratif fédéral qui confirme l'annulation de la naturalisation facilitée accordée au recourant, le recours est recevable comme recours en matière de droit public (art. 82 let. a et 86 al. 1 let. a LTF). Le motif d'exclusion de l'art. 83 let. b LTF n'entre pas en ligne de compte, dès lors qu'il s'agit en l'espèce de naturalisation facilitée et non pas de naturalisation ordinaire. Pour le surplus, le recourant a la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Il convient donc d'entrer en matière sur le recours.
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2. L'entrée en vigueur, au 1 er janvier 2018, de la nouvelle loi sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN; RS 141.0) a entraîné l'abrogation de la loi fédérale du 29 septembre 1952 sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse (aLN), conformément à l'art. 49 LN (en relation avec le chiffre I de son annexe). En vertu de la réglementation transitoire prévue par l'art. 50 LN, l'acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s'est produit. Dans la présente cause, tous les faits déterminants se sont déroulés sous l'empire de l'ancien droit, de sorte que l'aLN s'applique.
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3. Sur le fond, le recourant conteste avoir obtenu la naturalisation par des déclarations mensongères. Il relève en particulier que son ex-épouse a confirmé que les problèmes conjugaux étaient apparus en avril 2015 lorsqu'il a annoncé vouloir intégrer l'armée suisse.
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3.1. Conformément à l'art. 41 al. 1 aLN, le SEM peut, avec l'assentiment de l'autorité du canton d'origine, annuler la naturalisation facilitée obtenue par des déclarations mensongères ou par la dissimulation de faits essentiels.
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Pour qu'une naturalisation facilitée soit annulée, il ne suffit pas qu'elle ait été accordée alors que l'une ou l'autre de ses conditions n'était pas remplie. Il faut qu'elle ait été acquise grâce à un comportement déloyal et trompeur. S'il n'est point besoin que ce comportement soit constitutif d'une escroquerie au sens du droit pénal, il est nécessaire que l'intéressé ait donné sciemment de fausses informations à l'autorité ou qu'il l'ait délibérément laissée dans l'erreur sur des faits qu'il savait essentiels (ATF 140 II 65 consid. 2.2 p. 67). Tel est notamment le cas si le requérant déclare vivre en communauté stable avec son conjoint alors qu'il envisage de se séparer une fois obtenue la naturalisation facilitée. Peu importe que son mariage se soit ou non déroulé jusqu'ici de manière harmonieuse (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1C_161/2018 du 18 février 2019 consid. 4.1; 1C_436/2018 du 9 janvier 2019 consid. 4.1 et les arrêts cités).
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La nature potestative de l'art. 41 al. 1 aLN confère une certaine liberté d'appréciation à l'autorité compétente, qui doit toutefois s'abstenir de tout abus dans l'exercice de celle-ci. Commet un abus de son pouvoir d'appréciation l'autorité qui se fonde sur des critères inappropriés, ne tient pas compte de circonstances pertinentes ou rend une décision arbitraire, contraire au but de la loi ou au principe de la proportionnalité (ATF 129 III 400 consid. 3.1 p. 403).
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D'après la jurisprudence, la notion de communauté conjugale au sens de l'art. 27 al. 1 let. c aLN suppose non seulement l'existence formelle d'un mariage, mais encore une véritable communauté de vie des conjoints. Tel est le cas s'il existe une volonté commune et intacte de ceux-ci de maintenir une union conjugale stable (ATF 135 II 161 consid. 2 p. 165; 130 II 482 consid. 2 p. 484). Cette condition doit être remplie tant au moment de la demande de naturalisation facilitée qu'au moment de la décision en découlant (cf. ATF 140 II 65 consid. 2.1 p. 67; 135 II 161 consid. 2 p. 165). Une séparation survenue peu après l'octroi de la naturalisation constitue un indice de l'absence de cette volonté lors de l'obtention de la citoyenneté suisse (ATF 135 II 161 consid. 2 p. 165; 130 II 482 consid. 2 p. 484).
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3.2. La procédure administrative fédérale est régie par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 40 de la loi fédérale de procédure civile fédérale du 4 décembre 1947 [PCF; RS 273], applicable par renvoi de l'art. 19 PA [RS 172.021]). Ce principe vaut également devant le Tribunal administratif fédéral (art. 37 LTAF [RS 173.32]). L'administration supporte le fardeau de la preuve lorsque la décision intervient, comme en l'espèce, au détriment de l'administré. Cela étant, la jurisprudence admet dans certaines circonstances que l'autorité puisse se fonder sur une présomption. C'est notamment le cas pour établir que le conjoint naturalisé a menti lorsqu'il a déclaré former une union stable, dans la mesure où il s'agit d'un fait psychique lié à des éléments relevant de la sphère intime, souvent inconnus de l'administration et difficiles à prouver (ATF 135 II 161 consid. 3 p. 166; 130 II 482 consid. 3.2 p. 485 s.). Partant, si l'enchaînement rapide des événements fonde la présomption de fait que la naturalisation a été obtenue frauduleusement, il incombe alors à l'administré de renverser cette présomption en raison, non seulement de son devoir de collaborer à l'établissement des faits (art. 13 PA; cf. ATF 135 II 161 consid. 3 p. 166; 132 II 113 consid. 3.2 p. 115 s.), mais encore de son propre intérêt (ATF 130 II 482 consid. 3.2 p. 485 s.).
