BGE 102 IV 273
 
64. Arrêt de la Cour de cassation pénale du 24 septembre 1976 dans la cause A. contre Ministère public du canton de Vaud
 
Regeste
Art. 194 StGB. "Verführen" im Sinne dieser Vorschrift heisst auf den Willen des Unmündigen einen bestimmenden Einfluss ausüben (Bestätigung der Rechtsprechung).
 
Sachverhalt


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A.- Né en 1938, A. a noué en octobre 1974 une liaison avec H., âgé de 17 ans, lequel avait déjà eu précédemment une autre liaison homosexuelle. Cette liaison a duré environ une année. H. passait approximativement trois nuits par semaine chez A. et, à ces occasions, les deux partenaires "commettaient réciproquement l'acte pédérastique", pour reprendre les termes de l'autorité cantonale. Devant le Tribunal correctionnel, H. a déclaré que la décision de nouer une liaison ensemble avait été prise d'un commun accord par A. et lui.


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Le 3 juin 1975, A. a rencontré dans un bar de Lausanne E., qui, né en août 1959, avait moins de 16 ans. Il lui a offert une bière que le jeune homme a refusée. Tous deux sont allés ensuite bavarder dans la voiture de A. Ils ont parlé notamment d'homosexualité et le jeune E. a confié à son interlocuteur qu'il avait déjà fait une expérience dans ce domaine. Comme A. s'inquiétait de son âge, E. a affirmé qu'il était sur le point d'avoir 18 ans. A. a encore confié à son compagnon qu'il avait des revues et des films pornographiques. De son côté, E. a expliqué qu'il aimait s'amuser à "allumer" des pédérastes. Ils sont allés dans les toilettes de la gare où E. a fait une démonstration en faisant de l'oeil à un homme qui l'a ensuite suivi. Les choses se sont cependant arrêtées là. Dans la voiture, A. a caressé la verge de E. et a donné rendez-vous à celui-ci pour le lendemain à Genève.
Le lendemain 4 juin, A. a emmené E. dans son studio de Genève, où E. avait accepté de se rendre car il avait très envie de voir un film pornographique. Après qu'ils se furent déshabillés, A. caressa son compagnon et se livra sur lui à une immissio in anum. A. a projeté devant E. un film pornographique et lui a montré des revues pornographiques. Il a cru de bonne foi que E. allait avoir 18 ans.
B.- Par jugement du 4 décembre 1975, le Tribunal correctionnel du district de Lausanne a condamné A., pour attentat à la pudeur des enfants (art. 191 ch. 3 CP), débauche contre nature (art. 194 CP) et publications obscènes (art. 204 CP), à la peine de 6 mois d'emprisonnement, moins 7 jours de détention préventive. Il a en outre révoqué un sursis accordé le 8 mars 1974 par le Tribunal du district I d'Uster et ordonné l'exécution d'une peine de 7 mois d'emprisonnement.
Par arrêt du 8 juin 1976, la Cour de cassation pénale du canton de Vaud a rejeté le recours de A.
C.- A. se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral. Il conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal et au renvoi de la cause à la juridiction cantonale.
Le Procureur général propose de rejeter le pourvoi.
 
Considérant en droit:
Le recourant ne remet pas en cause la condamnation pour publications obscènes. Dans le cas H., il s'en prend à la

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condamnation pour débauche contre nature, en faisant valoir que les éléments constitutifs de l'infraction ne sont pas réalisés; dans le cas E., il invoque d'une part l'application de l'art. 20 CP sur l'erreur de droit et d'autre part le bénéfice de la circonstance atténuante de la tentation grave, au sens de l'art. 64 CP.
Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a donné une interprétation large du terme "induire" (verführen), en ce sens que doivent être protégés non seulement les jeunes gens qui opposent une résistance active aux sollicitations, mais aussi les adolescents influençables et faibles de volonté qui succombent à la débauche contre nature sans toutefois prendre d'initiative dans ce domaine. Peuvent même être "induits", au sens de cette jurisprudence, des mineurs qui ont déjà eu des relations homosexuelles, qui sont disposés à faire de nouvelles expériences dans ce domaine et qui risquent d'être pervertis complètement, s'ils retombent sous une mauvaise influence. Dans tous ces cas cependant, le comportement de la victime, si consentante qu'elle ait été, a dépendu d'une influence extérieure déterminante (ATF 90 IV 22; ATF 88 IV 62; ATF 85 IV 222; ATF 70 IV 30). Ainsi pour qu'une condamnation puisse intervenir en application de l'art. 194 al. 1 CP, il faut et il suffit que la victime ait été décidée par l'auteur à se livrer à lui. Peu importe à cet égard que le mineur se soit montré, avant l'intervention de l'auteur, hostile ou simplement indiffèrent envers les actes de débauche. Le point décisif porte en effet exclusivement sur le changement de volonté imputable au comportement de l'adulte. Un tel changement pourra se manifester même chez un mineur qui s'est déjà prostitué à des homosexuels, mais qui, sans les manoeuvres de l'auteur, n'aurait pas été prêt à se livrer à celui-ci. En revanche, l'art. 194 al. 1 CP ne saurait entrer en considération là où le mineur était déjà décidé avant même que l'auteur n'ait commencé ses intrigues. Juger autrement reviendrait à donner au terme "induire" une acception si large qu'elle irait à

