BGE 91 II 17 |
3. Arrêt de la Ire Cour civile du 9 février 1965 dans la cause Gaillard contre La Résidence SA |
Regeste |
UWG Art. 1 Abs. 2 lit. d, Art. 2; ZGB Art. 28/9. |
Begriff der Sachbezeichnung und der Beschaffenheitsangabe. Massgebender Zeitpunkt für Beurteilung der Frage des Vorliegens von solchen; Fall des Namens "Résidence" (Erw. 2-4). |
Bejahung der Verwechslungsgefahr zwischen den Bezeichnungen "La Résidence" und "La Résidence SA Genève" einerseits und "California Résidence" anderseits (Erw. 5 und 6). |
Der Tatbestand des unlauteren Wettbewerbes setzt kein Verschulden voraus; dagegen kann Schadenersatz nur bei Verschulden beansprucht werden (Erw. 7). |
Sachverhalt |
A.- La demanderesse La Résidence SA, à Genève, appelée auparavant Pension Bienvenue, est inscrite au registre du commerce sous sa nouvelle désignation depuis 1936. Elle possède et dirige un hôtel sis à la route de Florissant 11, à Genève, connu dès 1924 sous le nom de "La Résidence". |
Le 31 juillet 1963, le défendeur Maurice Gaillard a fait procéder à l'inscription suivante dans le registre du commerce: "Hôtel garni. Maurice L. Gaillard à Genève... Exploitation d'un hôtel garni à l'enseigne "California-Résidence" 1, rue Gevray".
|
Dans des pourparlers amiables, la demanderesse a vainement invité le défendeur à renoncer au mot "Résidence".
|
B.- Par exploit du 6 décembre 1963, La Résidence SA a ouvert action contre Gaillard devant la Cour de justice du canton de Genève aux fins de lui faire interdire l'usage du terme "Résidence" à titre d'enseigne ou sous quelque autre forme que ce soit, d'obtenir la radiation de la dénomination "California-Résidence" figurant sur le registre du commerce et de faire condamner Gaillard à une indemnité de 2000 fr. |
A l'appui de ses prétentions, la demanderesse affirmait que son hôtel s'était acquis une grande notoriété sous le nom de "La Résidence", qu'en choissant l'enseigne "California-Résidence", Gaillard créait des risques de confusion et qu'il violait par là tant l'art. 1er LCD que les art. 944 ss. CO et 38 ss. ORC.
|
Le défendeur a conclu au rejet de l'action, en alléguant que le mot "Résidence" avait un caractère générique et ne pouvait par conséquent être monopolisé. En outre, il a relevé que "California" constituait l'élément principal de l'enseigne litigieuse et que, même si l'on soutenait par hypothèse le contraire, l'adjonction de ce terme distinguait suffisamment les deux appellations.
|
Par jugement du 22 septembre 1964, la Cour de justice du canton de Genève a fait défense à Gaillard d'employer le nom "Résidence" comme enseigne ou sous toute autre forme, notamment sur ses papiers à lettres, prospectus et linges, ordonné la radiation de l'expression "California-Résidence" et condamné le défendeur à payer à sa partie adverse une indemnité de 300 fr.
|
C.- Gaillard recourt en réforme contre ce jugement au Tribunal fédéral, en persistant dans ses conclusions libératoires. L'intimée conclut au rejet du recours.
|
Considérant en droit: |
En l'espèce, les premiers juges relèvent que la désignation "California-Résidence" n'a que le caractère d'une enseigne, la raison commerciale du défendeur comprenant son seul nom "Maurice L. Gaillard". Au vu de la jurisprudence précitée, cette constatation de fait, qui lie le Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ), exclut l'application des art. 944 ss. CO et 38 ss. ORC. |
Cela étant, que la demanderesse fonde ses prétentions sur sa raison sociale "La Résidence SA, Genève", ou sur son enseigne "La Résidence", elle ne peut invoquer que les prescriptions régissant la concurrence déloyale et, le cas échéant, les art. 28 et 29 CC. Par conséquent, il y a lieu d'examiner d'abord si le défendeur commet un acte de concurrence déloyale en employant l'expression "California-Résidence" et s'il doit y renoncer pour ce motif. Dans l'affirmative, il sera superflu de rechercher en outre si ses agissements portent atteinte aux droits de la personnalité de la demanderesse. A cet égard, il importe peu que celle-ci ne fasse pas valoir ce dernier moyen, car le Tribunal fédéral statue librement, sans être lié par les motifs qu'invoquent les parties (art. 63 al. 1 OJ).
