BGE 129 IV 271
 
41. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale dans la cause X. contre Ministère public du canton de Vaud (pourvoi en nullité)
 
6S.272/2003 du 23 septembre 2003
 
Regeste
Art. 305bis Ziff. 2 lit. a StGB; Geldwäscherei als Mitglied einer Verbrechensorganisation.
Begriff des Mitglieds einer Organisation (E. 2.4).
 
Sachverhalt


BGE 129 IV 271 (271):

A.- Par jugement du 3 juillet 2002, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de Lausanne a condamné X., pour blanchiment d'argent qualifié, à douze mois d'emprisonnement avec sursis durant deux ans, et à une amende de 3'000 francs, avec délai de radiation de deux ans. Il en ressort notamment les éléments suivants:
A.a X., né en 1931, a travaillé depuis 1966 dans le secteur du service de limousines pour une clientèle fortunée. Dès 1981, il a mené son activité dans la région zurichoise. Il parle parfaitement le romanche, l'allemand, le français, l'anglais, l'espagnol et l'italien. Sa situation financière au début des années 1990 est restée floue.
A.b Dans le cadre de son activité de chauffeur/interprète, X. a établi dès le début des années 1980 des relations étroites avec des membres du cartel de Medellin, devenant l'ami de plusieurs proches de A. et de la famille de B., principal associé de A. Il est devenu l'homme de confiance de ces deux familles. Il a également entretenu des liens avec C. et son clan, dont D. et son gendre, E. C. avait le contrôle du cartel de la côte nord de la Colombie. Interpellé par les autorités américaines au début 1992, D. a négocié sa liberté contre une collaboration avec la justice; il a admis se livrer au trafic de stupéfiants et a déclaré que la totalité de ses revenus provenait de cette activité; il a reconnu agir pour une organisation criminelle derrière laquelle apparaissaient des trafiquants de haut niveau, tel C.; son rôle consistait à introduire aux Etats-Unis d'Amérique de la cocaïne par bateau des Bahamas en Floride, à collecter et blanchir le produit de

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cette drogue. X. a fait la connaissance de D. en 1985 par l'entremise du dénommé F., à qui l'avait présenté G., trafiquant arrêté à Miami pour l'importation de 42,5 tonnes de marijuana. E. a également choisi de collaborer avec les autorités américaines. Il a admis sa participation à un réseau de trafiquants sévissant entre les Bahamas et les Etats-Unis d'Amérique dans l'importation de drogue provenant de Colombie.
A.c Les 28 avril et 8 mai 1992, X. a loué, sur les instructions de D., mais en son nom et avec une procuration en faveur de E., deux coffres dans des banques zurichoises. Le but était d'y déposer de l'argent en attente et d'y dissimuler des papiers compromettants pour le compte de D. X. a reconnu lors de l'enquête que de l'argent liquide transitait par les coffres. Il résulte par ailleurs d'une conversation téléphonique qu'il savait que de faux papiers y étaient déposés.
A.d D. était en relation bancaire avec deux banques. Ses comptes ont dès leur ouverture à fin 1991 été crédités d'environ 3'300'000 US$. Il s'agissait d'argent provenant du trafic de drogue. Entre le 23 avril et la mi-mai 1992, D. a vidé la totalité des comptes, retirant les montants en espèces et les transportant à l'étranger. D., E. et X. ont ainsi procédé à une dizaine de voyages vers l'Autriche et Andorre pour y déposer cet argent liquide. Huit comptes ont été ouverts au nom de X. dans les deux pays. La quasi-totalité des fonds a de la sorte été déposée sur des comptes ouverts au nom de ce dernier. Pratiquement, X. entrait dans les banques accompagné de E. pour négocier, étant précisé qu'en Autriche, il était le seul à parler l'allemand. D. se bornait à les attendre à l'extérieur.
D. a ouvert le 20 avril 1993 des comptes dans cinq banques zurichoises sous un faux nom. Il a ensuite fait rapatrier les avoirs placés en Autriche et à Andorre. X. et E. sont ainsi retournés dans les établissements bancaires concernés et ont signé les ordres de transferts nécessaires.
A.e Le 16 juin 1993, sur instructions téléphoniques de D., X. a prélevé 60'000 francs sur un compte bancaire de ce dernier. X. a versé 55'000 francs sur un de ses propres comptes le même jour. Il a envoyé, suivant toujours les instructions de D., 20'000 US$ sur un compte à Panama ouvert sous une fausse identité de D., ce qu'il savait. Il a été arrêté avant d'envoyer le solde sur le même compte.
B.- Par arrêt du 25 octobre 2002, dont les considérants écrits ont été envoyés aux parties le 17 juin 2003, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours de X. et a confirmé le jugement de première instance.


