BGE 88 I 173 |
29. Arrêt du 19 septembre 1962 dans la cause Chambre genevoise immobilière contre Conseil d'Etat du canton de Genève. |
Regeste |
Art. 88 OG. Beschwerdelegitimation der Berufsverbände und der andere Interessen ihrer Mitglieder wahrenden Verbände. |
Sachverhalt |
"Article 1. - Dans les cas prévus par l'article 1, alinéa 1, lettre c, de la loi sur les constructions et les installations diverses, du 25 mars 1961, le département des travaux publics peut refuser l'autorisation si la démolition de maisons destinées à l'habitation n'est pas justifiée en considération:
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a) de l'état de vétusté des logements;
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b) de la nature et de la destination de la construction à édifier;
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c) du prix des loyers des logements à démolir et de ceux des logements à construire;
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d) du nombre de logements nouveaux créés par rapport au nombre de ceux qui existaient avant la démolition.
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L'autorisation de démolir peut en tout cas être refusée aussi longtemps que le propriétaire n'a pas mis à disposition des locataires des logements correspondant à ceux qu'ils occupaient dans la construction à démolir, c'est-à-dire qui, du point de vue de leur surface, du prix des loyers, des conditions générales d'habitation et d'aménagement, correspondent aux ressources des locataires, tout en leur permettant, s'il y a lieu, de continuer dans des conditions normales l'activité professionnelle qu'ils exerçaient dans la construction à démolir.
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L'autorisation peut également être refusée si des procédures en évacuation sont entreprises avant que le propriétaire n'ait offert aux locataires des logements répondant aux conditions prévues à l'alinéa précédent.
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Art. 2. - Lorsque la transformation d'une maison d'habitation exige le départ des locataires, les dispositions de l'article 1 du présent règlement sont également applicables.
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Art. 3. - L'autorisation est accordée ou refusée par le département des travaux publics sur le préavis du département du commerce, de l'industrie et du travail.
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Art. 4. - Restent réservées les dispositions légales et réglementaires relatives notamment à la sécurité des constructions et des chantiers, à l'occupation du domaine public et à l'urbanisme.
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Art. 5. - La validité du présent règlement est limitée au 31 décembre 1963."
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B.- Agissant par la voie du recours de droit public, la Chambre genevoise immobilière requiert le Tribunal fédéral d'annuler le règlement ci-dessus qui, selon elle, viole l'égalité devant la loi, la garantie de la propriété, la liberté du commerce et de l'industrie et le principe de la force dérogatoire du droit fédéral.
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Le Conseil d'Etat conteste la qualité de la recourante pour agir. Sur le fond, il conclut au rejet du recours.
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Considérant en droit: |
Dans le canton de Genève, de très nombreux propriétaires immobiliers se sont groupés pour former la Chambre genevoise immobilière, qu'ils ont constituée en association au sens des art. 60 ss. CC. Ils sont lésés dans leurs intérêts de propriétaires par le règlement sur les démolitions, au moins à titre virtuel, ce qui suffit, puisque l'acte attaqué est un arrêté de portée générale (RO 85 I 53). L'association qu'ils ont formée est chargée de défendre ces intérêts. D'après l'art. 3 de ses statuts, elle a en effet "pour but général la défense de la propriété immobilière dans le canton de Genève" et "suit, en particulier, les ... procès de principe utiles à l'économie immobilière". Elle a donc qualité pour former le présent recours de droit public.
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2. a) Le règlement attaqué constitue une restriction de droit public à la propriété au sens de l'art. 702 CC. De telles restrictions sont admissibles à la condition notamment qu'elles reposent sur une base légale. Celle-ci doit se trouver dans une loi au sens matériel du terme, c'est-à-dire une norme générale et abstraite. Cette norme peut résulter soit d'une loi proprement dite, soit d'une ordonnance législative édictée par l'autorité exécutive en vertu d'une délégation du législateur, soit enfin d'une coutume (RO 74 I 45; cf. aussi RO 87 I 453 et 83 I 113). Les atteintes au droit de propriété qui ne reposent pas sur une telle base sont inconstitutionnelles. Il faut cependant faire une exception pour les empiétements que l'autorité exécutive peut être fondée à apporter aux libertés individuelles même sans base légale en vertu de son pouvoir général de police. Ces empiétements sont toutefois subordonnés à diverses conditions. Ils doivent en particilier être destinés à rétablir l'ordre public qui a été troublé, ou à le protéger lorsqu'il est menacé, d'une façon directe et imminente, par un danger sérieux (RO 79 I 235, 67 I 76, 63 I 222, 60 I 121, 57 I 272, 56 I 271, 55 I 237, 20 p. 796). |
b) Le Conseil d'Etat n'allègue pas que la base légale du règlement attaqué se trouverait dans le droit coutumier. Il soutient tout d'abord qu'elle est constituée par une loi proprement dite, celle du 25 mars 1961 sur les constructions et les installations diverses (LC), plus spécialement par son article premier. L'atteinte que les art. 1 et 2 RD portent au droit de propriété est particulièrement grave et dépasse largement ce qui est habituel en Suisse. Le Tribunal fédéral examinera donc librement si la base légale invoquée par le Conseil d'Etat est suffisante (RO 85 I 231, 84 I 175).
