BGE 143 IV 488 |
63. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause X. SA contre Ministère public central du canton de Vaud (recours en matière pénale) |
6B_618/2016 du 8 novembre 2017 |
Regeste |
Art. 418 Abs. 3 und Art. 426 StPO; Auferlegung der Verfahrenskosten an haftenden Dritten, Solidarität. |
Sachverhalt |
A. La société X. SA s'est chargée d'exécuter le montage d'une grue sur un chantier de construction à A. Elle a achevé le montage le 21 mai 2014. Une panne s'est produite le 11 juin 2014. Le même jour vers 21h30, trois de ses travailleurs étaient occupés à la réparation et au calibrage de la grue. B. se trouvait au sol; C. et D. se trouvaient dans la cabine située à 40 m au-dessus du sol. Avec la grue, ils ont soulevé une charge d'essai de plus de 12 tonnes; ils ont ensuite déplacé le chariot et la charge, d'abord situés à proximité du mât, vers l'extrémité de la flèche. En déséquilibre, la grue s'est alors renversée. Cet accident a causé le décès de C.; il a causé de graves blessures à D. |
Soupçonnant un homicide par négligence et des lésions corporelles graves par négligence, le Ministère public central du canton de Vaud a ouvert une enquête et ordonné une expertise. Cette étude a mis en évidence la cause de l'accident: le poids de la charge soulevée n'avait pas été correctement paramétré dans le système de commande de la grue; celle des victimes qui avait exécuté cette tâche avait introduit la valeur de 6 tonnes alors que la charge pesait réellement 12,34 tonnes. Le calculateur interne de la grue avait ainsi autorisé un déplacement du chariot à la portée maximale de 44,33 m le long de la flèche, alors que le déplacement aurait dû être limité à 14,20 m pour une charge de 12 tonnes. L'enquête n'a pas permis de déterminer qui, des deux victimes, avait commis l'erreur. Par ailleurs, toutes les consignes de sécurité n'avaient pas été observées. C. et D. présentaient respectivement des alcoolémies de 0,15 et 1,69 o/oo, et ce travailleur-là se trouvait sous l'influence du cannabis.
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B. Le 8 décembre 2015, le Ministère public a ordonné le classement de la procédure sur la base de l'art. 319 al. 1 let. a CPP, au motif qu'il n'était pas possible d'identifier avec certitude l'auteur du comportement à l'origine de l'accident. Le Ministère public a condamné X. SA à assumer les frais de la cause, au motif que l'accident avait été provoqué soit par C. soit par D., et que dans ces deux hypothèses, leur employeuse était responsable des frais au regard des art. 418 al. 3 CPP et 55 al. 1 CO. Le montant des frais est arrêté à 155'856 fr. 05. |
C. La Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a statué le 4 mars 2016 sur le recours de X. SA; elle a rejeté ce recours et confirmé l'ordonnance du Ministère public.
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D. X. SA forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal et conclut, avec suite de frais et dépens, à sa réforme en ce sens que les frais de procédure sont mis à la charge de l'Etat. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.
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Invités à se déterminer sur le recours, la cour cantonale y a renoncé en se référant à l'arrêt entrepris; le Ministère public a déposé des observations et a conclu au rejet du recours. Les prises de position ont été communiquées à X. SA, qui a répliqué.
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Extrait des considérants: |
L'art. 420 CPP confère au canton une "action récursoire" qui peut être intentée aussi contre des personnes qui ne sont pas parties à la procédure. La cour cantonale ne retient pas que la recourante puisse être chargée des frais sur cette base.
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L'art. 418 CPP règle la répartition des frais lorsque ceux-ci doivent être imputés à plusieurs personnes. A teneur de l'art. 418 al. 3 CPP, l'autorité "peut ordonner que des tiers et le prévenu répondent solidairement des frais, conformément aux principes de la responsabilité en droit civil".