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C.- X. se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral contre cet arrêt. Il conclut à son annulation.
Le Tribunal fédéral a rejeté le pourvoi dans la mesure où il était recevable.
 
Extrait des considérants:
En l'espèce, les fonds, en particulier les 3'300'000 US$, proviennent du trafic de drogue. Il est incontestable qu'un tel trafic est réprimé pénalement aux Etats-Unis d'Amérique, vers lesquels la drogue a été acheminée, et qu'il constitue un crime en droit suisse (art. 9 CP) en vertu de l'art. 19 ch. 1 in fine et 2 LStup (cf. URSULA CASSANI, Commentaire du droit pénal suisse, vol. 9, Berne 1996, art. 305bis CP n. 15). Cet argent a fait l'objet de retraits et de transferts bancaires de Suisse à l'étranger et de l'étranger en Suisse sur divers comptes ouverts sous plusieurs noms, parfois faux. De tels actes sont propres à entraver la confiscation (cf. URSULA CASSANI, op. cit., art. 305bis CP n. 39 ss). Il s'ensuit que l'infraction de blanchiment est objectivement réalisée. Le recourant ne le conteste d'ailleurs pas, mais remet uniquement en cause le cas aggravé de blanchiment retenu à son encontre.
2.3.1 La notion d'organisation criminelle au sens de l'art. 305bis ch. 2 let. a CP est la même que celle visée à l'art. 260ter CP (cf. URSULA CASSANI, op. cit., art. 305bis CP n. 56). Il s'agit d'une notion plus étroite que celle de groupe, de groupement au sens de l'art. 275ter CP ou de bande au sens des art. 139 ch. 3 al. 2 et 140 ch. 3 al. 1 CP; elle implique l'existence d'un groupe structuré de trois personnes au minimum, généralement plus, conçu pour durer indépendamment

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d'une modification de la composition de ses effectifs et se caractérisant, notamment, par la soumission à des règles, une répartition des tâches, l'absence de transparence ainsi que le professionnalisme qui prévaut aux différents stades de son activité criminelle; on peut notamment songer aux groupes qui caractérisent le crime organisé, aux groupements terroristes, etc.
Il faut ensuite que cette organisation tienne sa structure et son effectif secrets. La discrétion généralement associée aux comportements délictueux ne suffit pas; il doit s'agir d'une dissimulation qualifiée et systématique, qui ne doit pas nécessairement porter sur l'existence de l'organisation elle-même mais sur la structure interne de celle-ci et le cercle de ses membres et auxiliaires. En outre, l'organisation doit poursuivre le but de commettre des actes de violence criminels ou de se procurer des revenus par des moyens criminels. S'agissant en particulier de l'enrichissement par des moyens criminels, il suppose que l'organisation s'efforce de se procurer des avantages patrimoniaux illégaux en commettant des crimes; sont notamment visés les infractions constitutives de crimes contre le patrimoine et les crimes prévus par la loi fédérale sur les stupéfiants (arrêt 6S.463/1996 du 27 août 1996, consid. 4b, publié in SJ 1997 p. 1; FF 1993 III 289 ss).
2.3.2 Il ressort du dossier de l'enquête américaine que D. a reconnu agir pour une organisation criminelle derrière laquelle apparaissaient des trafiquants de haut niveau, tel C., lequel avait le contrôle du cartel de la côte nord de la Colombie. D. a déclaré que la totalité de ses revenus provenait du trafic de stupéfiants. Son rôle consistait à introduire aux Etats-Unis d'Amérique de la cocaïne par bateau des Bahamas en Floride, à collecter et blanchir le produit de cette drogue. Le gendre de D., E., a également admis sa participation à un réseau de trafiquants sévissant entre les Bahamas et les Etats-Unis d'Amérique. La Cour de cassation vaudoise a par ailleurs indiqué que l'activité déployée par D. et E. en Suisse, soit l'acheminement et le blanchiment du produit des ventes de drogue, correspondait à une tâche précise et planifiée pour le compte d'une organisation de plus large niveau, dépourvue de transparence.
Les éléments précités attestent que l'on a affaire à un réseau de trafiquants de drogue se livrant à un très important trafic. Les déclarations de D. et de E. aux enquêteurs américains ne suscitent aucun doute à propos d'une organisation criminelle. Aussi, faut-il admettre l'existence d'une organisation telle que visée par l'art. 305bis ch. 2 let. a CP.


