BGE 98 II 9
 
3. Arrêt de la IIe Cour civile du 9 mars 1972 dans la cause Merenda contre Berset.
 
Regeste
Art. 152 ZGB.
 
Sachverhalt


BGE 98 II 9 (10):

A.- Romano Merenda, né en 1935, et Odile Berset, née en 1934, se sont mariés à Neuchâtel le 23 décembre 1954. Le lendemain 24 décembre 1954, naissait un premier enfant, Mario, suivi d'un second, Marc, né le 17 novembre 1957.
Les jeunes époux ne possédaient absolument rien. Ils trouvèrent de toute urgence un logement assez misérable. Ils ont toujours eu des difficultés financières.
Dès les premiers temps du mariage, il y eut des difficultés entre les époux. A Neuchâtel d'abord, puis à Cousset et enfin à Yverdon, où les époux ont vécu successivement, le mari sortait, s'attardant avec des camarades, parfois au café, et surtout s'adonnant activement et de façon suivie à la pratique du football. Cela a créé un état de tension entre les époux.
En automne 1962, Merenda invita une demoiselle Biedermann à danser lors d'un bal à L'Isle. Il a revu cette personne ensuite à Yverdon et s'est rendu quelquefois chez elle. A la demande de dame Merenda, le Juge de paix d'Yverdon est intervenu par lettre auprès de dlle Biedermann.
En automne 1968, Merenda est parti seul en vacances quelques jours au Tessin.
En présence des difficultés financières de Merenda, ses employeurs, à la demande de la femme, versèrent directement à cette dernière la plus grande partie du salaire du mari, dans l'idée que dame Merenda, qui s'occupait d'une conciergerie et qui leur inspirait confiance, s'en tirerait mieux. Ce ne fut pas le cas. Après un an et demi de ce régime, les employeurs ont pris la chose en main et amorti directement les dettes du ménage par des retenues de salaire. La situation paraît dès lors, sinon assainie, du moins nettement améliorée.
Dame Merenda a souvent travaillé en dehors du ménage, à temps partiel surtout. Elle tenait convenablement son ménage, elle a bien élevé ses enfants.
Elle a pris l'habitude dès 1968 de passer fréquemment ses soirées chez une voisine. Puis, à plusieurs reprises, en été et en automne 1969, elle a quitté momentanément le domicile conjugal, s'absentant plusieurs jours.


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En octobre 1969, son mari trouva, dans la boîte aux lettres, une lettre d'amour adressée à sa femme.
Enfin un soir de décembre 1969, Merenda, qui s'était rendu seul à la patinoire, finit la soirée au Casino d'Yverdon, accompagné d'un homme et trois femmes. Il y rencontra sa femme, attablée avec un nommé Schwertfeger. Les époux se sont salués, restant à des tables différentes. Peu après, dame Merenda est partie en compagnie de Schwertfeger. Elle est rentrée chez elle, à une heure trente du matin, après son mari.
Employé dans un commerce, le mari gagne 1290 fr. par mois, allocations familiales en sus. La femme, dont la santé est délicate et qui pour cette raison ne travaille pas à plein temps, gagne environ 550 fr. Il n'est pas certain qu'elle pourra le faire régulièrement.
B.- Par prononcé du 2 décembre 1969, donnant suite à une requête de dame Merenda du 17 novembre, le Président du Tribunal d'Yverdon a autorisé les époux à vivre séparés jusqu'au 31 mars 1970.
Dame Merenda a ouvert action en séparation de corps le 20 avril 1970. Le mari a conclu reconventionnellement au divorce.
Par jugement du 21 avril 1971, le Tribunal civil du district d'Yverdon, admettant l'action principale et l'action reconventionnelle, a prononcé le divorce, attribué les enfants à la mère, prononcé une interdiction de remariage de deux ans pour les deux époux et refusé à la femme toute rente, pension ou indemnité. Le Tribunal a jugé que la désunion était imputable par parts égales aux deux époux.
C.- Sur recours de la femme, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois, par arrêt du 29 octobre 1971, a réformé ce jugement en ce sens qu'elle a déclaré sans objet la demande en séparation de corps dès lors que la demande en divorce était accueillie. Elle a de plus condamné le mari à payer à la demanderesse une pension alimentaire mensuelle de 150 fr. jusqu'à la majorité de l'enfant Marc, de 300 fr. dès lors. Cet arrêt est motivé en substance comme il suit:
Sur le vu des faits retenus par les premiers juges, les torts des époux paraissent sensiblement égaux. S'il est certain que le mari a eu un comportement contraire aux obligations du mariage, la femme, par la suite, s'est mise à vivre d'une manière aussi

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indépendante que son mari, portant elle aussi atteinte au lien conjugal. Aussi bien la désunion n'est pas surtout imputable au mari, dont les torts ne sont pas prépondérants. Cela justifie que la demande en divorce du mari soit accueillie, ce qui rend sans objet la demande en séparation de corps.
Quant à la pension alimentaire, alors que le mari, dès le début du mariage, a eu une attitude critiquable, qu'en automne 1962, il a eu une relation suspecte avec dlle Biedermann, dame Merenda ne se voit rien reprocher jusqu'en 1968 au plus tôt, époque dès laquelle elle a mené une vie par trop indépendante. On ne saurait lui faire grief d'avoir mal géré les deniers du ménage, aucun fait n'autorisant une telle déduction. Commis à un moment où les parties vivaient déjà en mauvaise entente, ses manquements n'ont joué qu'un rôle secondaire. Ils apparaissent d'ailleurs manifestement comme la réaction d'une épouse frustrée à la provocation constituée par l'attitude à la fois indifférente et frivole du mari.
La cour cantonale a jugé ainsi réunies les conditions de l'art. 152 CC.
D.- Romano Merenda a formé contre cet arrêt un recours en réforme dans lequel il conclut à la suppression de la pension alimentaire.
L'intimée conclut au rejet du recours.
Les deux parties ont été mises au bénéfice de l'assistance judiciaire.
 
