34. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 6 juillet 1976 dans la cause Taulemesse contre Badoux.
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Regeste
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Haftung des Tierhalters (Art. 56 OR). Natur der Haftung, Entlastungsbeweis (Erw. 1). Adäquater Kausalzusammenhang (Erw. 2), Mitverschulden des Verletzten (Erw. 3).
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Genugtuung (Erw. 7).
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Sachverhalt
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BGE 102 II 232 (232):
A.- Robert Taulemesse, ressortissant français né le 24 février 1935, est négociant indépendant en grains, vins en gros, matériaux de construction et de charbon à Landos (Haute-Loire, France).
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BGE 102 II 232 (233):
En novembre 1969, il a effectué un voyage en Suisse romande. Le 10 novembre 1969, dans la matinée, alors qu'il marchait dans les bois du Jorat avec sa femme et des amis, il a décidé de se rendre au Chalet-des-Enfants, dont un promeneur lui avait signalé la proximité. Le Chalet-des-Enfants est un domaine agricole isolé qui comporte plusieurs bâtiments - dont un petit café-restaurant - qui appartient à la commune de Lausanne et qui est exploité par Adrien Badoux.
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Après avoir suivi la route qui relie le Chalet-à-Gobet au Chalet-des-Enfants, Taulemesse et ses amis ont emprunté sur leur gauche un sentier qui montait en oblique vers les bâtiments du domaine. Ce sentier, bien marqué, constituait un raccourci conduisant au café-restaurant depuis la route, et était habituellement utilisé par le fermier pour se rendre à une grange sise en contrebas du terre-plein où sont implantés les autres bâtiments de l'exploitation agricole. L'accès normal au café-restaurant du Chalet-des-Enfants se fait par la route, qui décrit un arc de cercle à gauche. Lorsque Taulemesse et ses amis se sont engagés sur ce sentier, d'autres personnes venant du café-restaurant le parcouraient en sens inverse. Il n'y avait pas d'avis d'interdiction de passer, ni aucune clôture ou pancarte marquant la limite entre la partie du terre-plein accessible aux clients du café-restaurant et celle réservée à l'agriculteur et à ses ouvriers.
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Arrivés en haut du sentier, Taulemesse et ses amis ont débouché sur le terre-plein qui forme une vaste cour, bordée d'immeubles de trois côtés. Ils voyaient à leur gauche, un peu en retrait, une grange avec une porte au milieu; devant la grange, à droite de la porte, soit tout à l'extrémité du terre-plein par rapport à leur sens de marche, il y avait un silo en construction. A la droite de Taulemesse, légèrement en arrière, se trouvait un long bâtiment comportant les écuries et la porcherie; en avant, l'habitation du fermier était prolongée par le café-restaurant et la terrasse de celui-ci. Taulemesse s'est dirigé vers le silo en construction, qui était implanté dans une fosse en ciment de 4 à 5 m de profondeur, bordée sur deux côtés (côté grange et côté restaurant) par un muret d'environ 40-50 cm de hauteur. Ce muret, visible depuis le terre-plein, était très proche de la paroi arrondie du silo à l'endroit où se trouvaient fixés des échelons donnant accès à BGE 102 II 232 (234):
une porte. Il y avait à proximité une latte rouge et blanche telle que celles que l'on utilise pour signaler les chantiers.
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Alors que Taulemesse et son ami Legrand passaient, en se dirigeant vers le silo, devant la porte de la grange restée ouverte, un gros chien de garde en est brusquement sorti. Ce chien, qui appartenait à Badoux, était attaché dans la grange par une chaîne lui permettant d'en sortir sur une distance de 3 à 4 m. Il s'est précipité sur Legrand et lui a déchiré son manteau. Pris de peur, Taulemesse s'est sauvé en courant en direction du silo, a franchi le muret et cherché à s'agripper aux échelons de l'échelle du silo, qu'il a manqués de justesse, tombant au fond de la fosse. Il en a été retiré par ses amis et un ouvrier de Badoux, puis porté dans la cuisine du restaurant du Chalet-des-Enfants.