|
Cependant, un commerçant ne saurait monopoliser au détriment de ses concurrents des termes ou des expressions appartenant au domaine public. Sont en particulier compris dans cette notion les désignations génériques et les signes descriptifs. Dans le premier cas, il s'agit de mots qui, d'après les usages linguistiques des milieux intéressés, servent à indiquer une chose déterminée; ils sont indispensables dans les affaires, de sorte qu'ils doivent rester à la disposition de chacun. Cette remarque vaut également pour les simples signes descriptifs, qui révèlent les qualités d'un produit, son mode de fabrication ou son utilité (RO 84 II 431 ss. dont les principes s'appliquent tant dans le domaine des marques que celui de la concurrence déloyale).
|
Il découle de là que, même en cas de danger de confusion entre deux maisons, l'usager le plus ancien ne peut invoquer contre sa partie adverse la loi sur la concurrence déloyale si ce risque résulte de l'emploi d'une désignation générique ou d'un signe descriptif (RO 87 II 350, 84 II 223 ss. et 81 II 468 ss.).
|
Pour juger si un terme a un caratère générique ou descriptif, il faut se reporter aux conditions qui régnaient lors de son premier usage par le demandeur; car c'est uniquement s'il existait à cette époque déjà une étroite relation entre un genre d'entreprise et ce terme que l'on peut parler d'un véritable besoin d'en laisser l'emploi à la disposition de tous. Un modification ultérieure des circonstances importe seulement lorsqu'il faut examiner si une désignation d'abord originale a dégénéré peu à peu en signe libre (RO 84 II 432). |
Cette manière de voir ne saurait être partagée. Quand la demanderesse a, pour la première fois, pris "La Résidence" comme enseigne, en 1924, ce nom signifiait la demeure ordinaire en un lieu déterminé, le séjour actuel et obligé dans le lieu où l'on exerce quelque fonction ainsi que le lieu où réside d'ordinaire un prince ou un haut fonctionnaire (cf. Le nouveau Larousse illustré, 1904, et le Dictionnaire général de la langue française, de Hatzfeld et Darmesteter, 1926). Au vu de ces définitions, le mot "Résidence" ne peut être tenu pour synonyme d'hôtel et n'apparaît donc pas comme étant indispensable à la vie des affaires. De même, il ne révèle pas les propriétés ni l'utilité de l'immeuble qu'il désigne. C'est pourquoi il ne se justifiait pas de lui attribuer alors un caractère générique ni descriptif qui l'aurait privé de toute protection; tout au plus était-il faible et ne jouissait-il que d'une protection restreinte.
|
Cette preuve, qui incombait au défendeur, n'a pas été administrée. Au contraire, après avoir qualifié, à tort, le terme "Résidence" de générique, les premiers juges ont constaté qu'il s'était néanmoins "imposé à Genève, concernant la désignation d'un hôtel, à la suite d'un usage de plusieurs années, comme désignant l'hôtel exploité par la demanderesse à la route de Fiorissant". Ainsi, la force distinctive de ce mot, faible à l'origine, s'est sensiblement accrue depuis lors. Il n'est donc pas devenu la notion d'une certaine catégorie d'hôtel.
|
Partant, la demanderesse est en droit de s'opposer à l'utilisation de toute autre enseigne qui ne se distinguerait pas suffisamment de la sienne et de sa raison sociale et qui ferait naître par là des risques de confusion.
|
De plus, bien qu'en l'espèce, la demanderesse entende obtenir la protection de sa raison de commerce et de son enseigne contre une nouvelle enseigne, les principes développés par la jurisprudence au sujet de la comparaison des marques et des raisons de commerce doivent s'appliquer par analogie (RO 63 II 75 ss.).
|
Pour apprécier si deux désignations verbales diffèrent suffisamment l'une de l'aute, il faut tenir compte de l'impression d'ensemble qu'elles laissent dans la mémoire du public, impression qui dépend de leur effet auditif, et dans une moindre mesure, deleur aspect (RO 90 II 48 et les arrêts cités; RO 88 II 376). En outre, quand elles se rapportent à des établissements de nature identique, exploités dans la même ville, les caractères distinctifs de la nouvelle enseigne doivent être encore plus accentués (RO 73 II 59). Enfin, pour évaluer les risques de confusion, il y a lieu de se fonder sur le degré d'attention que l'on peut attendre des clients probables (RO 84 II 223).
