BGE 108 II 247 |
52. Arrêt de la IIe Cour civile du 18 août 1982 dans la cause Bonvin contre Conseil d'Etat du canton du Valais (recours en réforme) |
Regeste |
Namensänderung (Art. 30 Abs. 1 ZGB). |
Sachverhalt |
Les époux Bonvin-von Stockalper ont demandé au Conseil d'Etat du canton du Valais d'autoriser leurs fils à porter le nom de von Stockalper, pour éviter que le patronyme von Stockalper ne s'éteignît faute de descendants mâles.
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La famille von Stockalper a donné au Valais de nombreux magistrats, chefs militaires et dignitaires religieux (cf. Almanach généalogique suisse 1936, p. 684-695). Elle établit avec précision son ascendance dès la fin du XVe siècle, mais aurait déjà été anoblie par Charlemagne, vers l'an 800. Son représentant le plus illustre est Gaspard-Jodoc (1609-1691), dit le Grand Stockalper, qui joua un rôle économique et politique capital. On lui doit notamment le canal Stockalper, de Vouvry à Collombey, le château de Brigue, l'ancien hospice du col du Simplon et la tour fortifiée de Gondo. Il fut fait chevalier romain par le nonce du pape, reçut de l'empereur Ferdinand III la dignité de chevalier de l'Empire et obtint du duc Charles-Emmanuel de Savoie la baronnie de Duin, en Genevois; le roi de France l'avait décoré des ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit.
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Le dernier représentant mâle de la famille était le Dr Adrien von Stockalper, médecin à Lucerne (1888-1978), du premier rameau de la deuxième branche. Viviane Catherine Bonvin est la fille de Pierre von Stockalper (1904-1967), fils de Joseph (1868-1955), représentants de la première branche.
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B.- Le Conseil d'Etat a rejeté la requête.
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C.- Alexandre-Gaspard et William-André Bonvin, représentés par leurs père et mère, ont recouru en réforme au Tribunal fédéral. Ils demandaient que la décision cantonale fût annulée et leur requête admise. Le recours a été rejeté.
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Extrait des considérants: |
4. a) Lors de la modification de l'art. 30 CC, le Conseil fédéral avait envisagé d'énumérer des cas de justes motifs, à titre d'exemples, et proposait le texte suivant (FF 1974 II 135; cf. p. 95): |
"Il a y justes motifs, en particulier:
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1. Lorsque le requérant est entravé dans l'existence par un nom ridicule ou choquant;
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2. Lorsque le requérant perd ensuite de divorce le nom de famille qu'il portait et que les enfants issus du mariage lui sont attribués, ou lorsque le mariage a duré longtemps, ou lorsque des intérêts professionnels sont lésés;
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3. Lorsque le requérant mineur porte un autre nom de famille que le père ou la mère sous l'autorité parentale ou sous la garde duquel il est élevé;
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4. Lorsque le mineur est élevé chez des parents nourriciers."
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Sur proposition du conseiller national Bonnard, le Conseil national a supprimé ce texte, non parce qu'il ne correspondait pas à la conception usuelle de justes motifs, mais seulement par souci de ne pas alourdir la législation et ne pas restreindre le pouvoir d'appréciation de l'autorité cantonale et de la juridiction fédérale de réforme (Bulletin officiel de l'Assemblée fédérale, Conseil national, 1975, p. 1791).
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b) Avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1978, de l'art. 30 CC dans sa nouvelle teneur, le Tribunal fédéral, dont le pouvoir se bornait à la censure de l'arbitraire, a énoncé les principes suivants: "En règle générale, on admet l'existence de justes motifs pouvant fonder un changement de nom lorsque le nom légal cause à la partie requérante un préjudice sérieux et durable; il ne s'agit cependant pas là d'une condition nécessaire, car l'autorisation de changement de nom peut également être justifiée par des intérêts d'ordre moral, spirituel ou affectif." (ATF 98 Ia 452 consid. 2). Ces principes demeurent valables dans le cadre du recours en réforme (ATF 108 II 4 consid. 5a, 105 II 243 consid. I 2).