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Atteint d'une fracture par tassement de la première vertèbre lombaire avec troubles neurologiques, Taulemesse a été hospitalisé à Lausanne jusqu'au 27 novembre 1969. Il a ensuite subi en France une opération et, durant quatre mois, un plâtrage de la racine des cuisses aux épaules, suivi d'une rééducation musculaire.
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B.- Après un commandement de payer notifié au début de novembre 1970, pour la somme de 52'000 fr., et frappé d'opposition totale, Taulemesse a ouvert action contre Badoux par demande du 11 mars 1971, en paiement de 59'210 fr. 02 avec intérêt à 5% dès le 1er janvier 1970, à titre de dommages-intérêts et d'indemnité pour tort moral.
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Le défendeur a conclu à libération. Il a évoqué en garantie la commune de Lausanne, en demandant qu'elle le relevât de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre lui.
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Le demandeur a augmenté ses conclusions le 17 avril 1973, réclamant le paiement de 188'928 fr. avec intérêt à 5% dès le 1er janvier 1970 en plus des 59'210 fr. 02.
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Le défendeur a excipé de prescription en ce qui concerne la somme de 188'928 fr.
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Par jugement du 3 février 1976, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a condamné le défendeur à payer au demandeur la somme de 19'092 fr. 96 avec intérêt à 5% l'an dès le 1er juillet 1970 sur 2'233 fr. 63, dès le 1er juillet 1970 sur 9'231 fr. 62 et dès le 1er avril 1972 sur 7'626 fr. 80. Elle a rejeté toutes autres conclusions, notamment celles du défendeur contre la commune de Lausanne.
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BGE 102 II 232 (235):
C.- Le demandeur recourt en réforme au Tribunal fédéral en reprenant les conclusions qu'il avait formulées en instance cantonale (paiement par le défendeur de 59'210 fr. 02 et 188'928 fr., avec intérêt à 5% dès le 1er janvier 1970 sur chacune de ces sommes; main-levée définitive de l'opposition faite par le défendeur au commandement de payer No 199659 de l'Office des poursuites de Lausanne-Est).
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Le défendeur a formé un recours joint, concluant au rejet de la demande.
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Considérant en droit:
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1. Selon l'art. 56 CO, en cas de dommage causé par un animal, la personne qui le détient est responsable, si elle ne prouve qu'elle l'a gardé et surveillé avec toute l'attention commandée par les circonstances ou que sa diligence n'eût pas empêché le dommage de se produire. Cette disposition institue une responsabilité causale ordinaire (ATF 85 II 246 s. consid. 2). Le détenteur est responsable dès qu'il a objectivement violé son devoir de diligence, même si subjectivement on ne peut lui faire de reproche. Il s'agit d'une responsabilité pour défaut de surveillance (OFTINGER, Schweizerisches Haftpflichtrecht, II/1, 2e éd., p. 182; DESCHENAUX/TERCIER, La responsabilité civile, p. 113, 1.1). La responsabilité du détenteur est en outre fondée sur des considérations d'équité: il serait trop rigoureux d'imposer à la victime la preuve d'une faute du détenteur, alors que celui-ci tire le plus souvent profit de l'animal; on a peut-être aussi tenu compte d'un certain risque lié à l'animal (DESCHENAUX/TERCIER, loc.cit.; cf. ATF 67 II 28).
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Le détenteur peut échapper à sa responsabilité en rapportant la preuve libératoire réservée par l'art. 56 CO: cette exception vise l'ensemble des mesures propres à empêcher l'animal de causer un dommage et que le détenteur pouvait être tenu de prendre (ATF 39 II 539, ATF 85 II 245). Le détenteur ne saurait se contenter d'établir qu'il s'est conformé à un usage. Le juge doit au contraire exiger la preuve stricte de l'exception libératoire (ATF 41 II 242, ATF 58 II 377, ATF 67 II 28 s., ATF 86 II 245).
