BGE 141 IV 390
 
50. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause A. contre Ministère public de la République et canton de Neuchâtel (recours en matière pénale)
 
1B_335/2015 du 30 octobre 2015
 
Regeste
Art. 204 StPO, Art. 12 Ziff. 2 EUeR und Art. 73 Abs. 2 IRSG; Tragweite des freien Geleits im Sinn von Art. 204 StPO.
Aus dem Wortlaut und der Entstehungsgeschichte ergibt sich (E. 2.2.2), dass die gestützt auf Art. 204 StPO gewährte Immunität auch den Sachverhalt abdeckt, wegen dem der Beschuldigte vorgeladen wurde und bei einer Verurteilung wegen dieser Tatvorwürfe nicht erlischt. Die Behörde kann die Gewährung des freien Geleits indessen an Bedingungen knüpfen, bei deren Missachtung es dahin fällt (Art. 204 Abs. 3 StPO) (E. 2.2.3).
 
Sachverhalt


BGE 141 IV 390 (391):

A. Dans le cadre de l'enquête pénale instruite à son encontre, A., ressortissant kosovar, a été remis en liberté, par décision du 19 mars 2014 du Tribunal des mesures de contrainte du Littoral et du Val-de-Travers, le 21 mars 2014, avec ordre de quitter le territoire suisse, interdiction d'y revenir sous réserve de l'obtention d'un sauf-conduit nécessaire pour se présenter à la justice pénale dans la présente affaire et obligation d'informer le tribunal des date et heure de son retour en Suisse. A la suite du mandat de comparution du 6 novembre 2014 et des échanges d'écritures postérieurs entre le greffe et le mandataire de A. au sujet d'un sauf-conduit, ce document a été établi le 12 novembre 2014 en vue de l'audience de jugement agendée au 28 janvier 2015 à 08h30; l'autorisation permettait au prévenu de pénétrer sur le territoire suisse entre le lundi 26 janvier 2015 et le jour de l'audience.
Par jugement du 28 janvier 2015, A. a été reconnu coupable de lésions corporelles (art. 123 ch. 2 CP), de voies de fait (art. 126 ch. 2 let. b CP), de menaces (art. 180 CP), de contrainte (art. 181 CP), de séquestration (art. 183 CP), de contraintes sexuelles (art. 189 CP) et de viol (art. 190 CP); il a été condamné à une peine privative de liberté de six ans, sous déduction des 272 jours de détention provisoire subis. Ce même jour, le Tribunal criminel du Littoral et du Val-de-Travers a ordonné son arrestation et sa mise en détention pour des motifs de sûreté, retenant en particulier un risque important de fuite au vu de la peine prononcée, de l'absence de toute attache en Suisse et du défaut d'un titre de séjour. Cette décision n'a pas été contestée et le prévenu a demandé à pouvoir exécuter sa peine de manière anticipée le 29 avril 2015, requête admise le 6 mai suivant.
B. Dans le cadre de la procédure d'appel intentée le 18 août 2015, A. a en substance demandé sa mise en liberté, faisant notamment valoir que son placement en détention était illégal en raison de l'immunité conférée par le sauf-conduit. Par ordonnance du 28 août 2015,

BGE 141 IV 390 (392):

le Vice-président de la Cour pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel a rejeté cette requête. Il a considéré que le sauf-conduit n'accordait aucune immunité dès l'instant où le jugement condamnatoire du tribunal de première instance avait été rendu et que les conditions de la détention pour motifs de sécurité étaient réunies.
C. Par acte du 30 septembre 2015, A. forme un recours en matière pénale contre ce jugement, concluant à sa réforme en ce sens qu'il soit constaté l'illicéité de son arrestation et de sa détention depuis le 28 janvier 2015, qu'il soit libéré immédiatement, à sa charge de quitter le territoire suisse dans les plus brefs délais, et qu'il lui soit alloué une indemnité de 200 fr. par jour de détention illicite. A titre subsidiaire, il requiert le renvoi de la cause à l'autorité précédente. (...)
Le Tribunal fédéral a admis le recours. Il a constaté que l'arrestation ordonnée par le Tribunal criminel du Littoral et du Val-de-Travers le 28 janvier 2015 était illicite et a ordonné la libération immédiate du recourant, à charge de l'autorité précédente d'en organiser les modalités au sens des considérants.
(extrait)
 