Considérant en droit:
Selon la jurisprudence (RO 95 II 290 in fine et les arrêts cités), les manquements même graves aux devoirs découlant du mariage, qui sont sans relation de causalité avec le divorce, n'entraînent pas la perte du droit à une pension alimentaire basée sur l'art. 152 CC, ni même une réduction de cette pension.
En revanche, l'époux dont la faute est en rapport de cause à effet avec la rupture du lien conjugal ne peut obtenir une pension alimentaire, à moins que son manquement n'ait joué qu'un rôle tout à fait secondaire dans la désunion ou ne soit que

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la réaction à de graves provocations; le juge lui accordera alors une pension alimentaire, mais en réduira le montant, s'il l'estime opportun (RO 85 II 11, 90 II 71). Cette jurisprudence a été critiquée par les professeurs MERZ (RJB 1960 p. 402 s.) et HINDERLING (Das schweizerische Ehescheidungsrecht, 3e éd., p. 141 s.), qui la jugent trop sévère et proposent de ne pas refuser une pension alimentaire à l'époux dans le besoin qui a certes contribué à la rupture du lien conjugal, mais dont la faute, sans être tout à fait secondaire au point qu'elle soit négligeable, apparaît comme relativement légère. Ces remarques ne manquent pas de pertinence.
Certes, sur le vu du texte légal, la jurisprudence actuelle constitue déjà une application très extensive de la notion d'époux innocent. Elle apparaît cependant encore trop rigide et conduit à des solutions inéquitables lorsque, en présence d'une faute caractérisée de l'autre époux, la faute du conjoint qui prétend à la pension, sans être "tout à fait secondaire" (völlig untergeordnet), est légère et n'a pas en soi de répercussions graves sur l'union conjugale.
La préoccupation d'ordre social à la base de l'art. 152 CC commande une solution plus nuancée, qui n'exclue pas toute pension dès qu'une faute, même légère, est en relation de causalité avec la désunion. Il convient de renoncer à voir dans la causalité entre la faute et la désunion un critère aussi absolu, ce d'autant plus que l'application de ce critère, dans la pratique, dépend d'appréciations difficiles, dont le résultat est parfois incertain. Il se justifie de tempérer la portée de ce facteur et de reconnaître la qualité d'époux innocent au conjoint dont la faute, légère, a joué un rôle secondaire (untergeordnete Rolle) dans la désunion. En pareil cas, le juge doit jouir d'un large pouvoir d'appréciation pour allouer une pension, éventuellement réduite, si les circonstances de la cause font apparaître inéquitable de laisser le conjoint divorcé dans le dénuement, lui faisant payer trop durement des manquements légers qui, en soi, et sans la faute prépondérante de l'autre conjoint ou l'existence de graves facteurs objectifs de désunion, n'auraient pas conduit au divorce.
2. En l'espèce, l'intimée, mariée très jeune, a affronté pendant quatorze ans les difficultés d'une union peu heureuse dès le début. Elle a bien élevé ses enfants. Elle a coopéré en travaillant au dehors à mettre à flot une situation financière

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fort précaire. Il serait choquant de lui refuser toute pension parce que, lassée par l'inconsistance d'un mari léger, frivole et égoïste, inconsistance qui s'est manifestée dès le début du mariage et a duré quatorze ans, elle a à son tour fait preuve d'indépendance et de légèreté. A cet égard, il convient de relever qu'il est assez normal qu'une femme dont le mari sort et lui manifeste une indifférence constante prenne, après quatorze ans, l'habitude de passer fréquemment ses soirées chez une voisine. En revanche, les absences de l'intimée en été et en automne 1969 sont la manifestation d'un détachement et d'un parti pris d'indépendance qui constituent des manquements aux devoirs conjugaux. Quant à l'incident de décembre 1969, où l'intimée a été vue dans un établissement public avec Schwertfeger, il se situe après qu'a été rendu le prononcé de mesures protectrices de l'union conjugale autorisant les parties à vivre séparées, procédure qui en soi est la manifestation d'une mésentente sérieuse entre les époux.
Sur le vu de l'ensemble des circonstances, et notamment de l'indifférence et des manquements durables du mari, de son attitude frivole dès le début du mariage, on doit considérer que les fautes de l'intimée sont légères. Commises à une époque où la mésentente est patente, ces fautes paraissent peu de chose en comparaison du comportement égoïste du mari. Elles ne sauraient donc faire perdre à l'intimée la qualité d'épouse innocente au sens de l'art. 152 CC.
Compte tenu de la diminution du pouvoir d'achat de la monnaie, du salaire du mari qui est de 1290 fr. net selon une attestation du 1er février 1971, cette pension est modeste eu égard encore au fait que l'intimée, pour des raisons de santé, ne travaille qu'à temps partiel, sans que l'on sache si elle pourra le faire régulièrement.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est rejeté et l'arrêt rendu le 29 octobre 1971 par la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois est confirmé.