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a) Les premiers juges considèrent avec raison qu'il faut déterminer si le défendeur a pris les mesures adéquates, en BGE 102 II 232 (236):
tenant compte de toutes les circonstances, et notamment du caractère mixte de son entreprise, qui comporte non seulement une exploitation agricole, mais aussi un café-restaurant ouvert au public. S'il était en soi légitime que le défendeur eût un chien de garde, vu que sa ferme est isolée, il devait prendre les mesures propres à écarter tout danger à l'égard des personnes fréquentant son établissement.
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aa) Le chien était attaché par une chaîne longue de plusieurs mètres. Cette précaution n'était cependant pas de nature à écarter tout danger. Le jugement déféré retient comme un fait notoire qu'un chien de garde est plus enclin à l'agressivité quand il est attaché que lorsqu'il est en liberté, l'instinct de défense de son territoire étant plus impérieux du fait de la limitation de son rayon d'action. En raison de la longueur de la chaîne, le chien pouvait se tenir à l'intérieur de la grange et n'être pas visible pour les clients se rendant au café-restaurant. En l'espèce, il se trouvait précisément dans la grange; le demandeur et Legrand ne l'ont pas vu. Les premiers juges estiment avec raison que l'accident ne se serait vraisemblablement pas produit si le chien du défendeur avait été attaché plus court.
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bb) La plaque portant "Attention au chien", fixée sur une paroi de la grange, était très étroite, de petite dimension et était peu visible pour les personnes débouchant du sentier emprunté par le demandeur. Ni lui ni Legrand ne l'ont d'ailleurs aperçue. Cette plaque ne constituait dès lors pas une mise en garde suffisante, propre à préserver les personnes se rendant au café-restaurant du danger d'être attaquées par le chien. La Cour cantonale estime que le défendeur aurait pu sans grands frais poser un écriteau plus grand ou en placer encore un autre de l'autre côté de la porte de la grange, pour indiquer d'une manière efficace aux clients de son établissement de faire attention au chien. Une telle indication aurait certes été utile en l'espèce. Mais l'opinion des premiers juges ne saurait être comprise en ce sens qu'il suffirait au détenteur de placer à l'endroit voulu une plaque "Attention au chien", d'une grandeur appropriée, pour échapper en toutes circonstances à la responsabilité instituée par l'art. 56 CO.
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cc) Selon le jugement déféré, on ne pouvait exiger du défendeur qu'il interdise aux piétons d'utiliser le sentier emprunté par le demandeur et les personnes qui l'accompagnaient BGE 102 II 232 (237):
ou qu'il clôture la partie du terrain où le chien avait accès; mais il aurait été prudent, en raison du caractère mixte du domaine, de marquer la limite entre le terrain librement accessible au public et l'exploitation agricole où se trouvait le chien; à cet effet, un écriteau placé en haut du sentier indiquant la direction à suivre pour arriver au restaurant, ou un avis indiquant qu'il s'agissait d'une exploitation agricole privée, aurait pu limiter le risque; de telles mesures auraient suffi à fonder l'exception libératoire de l'art. 56 CO.
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dd) Il n'est pas nécessaire de juger si les précautions mentionnées par la Cour cantonale auraient permis au détenteur du chien d'échapper à sa responsabilité selon l'art. 56 CO. Quoi qu'il en soit, le défendeur n'a pas établi qu'il a usé de toute l'attention commandée par les circonstances. Il était tenu de prendre les mesures propres à empêcher que les clients se rendant à son café-restaurant, sis à proximité immédiate de ses bâtiments ruraux, ne soient exposés au danger d'être attaqués par son chien de garde. L'accès aux bâtiments ruraux devait être interdit au public par un écriteau bien lisible, indiquant le chemin à suivre pour parvenir au café-restaurant sans passer par le terrain situé devant ces bâtiments. Le chien devait en outre être attaché de manière qu'il lui fût impossible d'attaquer des clients se trouvant dans un secteur où ils pouvaient accéder. La prudence commandait aussi qu'un écriteau de dimensions suffisantes et visible à une distance appropriée signalât au public de faire attention au chien. Le défendeur n'a dès lors pas rapporté la preuve stricte de l'exception libératoire, exigée selon la jurisprudence.
