32. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 19 avril 1994 dans la cause Westland Helicopters Limited contre The Arab British Helicopter Company (ABH) et Tribunal arbitral (recours de droit public)
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Regeste
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Internationale Schiedsgerichtsbarkeit; negative Feststellungsklage; "ne ultra petita partium" (Art. 190 Abs. 2 lit. c IPRG).
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Sachverhalt
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BGE 120 II 172 (173):
A.- Le 29 avril 1975, la République Arabe d'Egypte (RAE), le Royaume d'Arabie Saoudite (RAS), l'Etat du Qatar et les Emirats Arabes Unis (EAU) ont conclu un traité en vue de la fondation d'un organisme supranational, doté de la personnalité juridique, appelé "The Arab Organization for Industrialization" (AOI). Cet organisme avait pour but de développer une industrie à caractère militaire dans les pays arabes.
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Le 27 février 1978, l'AOI et la société britannique Westland Helicopters Limited (WHL) ont signé, entre autres contrats, un "Shareholders Agreement" ayant pour objet leur participation commune à une société par actions, dénommée "The Arab British Helicopter Company" (ABH), dont le but devait consister dans la fabrication d'hélicoptères en Egypte et la vente des appareils. Cette convention comprenait une clause arbitrale.
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A la même date, WHL et l'ABH ont conclu une série de contrats (contrats de licence, d'assistance technique et de fourniture de matériel) contenant tous une clause similaire.
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B.- Le 26 mars 1979, la RAE a signé avec l'Etat d'Israël un accord impliquant la cessation des hostilités entre ces deux pays. Ce faisant, elle est entrée en conflit avec les autres membres de l'AOI, qui décidèrent de mettre fin à l'existence de cet organisme, avec effet au 1er juillet 1979, et de le liquider.
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Après l'échec de pourparlers, WHL prit note de la rupture et notifia, en juillet 1979, sa décision de réclamer des dommages-intérêts à l'AOI dissoute et aux Etats membres. Le 12 mai 1980, elle déposa auprès de la Chambre de Commerce Internationale (CCI), à Paris, une requête d'arbitrage dirigée contre l'AOI en liquidation, les quatre Etats membres de cette organisation et l'ABH. Le 29 octobre 1980, la Cour d'arbitrage de la CCI BGE 120 II 172 (174):
constitua un tribunal arbitral de trois membres. Le siège de l'arbitrage fut fixé à Genève.
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La procédure arbitrale fut émaillée d'incidents divers. L'un d'eux avait trait à la compétence du Tribunal arbitral. Statuant le 5 mars 1984, celui-ci se déclara compétent à l'égard de toutes les parties défenderesses. La RAE recourut avec succès contre la sentence incidente rendue à cette date et fut mise hors de cause, motif pris de ce que cette défenderesse - à l'instar des EAU, du RAS et du Qatar, lesquels Etats n'avaient toutefois pas attaqué ladite sentence - n'était pas liée par les clauses compromissoires figurant dans les contrats conclus par l'AOI et l'ABH avec WHL. En revanche, l'AOI et l'ABH recoururent en vain contre cette sentence incidente.
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Le 21 juin 1991, le Tribunal arbitral rendit une sentence partielle dans le dispositif de laquelle il constata que les différents contrats conclus par WHL avec l'AOI et l'ABH constituaient un tout indissociable (ch. 1), que l'AOI était responsable de leur inexécution et du dommage qui en était résulté pour WHL (ch. 2), et que le RAS, les EAU et le Qatar étaient responsables - solidairement entre eux, mais subsidiairement par rapport à l'AOI - du paiement des dommages-intérêts qui seraient alloués à WHL (ch. 3 et 4), dommages-intérêts dont le montant serait fixé dans la sentence finale (ch. 7). Quant à WHL, le Tribunal arbitral admit qu'elle était fondée à ne plus exécuter les contrats conclus par elle avec l'ABH (ch. 5) et qu'elle n'assumait aucune responsabilité envers cette dernière (ch. 6).
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Après de nouveaux rebondissements procéduraux, le Tribunal arbitral rendit sa sentence finale le 28 juin 1993. Il condamna l'AOI, à titre principal, ainsi que les EAU, le RAS et le Qatar, à titre subsidiaire et solidairement entre eux, à payer à WHL un montant total de 364'747'000 £, intérêts en sus. Il dénia, en outre, à WHL le droit de compenser ses propres créances avec celles de l'ABH tendant au remboursement du solde des avances qu'elle lui avait versées pour l'exécution des contrats litigieux, sans toutefois ordonner la restitution de ces avances, faute d'une conclusion condamnatoire prise par l'ABH. Les frais de la procédure arbitrale furent mis, pour l'essentiel, à la charge de l'AOI et des trois Etats défendeurs.
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C.- WHL attaque la sentence finale par la voie d'un recours de droit public, au sens de l'art. 85 let. c OJ en liaison avec l'art. 190 al. 2 let. c LDIP (RS 291), dirigé contre l'ABH. Elle conclut à l'annulation partielle de ladite sentence, en tant qu'elle constate sa qualité de débitrice de l'intimée et lui dénie le droit de compenser ses propres BGE 120 II 172 (175):
créances avec la créance de cette dernière. A l'appui de son recours, WHL fait valoir, en substance, que le Tribunal arbitral a statué ultra ou extra petita, étant donné qu'elle ne l'aurait saisi d'aucune conclusion dirigée contre l'ABH et que celle-ci n'aurait pas non plus pris la moindre conclusion reconventionnelle tendant à la constatation positive de l'existence d'une dette de WHL à son égard.