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l'encontre de la volonté du législateur de ne pas réprimer comme telles les relations sexuelles avec des jeunes gens (ATF 90 IV 22 /23).
La jurisprudence résumée plus haut correspond d'ailleurs au sens que les dictionnaires de langue donnent des mots "induire", "indurre" ou "verführen" [mener à, conduire vers, pousser à (Littré); amener, encourager à (Robert); muovere per via di persuasione, o con modi soavi o violenti, a fare o a dire una cosa (Palazzi), jemanden so beeinflussen, dass er etwas gegen seine eigentliche Absicht tut (Duden)].
Au vu de ce qui précède, pour que l'auteur puisse être accusé d'avoir "induit" sa victime à commettre ou à subir un acte contraire à la pudeur, il doit non seulement avoir eu l'initiative, mais encore faut-il que son comportement ait joué un rôle déterminant dans la formation de la volonté du mineur. Autrement dit, lorsque deux partenaires sont tombés d'accord pour se livrer à la débauche (car l'art. 194 al. 1 CP implique l'existence d'un accord au moment de l'acte), le pas décisif doit être le fait de l'auteur. Il n'est évidemment pas facile de décider si le mineur était à l'avance décidé à entretenir des relations homosexuelles avec l'auteur. Pour fonder sa conviction, le juge ne devra en tout cas pas limiter ses investigations aux moments qui ont immédiatement précédé la débauche, voire la liaison, mais il lui appartiendra au contraire de faire toute la lumière possible sur les premières approches des deux partenaires. C'est ainsi que le plus souvent il parviendra à établir clairement si l'un d'entre eux, et lequel, s'est révélé comme le "séducteur". S'il acquiert la certitude que le mineur a joué un rôle actif ou que les deux partenaires ont agi, au sens propre, "d'un commun accord", c'est-à-dire en l'absence de toute influence préalable et déterminante de l'un sur l'autre, il n'y aura aucune place pour l'application de l'art. 194 al. 1 CP. Lorsque, en revanche, l'impulsion est venue de l'auteur, celui-ci devra être puni.
b) In casu, force est de constater que les faits retenus - de même d'ailleurs que les éléments figurant au dossier - dans l'affaire H. sont extrêmement minces et ne permettent nullement de vérifier si l'autorité cantonale a eu raison d'admettre que le recourant avait induit le mineur à nouer une liaison avec lui. En effet, rien ne permet de déceler en quoi le recourant aurait eu l'initiative ou aurait exercé une influence déterminante.


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De toute manière, il est en tout cas contraire au droit fédéral de déduire une telle influence de l'accord constaté entre le recourant et le mineur, car dans le cas de l'art. 194 al. 1 CP, il existe par définition une entente entre partenaires au moment où sont commis les actes contre nature, sans quoi c'est une autre disposition pénale qui trouve application.
L'arrêt attaqué doit donc être annulé sur ce point et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle se prononce à nouveau, après avoir si possible complété l'état de fait en ce qui concerne les rôles respectifs du recourant et de H. dans la liaison qu'ils ont nouée.
Pour déterminer s'il y a eu de la part de l'auteur une erreur évitable, fautive, au sens de l'article précité, le juge doit apprécier si, d'après les circonstances et sa situation personnelle, l'auteur ne pouvait être sûr que l'enfant fût âgé de 16 ans au moins et s'il devait, au contraire, compter sur l'éventualité que celui-ci fût encore sous la protection légale. Savoir si l'erreur sur l'âge de la victime était inévitable et si l'auteur a usé des précautions voulues pour l'éviter est une question de droit (ATF 100 IV 232).
La seule déclaration du jeune E. selon laquelle il avait près de 18 ans ne dispensait nullement le recourant de prendre raisonnablement d'autres précautions, vérifier l'âge de son compagnon. Certes, le recourant a cru, de bonne foi, les dires de sa victime, c'est d'ailleurs pourquoi il a été mis au bénéfice de l'art. 191 ch. 3 CP; mais il a fait montre d'imprévoyance. Le fait que le jeune homme fréquentait un établissement public ne constitue pas non plus une circonstance décisive permettant au recourant de renoncer à prendre de plus amples précautions. Cela pouvait au contraire constituer pour E. une raison de cacher son âge véritable. Un homme raisonnable, dans de telles conditions, ne peut se contenter de simples affirmations pour admettre qu'un âge limite, dont il connaît l'importance, est véritablement dépassé.
C'est donc à juste titre que la Cour cantonale a fait application de l'art. 191 ch. 3 CP.
b) C'est en vain que le recourant invoque l'erreur de droit, au sens de l'art. 20 CP. Si son erreur n'avait pas été fautive,

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c'est au bénéfice de l'art. 19 CP qu'il eût dû être mis. Le juge aurait dû alors examiner si la représentation que le recourant se faisait des faits ne tombait pas alors sous le coup de l'art. 194 CP, qui prévoit la même peine que l'art. 191 ch. 3 CP.
c) Quant à l'application de la circonstance atténuante de la tentation grave résultant de la conduite de la victime (art. 64 CP), elle ne saurait être admise en regard des faits retenus. Pour pouvoir admettre la tentation grave, le juge doit avoir acquis la conviction que la conduite de l'enfant a été si provocante que même un homme conscient de ses responsabilités aurait eu de la peine à y résister (ATF 98 IV 71). Or, en l'espèce, c'est le recourant qui a pris l'initiative d'aborder le jeune E., de l'inviter dans sa voiture, et de lui parler des films et revues pornographiques qu'il possédait; qu'il ait ensuite, dans ce contexte, été spectateur d'une démonstration de "séduction" à l'égard d'un tiers ne suffit pas à le considérer comme victime d'une tentation grave, et cela d'autant moins que les actes reprochés finalement au recourant se sont déroulés le lendemain, après une invitation donnée par lui, soit après un laps de temps qui lui a largement laissé le temps de se ressaisir, si besoin était. Dans de telles conditions, on ne saurait parler de tentation grave.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet partiellement le pourvoi, annule l'arrêt attaqué et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.