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En l'espèce, l'attaque du chien était propre, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à provoquer la frayeur du demandeur, sa fuite et sa chute dans la fosse du silo qui était toute proche, et partant les lésions corporelles BGE 102 II 232 (238):
qu'il a subies et le dommage qui en est résulté. Les premiers juges ont dès lors admis avec raison l'existence d'un rapport de causalité adéquate entre l'attaque du chien et le dommage.
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Le défendeur prétend que, si le demandeur et ses compagnons s'étaient dirigés non pas vers le silo mais vers le café-restaurant, le chien n'aurait pas été surpris et ne se serait pas élancé hors de la grange; la preuve en serait fournie par les personnes qui, sorties du café, avaient croisé le demandeur après avoir parcouru le terre-plein du café au sentier sans être inquiétées le moins du monde. Ce sentier, allègue encore le défendeur, a été emprunté maintes fois avant et après l'accident sans que jamais le chien ne trouble les personnes allant au café ou en revenant. Sur ces points, le jugement déféré ne contient cependant aucune constatation. Les faits invoqués par le recourant ne peuvent dès lors pas être pris en considération.
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Le défendeur voit dans le fait que le demandeur et Legrand se sont dirigés non vers le café-restaurant mais vers le silo en construction la "cause initiale" de l'accident. Selon lui, "ce fait explique aussi, en partie tout au moins, la fâcheuse résolution du demandeur de se jeter sur les échelons de la porte du silo alors que le simple bon sens lui commandait de s'écarter dans la direction du restaurant".
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Il est vrai que le demandeur, qui venait du sentier débouchant sur le terre-plein, aurait pu se rendre au café sans aller vers le silo ni passer devant la grange où se trouvait le chien. Mais rien ne lui indiquait qu'il ne devait pas s'approcher de ces constructions. Il pouvait dès lors se croire autorisé à circuler librement, sans danger, sur le terre-plein pour parvenir au café-restaurant, notamment à passer devant la grange et à proximité du silo, puis à longer le bâtiment à l'extrémité duquel se trouvaient l'auberge et la terrasse garnie de chaises et de tables. La petite plaque "Attention au chien" placée sur la paroi de la grange n'était en particulier guère visible, et il ne l'a pas aperçue. Rien ne permettait au demandeur et à ses amis de prévoir qu'un chien surgirait tout à coup de l'un des bâtiments entourant le terre-plein accessible au public et les attaquerait subrepticement. Or c'est cette attaque qui est à l'origine de l'accident. Le fait que le chien, qui se trouvait à l'intérieur de la grange et n'était pas visible, s'est précipité sur BGE 102 II 232 (239):
Legrand et a déchiré le manteau de celui-ci était propre, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à effrayer le demandeur, à le pousser à fuir en courant et à chercher à échapper à l'animal en grimpant à l'échelle du silo. Les lésions corporelles consécutives à sa chute dans la fosse sont ainsi en relation de causalité adéquate avec l'attaque du chien.
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Dans son recours, le demandeur critique sur ce point le jugement déféré et conteste qu'une faute concomitante puisse être retenue à sa charge.
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a) Selon l'art. 44 al. 1 CO, le juge peut réduire les dommages-intérêts ou n'en point allouer lorsque des faits dont la partie lésée est responsable ont contribué à créer le dommage, à l'augmenter, ou qu'ils ont aggravé la situation du débiteur. Cette disposition parle de "faits" dont la victime est responsable. Mais, en vertu du principe de la faute qui prévaut en responsabilité aquilienne, ces faits doivent pouvoir être imputés à faute à la victime; il faut que celle-ci ait eu subjectivement un comportement répréhensible (DESCHENAUX/TERCIER, op.cit., p. 85, 4.1.1, p. 86, 4.2.1). La faute concomitante suppose une négligence de la part du lésé, le degré de la diligence que l'on pouvait exiger de lui s'appréciant objectivement BGE 102 II 232 (240):
d'après les circonstances concrètes (cf. DESCHENAUX/TERCIER, op.cit., p. 86, 4.2.1, p. 82, 2.2.2; OFTINGER, I, 4e éd., pp. 160, 162).