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Extrait des considérants:
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3. a) L'art. 190 al. 2 let. c LDIP permet d'attaquer une sentence lorsque le tribunal arbitral a statué au-delà des demandes dont il était saisi. Tombent sous le coup de cette disposition les sentences qui allouent plus ou autre chose que ce qui a été demandé (ultra ou extra petita), conformément à l'interprétation qu'en a faite le Tribunal fédéral, qui a donné la préférence au texte français de la loi (ATF 116 II 639 consid. 3a). La règle "ne eat judex ultra petita partium" garantit un aspect particulier du droit d'être entendu, dans la mesure où elle interdit au tribunal arbitral d'inclure dans sa sentence des prétentions (ou une partie d'entre elles) sur lesquelles les parties n'ont peut-être pas eu l'occasion de s'exprimer en fait et en droit (ATF 116 II 80 consid. 3a). Cependant, en vertu du principe "jura novit curia", dès l'instant où une conclusion est motivée de manière suffisante, le juge - quel qu'il soit - est tenu d'appliquer le droit d'office, sans se limiter aux motifs avancés par les parties. Par conséquent, il ne statue pas ultra ou extra petita s'il retient des moyens de droit qui n'ont pas été invoqués, car il ne procède, dans une telle hypothèse, qu'à une nouvelle qualification des faits de la cause (arrêt non publié du 30 avril 1992, dans la cause 4P.273/1991, consid. 2a; voir aussi: POUDRET, COJ, n. 3.3 ad art. 63 OJ).
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Dans un arrêt du 28 avril 1992, cité par la recourante, le Tribunal fédéral a admis qu'un tribunal arbitral avait statué ultra petita en ne se limitant pas au rejet de la conclusion du demandeur tendant à faire constater l'inexistence de la dette litigieuse, mais en condamnant de surcroît ce demandeur à régler son dû bien que le défendeur n'eût pris aucune conclusion à cette fin (consid. 2b, non publié, de l' ATF 118 II 193). La présente affaire se distingue de celle qui a donné lieu au prononcé de cet arrêt en ce sens que le Tribunal arbitral s'est borné à constater l'existence de la dette et n'a pas condamné le débiteur à en payer le montant au créancier. Avant d'examiner les conclusions topiques qui ont été formulées dans le cas concret, il importe de trancher, au préalable, la question de savoir si l'interdiction de statuer ultra petita est violée par BGE 120 II 172 (176):
le tribunal qui rejette une action en constatation de droit négative qu'il estime mal fondée en constatant l'existence de la dette litigieuse dans le dispositif de son jugement.
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Le jugement rendu sur une action en constatation de droit, étant donné l'autorité de la chose jugée qui s'y attache, lève, une fois pour toutes, l'incertitude qui règne entre les parties au sujet du rapport de droit litigieux (ATF 99 II 172 consid. 2). Il n'en va pas différemment lorsqu'il fait suite à une action négatoire de droit, dans la mesure où, là aussi, il dissipe définitivement les doutes des parties touchant leurs relations juridiques et s'oppose à ce que des prétentions puissent être déduites ultérieurement en justice du rapport de droit dont l'inexistence a été constatée (ATF 42 II 696 consid. 4). A cet égard - du moins lorsque le tribunal s'est effectivement prononcé sur l'existence du rapport de droit litigieux dans les motifs de son jugement -, il est incontesté que l'autorité de la chose jugée dont est revêtu le jugement constatatoire ne dépend pas de la répartition des rôles entre les parties et qu'elle découle donc aussi bien du jugement porté sur une action en constatation de droit positive que du jugement rendu sur une action négatoire de droit (KUMMER, das Klagerecht und die materielle Rechtskraft im schweizerischen Recht, p. 81; WALTER, Zur Abweisung einer negativen Feststellungsklage, in RJB 123/1987, p. 553 ss; ROSENBERG/SCHWAB/GOTTWALD, Zivilprozessrecht, 15e éd., p. 518; ARENS, Zur Problematik von non-liquet-Entscheidungen, in FS Müller-Freienfels, p. 13 ss). En d'autres termes, le jugement sur le fond qui admet une action en constatation de droit positive et celui qui rejette une action en constatation de droit négative établissent tous deux définitivement l'existence du rapport juridique en cause. (ROSENBERG/SCHWAB/GOTTWALD, loc.cit.). Peu importe donc, sous cet angle, que la juridiction saisie d'une action négatoire de droit qu'elle estime infondée, la rejette dans le dispositif de son jugement ou y constate l'existence du rapport de droit litigieux. Dans l'un et l'autre cas, l'objet de la constatation est le même, sauf à dire que la chose constatée ressort directement du dispositif du jugement dans la seconde hypothèse, alors qu'elle en appert indirectement dans la première, par le rapprochement entre le dispositif et les motifs qui le sous-tendent (ATF 116 II 615 consid. 5a). Il suit de là qu'une constatation positive, dans le sens sus-indiqué, ne viole pas le principe ne ultra petita partium.
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