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c) Les art. 1 et 2 RD précisent certaines des circonstances dont l'autorité peut tenir compte lorsqu'elle est sollicitée de permettre la démolition ou la transformation d'un immeuble. L'art. 1 LC, qui devrait leur servir de base légale, énumère les "objets soumis à autorisation". Il y englobe la transformation et la démolition d'un immeuble. Toutefois, il n'indique pas les conditions dont dépend l'octroi de l'autorisation nécessaire en pareil cas.
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Il ne précise pas davantage les critères selon lesquels l'autorité permettra ou interdira la transformation ou la démolition. Si les autres dispositions de la LC règlent ces conditions et critères quand il s'agit de l'autorisation de construire un bâtiment, elles ne le font pas en ce qui concerne le permis de transformer ou de démolir un immeuble. Par rapport à l'art. 1 LC et d'ailleurs au regard de cette loi dans son ensemble, les art. 1 et 2 RD constituent du droit nouveau. Ils sont donc dépourvus de base légale. |
Le Conseil d'Etat invoque, il est vrai, les art. 13 et 226 LC, qui l'autorisent à édicter certains règlements. Il y voit une délégation législative, du cadre de laquelle il affirme n'être pas sorti. Point n'est besoin de rechercher si la constitution genevoise prohibe ou non une telle délégation (RO 88 I 33), car les dispositions citées par l'intimé ne contiennent manifestement aucune délégation législative se rapportant à la matière du règlement litigieux. Les règlements que le Conseil d'Etat est autorisé à faire en vertu des art. 13 et 226 LC sont limitativement énumérés dans ces dispositions. Nul d'entre eux n'a trait à l'autorisation de démolir ou transformer un immeuble; plusieurs sont au contraire de simples ordonnances d'application de la LC, par lesquelles le Conseil d'Etat n'est pas autorisé à créer du droit nouveau.
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D'ailleurs, la LC est une loi de police des constructions et d'urbanisme. En revanche, le règlement attaqué vise en fait à protéger les locataires contre une résiliation de leurs baux pour cause de démolition du bâtiment. En le fondant sur la LC, le Conseil d'Etat a détourné celle-ci de son but. Il est dès lors tombé dans l'arbitraire (RO 86 I 85/86).
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Certes, l'autorité cantonale allègue qu'il existe à Genève un véritable état de nécessité qui la contraignait d'agir même sans base légale, en vertu de son pouvoir général de police. On doit lui concéder que, dans cette ville, le problème du logement est d'une importance particulière. Toutefois, il n'est pas grave au point que l'ordre public en soit troublé ou menacé, d'une façon directe et imminente, par un danger sérieux. Le Conseil d'Etat ne cite aucun fait dont on pourrait déduire qu'au moment où il a édicté le règlement attaqué, l'exercice du pouvoir légal ou les biens juridiques des particuliers, tels que leur vie, leur santé et leur patrimoine, étaient en péril. Il ne prétend pas non plus qu'il a été contraint d'adopter ce règlement pour faire face, dans le problème du logement, à une crise grave, qui aurait éclaté soudainement et d'une manière imprévisible. Au contraire, comme le confirme le dossier, le Conseil d'Etat sent depuis longtemps la nécessité de se préoccuper de la question du logement et notamment du moyen d'empêcher la démolition d'immeubles encore utilisables. Il lui aurait dès lors été loisible de mettre en oeuvre la procédure législative et de prendre dans l'intervalle les mesures d'espèce que les circonstances imposaient. En tout cas, il ne saurait prétendre aujourd'hui qu'il s'est trouvé en présence d'un état de nécessité, auquel il pouvait et devait faire face sans base légale. |
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
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