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S'agissant d'une présomption de fait, qui ressortit à l'appréciation des preuves et ne modifie pas le fardeau de la preuve (cf. ATF 135 II 161 consid. 3 p. 166), l'administré n'a pas besoin, pour la renverser, de rapporter la preuve contraire du fait présumé, à savoir faire acquérir à l'autorité la certitude qu'il n'a pas menti. Il suffit qu'il parvienne à faire admettre l'existence d'une possibilité raisonnable qu'il n'ait pas menti en déclarant former une communauté stable avec son conjoint. Il peut le faire en rendant vraisemblable, soit la survenance d'un événement extraordinaire susceptible d'expliquer une détérioration rapide du lien conjugal, soit l'absence de conscience de la gravité de ses problèmes de couple et, ainsi, l'existence d'une véritable volonté de maintenir une union stable avec son conjoint lorsqu'il a signé la déclaration (ATF 135 II 161 consid. 3 p. 165 s. et les arrêts cités).
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3.3. En l'espèce, le Tribunal administratif fédéral a notamment constaté que la naturalisation avait été accordée au recourant par décision du 16 décembre 2014 (entrée en force en février 2015), que les époux s'étaient définitivement séparés le 31 août 2015 et que ceux-ci avaient introduit en décembre 2015 une requête commune en divorce avec accord complet qui avait été prononcé en mai 2016. Pour l'instance précédente, l'enchaînement chronologique rapide de ces éléments était de nature à fonder la présomption que la communauté conjugale des époux n'était plus stable et orientée vers l'avenir au moment de l'octroi de la naturalisation.
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Le recourant ne conteste aucun de ces éléments de fait. La présomption que sa naturalisation a été obtenue frauduleusement peut effectivement être admise, compte tenu de la séparation des époux intervenue environ huit mois après l'octroi de la naturalisation facilitée et la requête commune en divorce déposée seulement quatre mois plus tard (cf. notamment arrêts 1C_436/2018 du 9 janvier 2019 consid. 4.3; 1C_362/2017 du 12 octobre 2017 consid. 2.3).
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Conformément à la jurisprudence précitée, il s'agit donc uniquement de déterminer si l'intéressé est parvenu à renverser cette présomption en rendant vraisemblable, soit la survenance d'un événement extraordinaire susceptible d'expliquer une dégradation aussi rapide du lien conjugal, soit l'absence de conscience de la gravité des problèmes de couple au moment de la signature de la déclaration commune.
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3.4. Pour renverser cette présomption, le recourant soutient que la séparation était due à l'annonce au printemps 2015 à son épouse de son choix de poursuivre une carrière militaire et à l'intransigeance de celle-ci qui refusait ce choix; la position intransigeante de son ex- épouse n'était pas prévisible selon lui. Il affirme en outre qu'ils ne se sont pas rendus compte de l'importance de leurs divergences et qu'ils n'étaient pas conscients de la gravité des problèmes du couple, en particulier de l'incompatibilité de son choix professionnel avec les idées antimilitaristes de son ex-épouse.
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Les explications du recourant ne sont toutefois pas convaincantes et ne permettent pas de renverser la présomption établie. En effet, le recourant a affirmé qu'une carrière militaire constituait un rêve d'enfant. Aussi, si les ex-époux formaient réellement un couple stable et uni, il apparaît peu crédible qu'il n'ait informé son ex-épouse de ce projet professionnel que lorsqu'il a reçu au printemps 2015 l'ordre de marche pour le recrutement, passant sous silence les démarches concrètes effectuées au préalable en ce sens (notamment, les tests passés en octobre 2014 et le courriel adressé au Conseil fédéral en janvier 2015 au sujet de sa volonté d'intégrer l'armée). Comme exposé pertinemment par l'instance précédente, l'attitude du recourant gardant secret un tel projet tend à confirmer que l'union conjugale connaissait déjà de sérieux problèmes, incitant ce dernier à ne pas partager ce projet avec son ex-épouse. L'instance précédente pouvait, à cet égard, sans arbitraire, retenir que certains éléments avaient contribué à créer un climat émotionnel tendu entre les ex-époux déjà avant l'octroi de la naturalisation; l'instance précédente soulignait notamment que le recourant avait persisté à héberger ses soeurs en 2014 malgré l'hostilité de ces dernières à l'égard de son ex-épouse, mais également qu'il ne valorisait pas les choix estudiantins et professionnels de cette dernière (cf. arrêt entrepris consid. 5.2.2). Son ex-épouse a de plus également reproché au recourant de ne pas avoir été suffisamment présent pour elle durant la maladie de sa mère. Dans son mémoire de recours, l'intéressé ne remet pas en cause ces éléments. Il reconnaît d'ailleurs expressément que la cohabitation avec ses soeurs dans l'appartement conjugal avait soulevé des problèmes; contrairement à ce que semble penser le recourant, il est sans importance qu'une telle cohabitation soit courante dans son pays d'origine.
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Enfin, le recourant ne parvient pas à démontrer qu'il aurait tenté d'une manière ou d'une autre de sauver son couple; le fait qu'il ait aussi rapidement et facilement accepté l'idée d'une séparation définitive tend à confirmer qu'il est peu plausible qu'il n'ait découvert la dégradation du lien conjugal qu'au printemps 2015. Les démarches entreprises par le couple en mars 2015 pour trouver un autre appartement ne sont pas, à elles seules, susceptibles de modifier cette appréciation.
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En définitive, les éléments avancés par le recourant ne suffisent pas à renverser la présomption établie.
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3.5. Par conséquent, les conditions d'application de l'art. 41 aLN sont réunies et le Tribunal administratif fédéral n'a pas violé le droit fédéral en confirmant l'annulation de la naturalisation facilitée qui avait été octroyée au recourant.
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4. Il s'ensuit que le recours est rejeté. Le recourant qui succombe supporte les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Le recours est rejeté.
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2. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 francs, sont mis à la charge du recourant.
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3. Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Secrétariat d'Etat aux migrations et au Tribunal administratif fédéral, Cour VI.
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Lausanne, le 21 octobre 2019
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président : Chaix
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La Greffière : Arn
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