Extrait des considérants:
Les bénéficiaires d'un sauf-conduit au sens de l'art. 204 CPP peuvent être des prévenus, des témoins et/ou des personnes appelées à fournir des renseignements (ULRICH WEDER, in Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO],Donatsch/Hansjakob/Lieber [éd.], 2e éd. 2014, n° 7 ad art. 204 CPP; JONAS WEBER, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, 2e éd. 2014, nos 3 s. ad art. 204 CPP; NIKLAUS SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung [StPO], Praxiskommentar, 2e éd. 2013, n° 2 ad art. 204 CPP; MOREILLON/PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, 2013, n° 5 ad art. 204 CPP).
2.2 Jusqu'au 31 décembre 2010, la question du sauf-conduit était réglée, sous réserve de l'éventuelle application de conventions internationales, par le droit cantonal de procédure. Ainsi, à titre d'exemple, l'art. 128 du code de procédure pénale neuchâtelois du 19 avril 1945 (aCPPN; www.lexfind.ch/?cid=10) prévoyait que le juge pouvait accorder un sauf-conduit au prévenu absent du canton, le cas échéant sous condition (al. 1); le sauf-conduit cessait d'être valable lorsque le prévenu était condamné à une peine privative de liberté ou que les conditions de son octroi n'étaient plus remplies (al. 2). L'art. 61 de l'ancienne loi fédérale du 15 juin 1934 sur la procédure pénale (aPPF; RO 50 709; 2010 1881) avait une teneur similaire; en particulier, le sauf-conduit cessait aux mêmes conditions que celles prévues à l'art. 128 al. 2 aCPPN.
Depuis le 1er janvier 2011, la nature et les effets du sauf-conduit sont régis sur le plan fédéral par le seul art. 204 CPP. A teneur de cette disposition, la protection conférée par le sauf-conduit s'étend notamment aux infractions commises antérieurement au séjour en Suisse - objets ou non de la procédure en cours -, aux condamnations prononcées avant le séjour en Suisse - dont l'exécution n'est pas encore prescrite - et aux autres mesures pouvant entraîner une privation de liberté (WEDER, op. cit., nos 10 ss ad art. 204 CPP; MOREILLON/PAREIN-REYMOND, op. cit., n° 9 ad art. 204 CPP; GREGOR CHATTON, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2011, n° 16 ad art. 204 CPP).
2.2.1 Une partie de la doctrine soutient cependant qu'un sauf-conduit octroyé à un prévenu ne devrait pas concerner les faits instruits

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directement à son encontre (CHATTON, op. cit., n° 22 ad art. 204 CPP; SCHMID, op. cit., n° 2 ad art. 204 CPP qui cite un arrêt du Tribunal pénal fédéral allant dans ce sens [TPF 2009 80]). Selon cette interprétation de l'art. 204 CPP, le prévenu bénéficiant d'un sauf-conduit pourrait être arrêté à l'issue de l'audience de jugement, à l'instar de ce que prévoyait l'ancien droit de procédure neuchâtelois.
Une telle solution aurait l'avantage de correspondre à ce que prévoient les instruments internationaux en la matière. En effet, à teneur de l'art. 12 par. 2 de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 (CEEJ; RS 0.351.1), aucune personne, de quelque nationalité qu'elle soit, citée devant les autorités judiciaires de la Partie requérante afin d'y répondre de faits pour lesquels elle fait l'objet de poursuites, ne pourra y être ni poursuivie, ni détenue, ni soumise à aucune autre restriction de sa liberté individuelle pour des faits ou condamnations antérieurs à son départ du territoire de la Partie requise et non visés par la citation. L'obtention pour le prévenu d'un sauf-conduit en application de l'art. 73 EIMP (RS 351.1) limite également l'étendue du sauf-conduit pour la personne poursuivie aux actes antérieurs à l'entrée en Suisse, excluant en revanche les infractions mentionnées dans la citation (ROBERT ZIMMERMANN, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, 4e éd. 2014, n. 392 p. 394).
L'examen du processus législatif relatif à l'art. 204 CPP, en particulier la lecture des travaux préparatoires ne conduit pas à un autre résultat. Dans l'avant-projet du Code de procédure pénale, l'art. 217 al. 2 let. a prévoyait que les personnes au bénéfice d'un sauf-conduit ne pouvaient être arrêtées en Suisse ou y être soumises à d'autres mesures restreignant la liberté que si elles avaient été condamnées à une sanction privative de liberté immédiatement exécutoire. Dans son rapport explicatif de juin 2001, l'Office fédéral de la justice précisait qu'il serait en effet choquant de laisser un condamné repartir sans être inquiété. A ce stade du processus législatif, la solution proposée correspondait à celle prévalant dans les instruments internationaux ainsi que dans certains cantons, dont celui de Neuchâtel.