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Ne commet dès lors pas une telle faute la personne qui, pour échapper à un danger auquel elle est subitement exposée, sans qu'il lui soit imputable, effectue sous la pression de l'événement, dans le laps de temps très court dont elle dispose, une manoeuvre qui se révèle après coup inopportune, inadaptée à la situation ou maladroite (cf. OFTINGER, I, 4e éd., p. 162). Vu les circonstances défavorables dans lesquelles se trouve soudainement cette personne et la hâte dans laquelle elle doit agir, on ne peut lui reprocher un manque de diligence si, pour se soustraire au péril dont elle se sent brusquement menacée sans faute de sa part, elle opère dans la précipitation un mouvement qui, à la réflexion, apparaît avoir été inapproprié, voire contre-indiqué (cf. ATF 56 II 125).
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b) En l'espèce, on ne saurait faire grief au demandeur de s'être dirigé vers le silo pour se rendre à l'auberge, puisqu'il n'y avait aucun avis indiquant au public de ne pas s'approcher des bâtiments agricoles et que les clients du café-restaurant avaient libre accès au terre-plein. Le demandeur ne savait pas qu'un chien de garde se tenait dans la grange; il ne connaissait pas les lieux et ignorait en particulier que derrière le muret se trouvait une fosse en ciment de 4 à 5 m de profondeur, dans laquelle le silo était construit. Le jugement déféré constate qu'il fallait se pencher par-dessus le muret pour se rendre compte de la profondeur de la fosse. Rien n'indique que le demandeur l'ait fait, avant l'attaque du chien. Il ne voyait donc que le muret, le silo et l'échelle qui y était installée.
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Lorsque le chien a bondi subrepticement hors de la grange et s'est jeté sur Legrand dont il a déchiré le manteau, le demandeur a été pris de peur et a cherché à échapper à l'attaque de l'animal en courant vers le silo et en tentant de grimper à l'échelle. Cette réaction n'apparaît certes pas la mieux appropriée à celui qui examine après coup les circonstances de l'accident et réfléchit aux possibilités qui se présentaient au demandeur pour se soustraire au péril dont il se sentait menacé. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'il n'avait pas le temps de la réflexion, qu'il était sous le coup de la frayeur provoquée par l'attaque du chien contre Legrand et qu'il devait agir très vite; au surplus, le jugement déféré ne BGE 102 II 232 (241):
constate pas que le demandeur ait vu que le chien était attaché. Dans ces conditions, il pouvait ne pas réaliser qu'en courant vers le silo, il restait dans un rayon où le chien pouvait encore l'atteindre. Il a fui dans cette direction pour grimper à l'échelle fixée au silo, pensant se placer ainsi hors d'atteinte du chien, qui notoirement ne pouvait pas gravir une échelle. La manoeuvre du demandeur n'était pas absurde, quand bien même il se serait mis plus efficacement en sécurité en courant vers le café-restaurant.
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c) Peu importe que le demandeur n'ait pas prouvé que le chien l'empêchait d'aller dans une autre direction que celle du silo. Le fardeau de la preuve d'une faute concomitante de la victime incombait au défendeur (art. 8 CC). Il n'est pas non plus décisif que le demandeur n'ait pas prouvé que le chien l'aurait attaqué ou poursuivi vers le silo. Du moment que l'animal s'était jeté sur Legrand et lui avait arraché son manteau, le demandeur avait tout lieu de se sentir en danger et de craindre d'être lui aussi attaqué. Sa réaction de fuite, pour se soustraire à une telle attaque, était dès lors instinctive et pleinement normale.
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d) Le fait que, dans sa hâte d'échapper au chien qui s'était jeté soudainement sur Legrand, le demandeur a été malhabile et n'a pas réussi à saisir les échelons fixés sur le silo ne peut lui être imputé à faute. Cette maladresse ne constitue pas une négligence, vu la frayeur et le désarroi provoqués par l'attaque du chien et la précipitation dans laquelle le demandeur a dû faire sa manoeuvre.
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Aucune faute concomitante ne peut dès lors être retenue à la charge du demandeur, ce qui entraîne le rejet du recours joint du défendeur.