|
6. A la lumière de ces règles, il se justifie de considérer que les dénominations "La Résidence" et "La Résidence SA, Genève" d'une part, "California-Résidence" d'autre part, prêtent à confusion, car le terme "Résidence" constitue l'élément frappant de ces appellations et sa présence dans l'enseigne du défendeur peut induire en erreur la clientèle. Cette conclusion s'impose d'autant plus que les gens descendant dans les hôtels sont souvent pressés et n'examinent de ce fait que superficiellement les enseignes. Même s'ils s'aperçoivent ultérieurement de leur méprise, ils renonceront pour la plupart à changer d'établissement. En l'espèce, le danger de confusion est particulièrement grand, car, de l'aveu de Gaillard, la clientèle des parties se recrute surtout parmi les Confédérés et les étrangers. Or, ces derniers, qui, en général, ne connaissent guère Genève et ignorent la langue française, mélangeront encore plus facilement le nom des deux hôtels. |
D'ailleurs, le risque de confusion s'est déjà réalisé en l'occurrence, puisqu'un certain nombre d'erreurs se sont produites dans la distribution de la correspondance. Le défendeur tente de minimiser la portée de celles-ci en soutenant qu'elles proviennent uniquement du fait que son entreprise, nouvellement ouverte, n'a pas figuré tout de suite sur l'annuaire téléphonique et les bottins. Certes, on ne saurait déduire d'une méprise occassionnelle que deux désignations en cause ne se distinguent pas suffisamment (RO 88 II 374). En l'espèce, il s'agit cependant non pas d'un cas isolé, dû à l'inattention du service postal, mais de multiples erreurs, ce qui souligne à tout le moins la vraisemblance des possibilités de confusion entre "California-Résidence" et "La Résidence" (RO 61 II 123).
|
En outre, le défendeur objecte que, si un danger de confusion existait, il se limiterait, d'après les propres constations de la Cour de justice, à la place de Genève, puisque l'appellation de la demanderesse s'est imposée dans cette ville. Or, un tel danger ne présenterait en fait aucun inconvénient, puisque les deux parties travaillent avec la clientèle confédérée et étrangère. Cet argument n'est pas solide. Pour que la loi sur la concurrence déloyale s'applique, il suffit qu'il y ait un rapport de concurrence entre les intéressés (RO 90 II 322 ss.). Cette condition est manifestement réalisée, vu que demanderesse et défendeur exercent une activité identique parmi une même clientèle. D'ailleurs, en relevant que le terme "Résidence" "s'est imposé à Genève... comme désignant l'hôtel exploité par la demanderesse", les premiers juges ont voulu dire que cet établissement s'est fait connaître au cours des ans d'un cercle étendu de clients, quel que soit leur domicile. Puisqu'ils viennent selon Gaillard des autres régions de la Suisse et de l'étranger, il faut considérer que la réputation de l'hôtel "La Résidence" a dépassé le cadre de Genève pour gagner les autres cantons ainsi que divers pays.
|
Dans ces conditions, le risque de confusion doit être admis.
|
Cette opinion est erronée. L'acte de concurrence déloyale ne suppose en effet chez son auteur ni mauvaise foi, ni faute (RO 88 II 183 et 374 ss.; 81 II 471). Il est accompli dès qu'il franchit les limites assignées à la concurrence économique par les règles de la bonne foi. Autre chose est de savoir quelles prétentions compètent au lésé (RO 88 II 183 ss.). Tandis que celui-ci peut toujours demander la constatation du caractère illicite de l'acte, sa cessation et la suppression de l'état de fait, il ne saurait en revanche réclamer la réparation du dommage subi qu'en cas de faute (art. 2 LCD). |
En l'espèce, les deux désignations prêtent à confusion et, partant, induisent le public en erreur. Or, l'emploi d'une désignation fallacieuse est objectivement contraire aux règles de la bonne foi. Aussi les conclusions de la société La Résidence SA doivent-elles être accueillies sans autre examen, à l'exception de celle qui tend à l'allocation d'une indemnité pour le préjudice éprouvé et dont l'admission est subordonnée à l'existence d'une faute chez le défendeur.
|
Ce dernier ne saurait sérieusement soutenir qu'il a été subjectivement de bonne foi, car aucun besoin ne se faisait sentir d'accoler au mot "California" celui de "Résidence", s'il entendait simplement, comme il le prétend, souligner le caractère luxueux de son établissement. Le fait d'avoir choisi une appellation qui se rapprochait fortement de la raison sociale et de l'enseigne d'un concurrent impose la conclusion qu'il a pour le moins accepté le danger de confusion. D'ailleurs, il reconnaît dans son acte de recours qu'il a primitivement songé à exploiter son hôtel sous la dénomination "Résidence-California" et qu'il y a renoncé parce qu'elle ne se distinguait pas suffisamment de la désignation "La Résidence". Or, il ne pouvait croire qu'en renversant simplement les termes de son enseigne, il écartait chaque risque d'erreur. Dans tous les cas, Gaillard a sciemment violé les lois d'une concurrence économique loyale en s'en tenant à son appellation après avoir su que diverses erreurs s'étaient produites et en refusant de la modifier (RO 81 II 472).
|
A titre de réparation du dommage, la cour cantonale a alloué à la demanderesse une indemnité de 300 fr., fixée ex aequo et bono. Ce montant n'étant pas critiqué en soi par le défendeur, il y alieu de confirmer également sur ce point la décision attaquée et de rejeter par conséquent le recours en totalité.
|
8. Dans ces conditions, il est superflu d'examiner si l'enseigne "California-Résidence" porte aussi atteinte aux droits de la personnalité de la demanderesse. |
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
|