BGE 141 IV 390 (395):

Lors de la procédure de consultation, certains cantons ont cependant demandé que l'art. 217 al. 1 let. a de l'avant-projet soit biffé ou mis en harmonie avec les conventions européennes d'entraide judiciaire et d'extradition (cf. la synthèse des résultats de la procédure de consultation relative aux avant-projets de code de procédure pénale suisse et de loi fédérale régissant la procédure pénale applicable aux mineurs de l'Office fédéral de la justice de février 2003). Dans la version soumise aux Chambres fédérales - art. 202 dont la teneur correspond à celle de l'actuel art. 204 CPP -, la mention litigieuse de l'art. 217 al. 1 let. a de l'avant-projet n'apparaît plus. Il n'a pas non plus été ajouté de limitation pour les faits mentionnés dans la citation, telle celles figurant aux art. 12 par. 2 in fine CEEJ ou 73 al. 2 EIMP.
Certes, dans son Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification de droit de la procédure pénale, le Conseil fédéral a fait expressément référence à l'art. 12 CEEJ (FF 2006 1057, 1200 ad art. 202). Il n'a toutefois pas rappelé l'entier de cette disposition, puisqu'il ne mentionne pas l'exclusion des faits couverts par le mandat de comparution. Ce faisant, le Conseil fédéral a proposé une disposition tenant avant tout compte de la volonté manifestée pendant la procédure de consultation, à savoir sans possibilité d'exclusion de par la loi de garantie pour les faits objets de la procédure. L'art. 204 CPP (anciennement 202 CPP) a été ensuite adopté sans débats (cf. BO 2006 CE 1025 et BO 2007 CN 966).
Ainsi, à teneur de l'art. 204 CPP, l'immunité conférée par un sauf-conduit en application de cette disposition couvre aussi les faits pour lesquels le prévenu est cité à comparaître et elle ne prend pas fin lors d'une condamnation pour ces faits-là. En d'autres termes, à défaut de précision, la garantie accordée permet d'entrer en Suisse, d'y séjourner et d'en repartir librement (WEBER, op. cit., n° 3 ad art. 204 CPP). A cet égard, il convient de rappeler que l'autorité qui délivre le sauf-conduit peut l'assortir de conditions, dont le non-respect entraîne l'invalidation (art. 204 al. 3 CPP). Parmi ces conditions, on peut citer la durée du séjour en Suisse, le champ d'application géographique ainsi que, dans le cas d'un prévenu convoqué pour son jugement, l'exclusion d'immunité pour les faits visés dans la citation.
2.3 En l'occurrence, le sauf-conduit accordé tendait à permettre au recourant de pénétrer en toute légalité sur le territoire suisse entre

BGE 141 IV 390 (396):

le lundi 26 janvier 2015 et le jour de l'audience, soit le 28 janvier 2015. Cela permettait, d'une part, au recourant de pouvoir venir assurer en personne sa défense et, d'autre part, à l'autorité de ne pas avoir à mettre en oeuvre, en cas d'absence de l'intéressé, une procédure de jugement par défaut (art. 366 ss CPP).
Le sauf-conduit ne prévoyait pas l'absence de garantie pour les faits objets de la procédure à laquelle a été cité à comparaître le recourant. Il ne traitait pas non plus expressément de sa durée, ne donnant aucune indication quant à son échéance temporelle. Si l'autorité avait entendu limiter les garanties offertes par ce document, il lui aurait appartenu de l'indiquer précisément. Dans la mesure où tel n'a pas été le cas, la teneur de l'art. 204 CPP - telle qu'examinée ci-dessus - imposait de considérer que les effets du sauf-conduit perduraient également après le prononcé du verdict condamnatoire. Le recourant ne pouvait dès lors pas être placé en détention immédiatement à l'issue de la séance de jugement (arrêt 1S.18/2005 du 14 juillet 2005 consid. 2.2; ATF 104 Ia 448 consid. 10 p. 463).
Partant, il y a lieu de constater que l'arrestation effectuée le 28 janvier 2015 était illicite.