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2.2 La cour cantonale a considéré qu'en application de l'art. 418 al. 3 CPP, une personne morale (en l'occurrence l'employeur) pouvait être astreinte à supporter seule les frais de procédure, dès lors que la personne physique responsable (en l'occurrence l'employé) n'avait pas pu être identifiée, quand bien même la disposition légale ne le prévoyait pas expressément. A teneur de l'arrêt cantonal, admettre le contraire irait à l'encontre de la ratio legis de l'art. 418 al. 3 CPP, puisque ce sont avant tout des considérations d'équité qui ont conduit le législateur à adopter cette disposition. |
L'autorité a le droit de déroger au sens littéral d'un texte apparemment clair, par la voie de l'interprétation, lorsque des raisons objectives révèlent que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause. De tels motifs peuvent ressortir des travaux préparatoires, du but de la règle, des valeurs qui l'inspirent et de ses rapports avec d'autres dispositions légales (ATF 142 II 80 consid. 4.1 p. 91 et les arrêts cités).
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Ces passages des travaux préparatoires permettent de comprendre le système voulu par le législateur: là où un prévenu doit assumer des frais selon l'art. 426 CPP, le ou les tiers dont ce prévenu engage la responsabilité selon une règle de droit civil, peuvent être tenus de les assumer solidairement avec lui. A aucun moment il n'est fait mention d'une marge d'appréciation de l'autorité quant au mode de répartition des frais lorsque la responsabilité civile d'un tiers est engagée (par ex. proportionnelle; exclusive).
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A Fribourg, l'art. 233 de l'ancien code de procédure pénale (ci-après: CPP/FR), prévoyait que l'employeur du condamné, ou une société dont ce dernier était un organe, pouvait être condamné à supporter tout ou partie des frais en équité, notamment s'il avait tiré profit de l'infraction (al. 1). Il appartenait à l'autorité de décider s'il répondait solidairement ou non avec le condamné (al. 2).
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Un auteur de doctrine estimait qu'il était possible, sous l'empire de l'ancien code de procédure pénale bernois (ci-après: CPP/BE), de mettre les frais à la charge exclusive d'un employeur en vertu de l'art. 55 CO cum art. 387 et 390 al. 1 ch. 2 CPP/BE; cette dernière disposition impliquant toutefois l'inculpation de l'intéressé (cf. art. 44 CPP/BE sur la notion d'inculpé; THOMAS MAURER, Das bernische Strafverfahren, 2e éd. 2003, p. 591 s.). Se prononçant également sur la procédure bernoise, AESCHLIMANN faisait uniquement mention d'une solidarité entre la personne morale et la personne inculpée (JÜRG AESCHLIMANN, Einführung in das Strafprozessrecht, die neuen bernischen Gesetze, 1996, n. 2027). En lien avec la procédure pénale du canton de Saint-Gall, OBERHOLZER évoquait la possibilité d'imputer les frais à une personne morale en équité, sans précision sur le caractère exclusif ou solidaire (cf. NIKLAUS OBERHOLZER, Grundzüge des Strafprozessrechts dargestellt am Beispiel des Kantons St. Gallen, 2e éd. 2005, n. 1816). Les anciens codes de procédure pénale des cantons de Vaud et Genève ne semblent pas avoir expressément prévu la mise à la charge des frais à un tiers.
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Au vu des configurations variées prévues par les codes de procédure cantonaux en matière d'imputation des frais, l'on ne saurait en tirer une interprétation de l'art. 418 al. 3 CPP. Il sied toutefois de relever que, lorsque la responsabilité du tiers est prévue, elle implique, dans la plupart des cas, le paiement solidaire avec le prévenu. A l'inverse du CPP/FR, l'art. 418 al. 3 CPP ne prévoit pas expressément une marge de manoeuvre pour l'autorité de décider ou non d'une responsabilité solidaire.