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Statuant depuis le 1er janvier 1978 comme juridiction de réforme, le Tribunal fédéral a posé comme prémisses qu'il faut un intérêt légitime au changement l'emportant manifestement sur l'intérêt public à l'immutabilité du nom (ATF 105 II 243 consid. I 3, 249 consid. 3). Il a autorisé un changement de nom pour un intérêt d'ordre moral, spirituel ou affectif s'agissant d'enfants nés hors mariage qui demandaient à porter le patronyme de leur père vivant en concubinage avec leur mère, afin d'éviter qu'apparût leur condition d'enfants de parents non mariés (ATF 105 I 244ss consid. II 1-4, 249 ss consid. 4-7), pourvu que l'union des concubins fût durable (ATF 107 II 290), et s'agissant d'un adopté majeur qui tenait à reprendre son nom antérieur, révélateur d'une identité religieuse et culturelle à laquelle il était profondément attaché (ATF 108 II 4 ss consid. 5). Il a aussi relevé incidemment qu'une femme divorcée peut avoir un intérêt affectif ou moral à reprendre le nom de son ex-mari lorsqu'elle vit avec les enfants mineurs issus du mariage et veut porter le même nom qu'eux (ATF 105 II 69 consid. 5). |
c) Analysant la jurisprudence fédérale et les pratiques cantonales, la doctrine relève que les justes motifs doivent résider dans les circonstances personnelles du requérant (HAFTER, n. 5 ad art. 30 CC), plus précisément lorsque le nom entraîne, pour celui qui le porte, une atteinte aux droits de la personnalité (ROGGWILLER, op.cit., p. 92 ss; P. MÜLLER, Die Namensänderung nach Art. 30 ZGB, thèse Zurich 1972, p. 22). Le cas le plus souvent cité est celui où le requérant porte un nom inadapté, ridicule, choquant ou odieux (EGGER, n. 5 ad art. 30 CC; GROSSEN, Les personnes physiques, Traité de droit civil suisse, II, 2, p. 61; TUOR/SCHNYDER, Das schweizerische Zivilgesetzbuch, 9e éd., p. 89; J. GUINAND, L'évolution de la jurisprudence en matière de changement de nom, Revue de l'état civil 48 (1980) p. 353; M. PEDRAZZINI, Grundriss des Personenrechts, Berne 1982, p. 151; cf. ATF 98 Ia 458 ss). Sont également pris en considération des motifs familiaux tenant notamment à la situation de l'enfant né hors mariage ou de celui dont les parents sont divorcés, ainsi que des motifs professionnels, si un changement de nom imposé par la loi entraîne un désavantage patrimonial qui peut être réparé par le maintien du nom porté auparavant (cf., en particulier, EGGER, n. 6-7 ad art. 30 CC; MÜLLER, op.cit., p. 23; TUOR/SCHNYDER, op.cit., p. 89/90; GUINAND, op.cit., p. 353/354; M. PEDRAZZINI, op.cit., p. 151/152).
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d) Au terme de cet examen de la genèse de la loi, de la jurisprudence et de la doctrine, on constate que, s'il n'y a pas unanimité quant à l'étendue des justes motifs, un critère d'appréciation est en revanche toujours le même: c'est l'intérêt du requérant, en tant qu'individu, et de lui seul, qui est pris en considération. Quand il est tenu compte de l'appartenance à un groupe familial - composé du père, de la mère et de leurs enfants mineurs - c'est dans la mesure où le requérant lui-même a un intérêt à manifester cette appartenance.