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c) Il n'est pas décisif que, malgré les séquelles permanentes de l'accident dont le demandeur est atteint et l'invalidité qui en résulte, le rendement de son entreprise n'ait pas baissé et qu'il ait même suivi une progression jugée normale par l'expert-comptable.
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Le demandeur n'est pas seul à travailler dans l'entreprise. Il BGE 102 II 232 (242):
a des employés (au nombre de trois avant l'accident et de quatre pendant son incapacité totale de travail) qui s'occupent des livraisons par camion et de la manutention; sa femme accomplit des tâches administratives; depuis l'accident, il a en outre une secrétaire. Mais le demandeur ne peut plus conduire un camion en dehors d'un rayon de 20 km, ni soulever des charges supérieures à 10 ou 20 kg. Il ne peut plus se déplacer en camion auprès de ses fournisseurs, qui sont en même temps ses clients; or cette activité, qu'il accomplissait avant l'accident, était selon l'expert-comptable aussi importante pour la bonne marche de l'entreprise que les travaux administratifs exécutés par le demandeur et que les contacts qu'il a depuis son bureau avec d'autres catégories de clients.
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L'expert-comptable se borne à constater que, malgré l'invalidité du demandeur, les affaires de son entreprise ont suivi une progression linéaire qui n'a pas été influencée par les séquelles permanentes de l'accident. Mais il ne dit pas que l'entreprise n'aurait pas été encore plus prospère et de meilleur rendement si le demandeur avait conservé sa pleine capacité de travail. Or il y a lieu d'admettre, selon le cours normal des choses, que tel aurait été le cas. D'autre part, en cas d'évolution défavorable des conditions économiques, l'entreprise pourrait mieux faire face à la situation si la capacité de travail de son chef n'était pas réduite dans une mesure notable. A l'époque de l'accident, le demandeur avait 44 ans. L'activité physique qu'il déployait dans son travail aurait pu, sans l'accident, continuer encore pendant bien des années, même si elle était appelée à diminuer avec l'âge ainsi que le relève le jugement déféré. Si les séquelles permanentes de l'accident n'ont pas de répercussion sur les capacités intellectuelles du demandeur, il reste que les douleurs quasi constantes dont il souffre - sauf en position couchée - dans la région dorso-lombaire, de même que la méralgie droite, constituent une gène qui est de nature à influer défavorablement sur son activité commerciale et administrative. On doit enfin considérer que si le demandeur devait changer de profession et s'adonner à une autre activité lucrative, son invalidité constituerait un handicap certain. Compte tenu de tous ces éléments, il y a lieu d'arrêter à 20% le degré de l'atteinte portée à l'avenir économique du demandeur, résultant de l'invalidité médicale fixée à 35% par le Dr Borel.
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BGE 102 II 232 (243):
7. Du moment qu'aucune faute concomitante n'est retenue à la charge du demandeur, le motif tiré d'une faute prépondérante, admis par la Cour cantonale pour lui refuser une indemnité à titre de réparation morale, tombe.
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La gravité de la faute de l'auteur du dommage n'est pas une condition de l'allocation d'une indemnité pour tort moral à la victime de lésions corporelles, selon l'art. 47 CO, lorsqu'on est en présence d'une responsabilité causale (ATF 74 II 210 ss consid. 8, ATF 81 II 518 consid. 5, ATF 88 II 528 consid. 5). La responsabilité du défendeur comme détenteur d'animal, en vertu de l'art. 56 CO, est une responsabilité causale ordinaire. Au surplus, il a commis une faute qui justifie qu'une indemnité pour tort moral soit allouée au demandeur.
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Vu les lésions graves subies par ce dernier, les douleurs qu'il a endurées et celles dont il souffre d'une manière quasi constante, la durée de ses hospitalisations, les traitements et l'opération auxquels il a dû se soumettre et l'invalidité dont il est atteint, il y a lieu de fixer à 8'000 fr. l'indemnité pour tort moral qui lui est due.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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Rejette le recours joint du défendeur. Admet le recours du demandeur, annule le jugement attaqué et renvoie la cause à la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud pour nouveau jugement dans le sens des considérants.
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