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2.4 Le recourant soutient qu'il ne saurait être considéré comme membre de l'organisation.
L'art. 305bis ch. 2 let. a CP exige que le délinquant ait agi comme membre d'une organisation criminelle. Le membre est celui qui est impliqué dans l'organisation et non celui qui fournit simplement une aide à celle-ci. La notion de membre se recoupe avec celle de participant à une organisation criminelle de l'art. 260ter ch. 1 al. 1 CP (cf. JÜRG-BEAT ACKERMANN, Geldwäscherei, in Kommentar Einziehung, organisiertes Verbrechen, Geldwäscherei, vol. I, Zurich 1998, Niklaus Schmid [éd.], § 5 n. 431). Une fonction dirigeante n'est pas requise pour être membre, une fonction subalterne pouvant suffire. Participe comme membre de l'organisation celui qui s'y intègre et y déploie une activité concourant à la poursuite du but criminel de l'organisation. Une participation occasionnelle à une opération précise ne suffit pas. Il faut une coopération avec l'organisation qui dénote l'appartenance à celle-ci (cf. arrêt 6S.463/1996 précité, consid. 4b, publié in SJ 1997 p. 1; BERNARD CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, Berne 2002, art. 260ter CP n. 7; GÜNTER STRATENWERTH, Schweizerisches Strafrecht, Bes. Teil II, 5e éd., Berne 2000, § 40 n. 25; HANS BAUMGARTNER, Basler Kommentar, Strafgesetzbuch II, 2003, art. 260ter CP n. 11; GUNTHER ARZT, Organisiertes Verbrechen, in Kommentar Einziehung, organisiertes Verbrechen, Geldwäscherei, vol. I, Zurich 1998, Niklaus Schmid [éd.], § 4 n. 132 ss; JÖRG REHBERG, Strafrecht IV, 2e éd., Zurich 1996, p. 171/172).
Le recourant a été l'homme à tout faire, traducteur, agent fiduciaire, représentant en Suisse de D. et E., lesquels avaient une confiance absolue en lui. Il a joué un rôle bien défini dans le but poursuivi par D., soit mettre en sûreté les fonds. Il a fourni un appui logistique durable et indispensable, ce qu'il savait. L'activité reprochée s'étend sur plus d'une année. Il a en particulier ouvert des coffres à son nom. Il a transporté en une dizaine de voyages de l'argent liquide en Autriche et à Andorre et a ouvert dans ces pays des comptes bancaires à son nom pour le recevoir. Il est ensuite de nouveau intervenu pour que cet argent soit viré en Suisse. Il s'est tenu à l'entière disposition de D. et E. et s'est soumis à leur volonté.
Pour l'essentiel, le recourant s'écarte des constatations précitées en prétendant que sa seule fonction a été celle de chauffeur de limousine. Dans cette mesure, son argumentation est irrecevable. Sur la base des faits retenus, qui lient le Tribunal fédéral, il n'apparaît pas que le recourant aurait simplement apporté une aide ponctuelle. Au contraire, il a occupé une place décisive dans les différentes opérations

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de transfert d'argent qui se sont déroulées sur plus d'une année. Il a ainsi collaboré de manière importante à la poursuite du but criminel de l'organisation. La conclusion selon laquelle il a agi comme membre d'une telle organisation ne viole pas le droit fédéral.
Déterminer ce que l'auteur sait, veut ou l'éventualité à laquelle il consent relève de l'établissement des faits (ATF 126 IV 209 consid. 2d p. 215; ATF 125 IV 49 consid. 2d p. 56). Selon les constatations cantonales, le recourant connaissait la provenance illicite des fonds; il savait que D. appartenait à un réseau qui vendait de la drogue; il était non seulement conscient de la provenance criminelle des valeurs patrimoniales, mais également des moyens mis en oeuvre pour entraver leur identification. L'argumentation du recourant s'écarte des faits précités ou n'en tient pas compte, de sorte qu'elle apparaît irrecevable. Quoi qu'il en soit, à partir de telles constatations factuelles, c'est sans violer le droit fédéral que la Cour de cassation vaudoise a retenu que le recourant avait agi intentionnellement.