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Il ressort de cet arrêt que Paul Spiess, fils de Karl Spiess et de son ex-épouse Rachel Eynard, avait obtenu du Conseil d'Etat du canton de Berne l'autorisation de changer de nom pour porter celui de Eynard. Il avait fait valoir que, seul descendant mâle, en Suisse, de la vieille et illustre famille Eynard, de Genève, il était particulièrement qualifié pour la perpétuer: le changement de nom sollicité constituait, selon le requérant, un hommage rendu aux ancêtres de la mère et du fils. Le Tribunal fédéral dit à cet égard que le nom n'a pas pour seule fonction de désigner une personne, mais rattache aussi son possesseur à une famille: le fait d'appartenir à une famille est un bien personnel susceptible de protection légale, pour autant que la famille transfère, au moyen de l'hérédité, de l'éducation et de la tradition, des valeurs réelles ou supposées telles, notamment un certain prestige dans la société et des chances de réussite dans la vie (ATF 52 II 106 consid. 2). |
Toutefois, dans la cause Eynard, comme dans d'autres causes relatives à des noms de familles célèbres ou importantes (ATF 60 II 387ss, ATF 67 II 191ss) le Tribunal fédéral n'intervenait pas pour contrôler l'application de l'art. 30 al. 1 CC, mais dans le cadre de l'action de l'art. 30 al. 3 CC. Il prenait donc en considération l'intérêt du porteur du nom à ne pas voir son patronyme attribué à un tiers, et non pas l'intérêt du tiers à s'en parer. Dans l'affaire Eynard, notamment, la question de savoir si le nom ne risquait pas, comme en l'espèce, de s'éteindre en tombant en quenouille ne se posait pas: le demandeur, domicilié à l'étranger, avait un fils (ATF 52 II 107/108).
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On ne saurait donc tirer de cet arrêt la conclusion que l'on peut retenir, parmi les justes motifs de l'art. 30 al. 1 CC, non pas seulement les intérêts personnels du requérant lui-même, en tant qu'individu, mais aussi l'intérêt de la famille au sens large, voire ceux de la communauté, à ce qu'un nom illustre ne disparaisse pas.
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b) Certes, la préoccupation de ne pas voir s'éteindre un nom a pu avoir un certain poids il y a encore cinquante ou soixante ans: c'est ce qui ressort de la décision prise en 1923 par le Conseil d'Etat du canton de Berne dans l'affaire Eynard et de deux espèces (citées par EGGER, n. 5 in fine ad art. 30 CC) dans lesquelles des autorités cantonales avaient admis comme justes motifs le désir de reprendre la graphie originelle d'un ancien patronyme, d'une part (Conseil d'Etat du canton de Zurich, 1922, résumé dans Der Zivilstandsbeamte 12 (1923) p. 616), et, d'autre part, le souci de ne pas laisser disparaître le patronyme de la mère du requérant, en donnant à ce dernier l'autorisation de porter un double nom (Conseil d'Etat de Bâle-Ville, résumé dans Der Zivilstandsbeamte 17 (1928) p. 470/471, décision prise en 1887, soit sous l'empire du droit civil cantonal). Mais tel n'est plus le cas actuellement: c'est aujourd'hui, on l'a vu, tout au plus, la "petite famille" qui est prise en considération, soit la communauté des père et mère et de leurs enfants mineurs. |
Une telle évolution des moeurs est illustrée par la jurisprudence fédérale, précisément à propos du changement de nom. En 1950, la IIe Cour civile a dit incidemment que, si le père, qui a le droit de s'exprimer au sujet du changement de nom de ses enfants mineurs, est décédé, ce droit passe aux grands-parents, respectivement aux oncles et tantes du requérant (ATF 76 II 342 consid. 