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Figurant dans le chapitre "dispositions générales" en matière de frais, l'art. 418 CPP est intitulé "participation de plusieurs personnes et responsabilité de tiers" (cf. également versions allemande et italienne). Cette disposition traite de la seule question de la répartition des frais entre plusieurs personnes. Elle ne saurait être mise au rang des art. 423, 426 et 427 CPP régissant l'imputation des frais. L'art. 418 al. 1 prévoit la répartition proportionnelle (notamment entre des coauteurs; cf. Message, p. 1308) et l'al. 2, la solidarité entre plusieurs personnes astreintes au paiement des frais (par exemple l'instigateur; cf. Message, p. 1308). Quant à l'art. 418 al. 3 CPP, il prévoit que le tiers peut répondre solidairement des frais avec le prévenu. Ce n'est donc qu'une fois que la question de l'imputation des frais est résolue (cf. art. 423, 426 et 427 CPP), que peut intervenir celle de la répartition (proportionnelle ou solidaire), en particulier entre un prévenu et un tiers. Compte tenu de la systématique légale, l'art. 418 al. 3 CPP ne permet pas d'imputer les frais à la charge exclusive d'un tiers. L'application de cette disposition est conditionnée à la condamnation du prévenu aux frais de la procédure en vertu de l'art. 426 CPP. |
Une telle approche ressort d'ailleurs de la procédure pénale applicable aux mineurs (loi fédérale du 20 mars 2009 sur la procédure pénale applicable aux mineurs [PPMin; RS 312.1]), laquelle prévoit que lecanton supporte en premier lieu les frais de la procédure (art. 44 al. 1 PPMin) et renvoie pour le surplus aux art. 422 à 428 CPP (art. 44 al. 2). A teneur de l'art. 44 al. 3 PPMin, si les conditions sont réunies pour que les frais soient mis à la charge du prévenu mineur (art. 426 CPP), ses parents peuvent être déclarés solidairement responsables (cf. DIETER HABEISER, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, Jugendstrafprozessordnung, 2e éd. 2014, nos 5 s. ad art. 44 PPMin, selon lequel l'imputation des frais aux parents implique une responsabilité civile au sens de l'art. 333 CC). La PPMin conditionne ainsi expressément l'imputation des frais à un tiers en raison de sa responsabilité civile, solidairement avec le prévenu, à la réalisation des conditions de l'art. 426 CPP.
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3.4 Certes, en lien avec l'art. 418 al. 2 CPP, des motifs d'équité commandent qu'en cas de complicité ou de participation, les intéressés soient tenus solidairement responsables pour les frais qu'ils ont provoqués ensemble (cf. rapport explicatif, p. 286; Message, p. 1308, prenant l'exemple d'un instigateur fortuné qui a poussé une personne démunie à commettre une infraction). Cette solution s'explique, en équité, dans la mesure où les intéressés sont alors tous visés par la procédure pénale. Dans le même esprit, des considérations d'équité commandent que le prévenu ne réponde pas seul des frais, lorsque la responsabilité civile d'un tiers est engagée, en vertu de l'art. 418 al. 3 CPP. L'al. 3 introduit la responsabilité solidaire du tiers pour décharger le prévenu qui ne répondra pas seul des frais, le but n'étant toutefois pas de libérer complètement le prévenu au détriment du tiers. |
Seule GRIESSER laisse indécise la question de savoir si une personne morale peut être exclusivement astreinte au paiement des frais de la procédure pénale. Elle précise toutefois que, s'il y a lieu d'admettre une responsabilité civile de la personne morale, on lui reprochera en principe un manque d'organisation au sens de l'art. 102 CP, disposition qui devrait alors trouver application (YVONA GRIESSER, in Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO], Donatsch/Hansjakob/Lieber [éd.], 2e éd. 2014, n° 9 ad art. 418 CPP, en référence à deux auteurs de commentaires de codes de procédure cantonaux[cf.supra consid. 3.2]).
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3.6 Tant du point de vue systématique, téléologique, qu'historique, rien ne permet de s'écarter du sens littéral de la norme qui prévoit une responsabilité solidaire. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que, si aucun prévenu n'est condamné au paiement des frais au sens de l'art. 426 CPP, l'art. 418 al. 3 CPP ne permet pas d'imputer les frais de la procédure exclusivement à un tiers.
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