2). Mais, en 1979, la Ire Cour de droit public a expressément écarté une telle possibilité, jugeant qu'elle ne correspond plus à l'état des moeurs (ATF 105 Ia 284). Elle relève que l'opinion soutenue par la IIe Cour civile était justifiée par les caractéristiques de la cellule familiale de l'époque, où les relations personnelles et les liens entre parents étaient généralement bien plus intenses. Actuellement, en revanche, dit la Cour, ces liens se sont relâchés et les grandes familles de type patriarcal, où les grands-parents et tous leurs descendants vivent encore ensemble, sont devenues l'exception. Certes, le grand-parent pourrait aussi s'opposer au changement de nom envisagé en avançant des arguments compréhensibles et dignes d'intérêt, tels que la compassion et le respect envers un enfant défunt, ou encore le désir de voir sa lignée se poursuivre, mais ces motifs sont d'ordre affectif; ils ne ressortissent plus au droit et, partant, ne permettent pas au grand-parent de se prévaloir d'un intérêt juridique digne de protection dans une procédure de changement de nom: selon les conceptions modernes, ce qui est déterminant dans de telles circonstances, c'est l'intérêt de l'enfant. La Ire Cour de droit public se réfère notamment à un arrêt de 1971 (ATF 97 I 623), dans lequel les mêmes motifs de piété et le désir de voir durer son nom ont été jugés insuffisants pour permettre au propre père d'un enfant majeur de s'opposer au changement de nom de ce dernier: ce qui fonde le droit du père à s'exprimer au sujet d'un changement de nom, c'est qu'il doit pourvoir à l'entretien de son enfant et qu'il a le droit d'avoir des relations personnelles avec lui.
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Ainsi, en l'état actuel de la jurisprudence, l'intérêt de la famille au sens large est un intérêt de pur fait, que le droit ne sanctionne pas.
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Une telle conception des choses apparaît également dans la modification apportée à l'art. 30 al. 1 CC par la loi fédérale du 25 juin 1976, quand la compétence pour autoriser le changement de nom a été transférée du gouvernement du canton d'origine du requérant au gouvernement du canton de domicile. Le gouvernement du canton d'origine peut être soucieux de la conservation des noms en usage sur son territoire et ainsi empêcher que ne s'éteignent des patronymes. Mais une telle préoccupation n'est pas même évoquée dans le message du 5 juin 1974: on y lit, au contraire, que le nom de famille touche en premier lieu les intérêts du requérant et que le gouvernement du canton de domicile est mieux à même d'en juger que le gouvernement du canton d'origine, avec lequel le requérant n'a souvent plus aucun rapport (FF 1974 II 95). Ce point de vue n'a été l'objet d'aucune remarque, ni lors des débats aux Chambres, ni, par la suite, dans la doctrine et la jurisprudence: l'accent est mis sur le fait que les autorités du canton de domicile connaissent les circonstances personnelles au requérant (cf. ATF 108 II 2 consid. 2 et les références). |
c) D'après ce qui précède, on ne saurait dire qu'en ne tenant pas compte de l'intérêt de la famille von Stockalper à ne pas voir son nom s'éteindre, le Conseil d'Etat valaisan n'a pas usé de son pouvoir d'appréciation dans l'esprit de la règle appliquée (cf. ATF 107 II 289 et les références): un tel intérêt n'est pas un juste motif au sens de l'art. 30 al. 1 CC.
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Les intérêts individuels des requérants devant seuls être pris en considération, l'autorité cantonale aurait pu se dispenser de demander à des tiers (parents, communes et bourgeoisies d'origine des Stockalper) s'ils partageaient le désir de voir survivre le patronyme Stockalper: de telles démarches étaient inutiles.
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Par ailleurs, pour justifier leur demande de porter le nom de von Stockalper, les requérants ne se prévalent d'aucun élément qui leur soit personnel et qui ait trait à leur individualité. Ils n'affirment même pas attendre une amélioration de leur position sociale et de leurs perspectives d'avenir s'ils sont parés d'un nom illustre. On n'a donc pas à examiner si une telle prétention pourrait se qualifier de juste motif au sens de l'art. 30 al. 1 CC, pour autant qu'elle serait légitime au regard de l'art. 4 al. 1 deuxième phrase Cst. |