BGE 101 V 11
 
3. Arrêt du 6 février 1975 dans la cause T. contre Caisse cantonale neuchâteloise de compensation et Commission cantonale neuchâteloise de recours pour l'AVS
 
Regeste
Art. 31 Abs. 3 und 4 AHVG.
 
Sachverhalt


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A.- Georgette T., née le 30 septembre 1909, a épousé Paul V. le 21 décembre 1934. Quatre enfants sont issus de cette union, qui a été dissoute par divorce le 30 septembre 1950. Les enfants ont été attribués à la mère, laquelle s'est chargée de leur éducation.
Le 15 octobre 1965, Georgette T. a contracté un nouveau mariage avec Henri B. Mais cette union a été éphémère: deux jours plus tard les conjoints se séparaient, et le divorce a été prononcé le 25 octobre 1966.
Aucun des jugements de divorce n'a accordé de pension alimentaire à la femme.
Le premier mari, Paul V. est décédé le 21 juin 1972. Le second est encore en vie.
B.- Georgette T. a touché dès le 1er octobre 1971 une rente ordinaire de vieillesse simple, calculée sur la base de ses propres cotisations.
Le 12 février 1973, elle a demandé à être mise au bénéfice du nouvel art. 31 al. 3 et 4 LAVS, en vigueur depuis le 1er janvier 1973, c'est-à-dire à voir sa rente calculée sur la base des cotisations de son premier mari, décédé dans l'entre-temps. Mais la Caisse cantonale neuchâteloise de compensation, estimant que le second mariage rendait cette disposition inapplicable, s'y est refusée et a maintenu le calcul de la rente sur la base des seules cotisations de l'intéressée (décision du 13 avril 1973).
C.- La Commission cantonale neuchâteloise de recours, saisie d'un recours, l'a rejeté par jugement du 19 novembre

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1973. Le juge cantonal a considéré en bref que le second mariage, suivi lui aussi de divorce, avait effacé les effets du premier; que l'art. 31 al. 3 et 4 LAVS ne pouvait se rapporter qu'au deuxième mariage et que les conditions posées par ces dispositions légales n'étaient donc pas remplies.
D.- Georgette T. interjette recours de droit administratif. Elle invoque le but visé par le législateur lors de l'introduction de l'art. 31 al. 3 et 4 LAVS, fait valoir les similitudes avec les modifications apportées à cette même occasion aux conditions du droit à la rente des veuves et conclut à la fixation de sa rente conformément aux nouvelles dispositions légales précitées.
Tandis que la caisse intimée conclut au rejet du recours, l'Office fédéral des assurances sociales en propose au contraire l'admission.
 
Considérant en droit:
Pour ce qui concerne son droit à la rente de vieillesse succédant à la rente de veuve, en revanche, la femme divorcée cessait d'être assimilée à la veuve et était traitée en principe comme une célibataire. Seuls deux correctifs y étaient apportés: l'un par la loi, qui pour le choix de l'échelle de rente compte comme années de cotisations les années de mariage (actuellement art. 29bis al. 2 LAVS); l'autre par la jurisprudence, qui garantit une rente de vieillesse d'un montant égal à celui d'une rente de veuve antérieurement accordée (ATFA 1953 p. 219; voir aussi RCC 1959 p. 75). On peut y ajouter, en matière de rentes extraordinaires, la suppression dès le 1er janvier 1969 des limites de revenu pour les femmes qui divorcent après l'âge de 61 ans révolus (art. 42 al. 2 lit. d LAVS). Mais la novelle entrée en vigueur le 1er janvier 1973

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a apporté un changement fondamental: la femme divorcée est désormais assimilée sous certaines conditions à la veuve, en cas de décès de son ancien mari, pour ce qui concerne son droit à la rente de vieillesse également.
Selon l'art. 31 al. 3 et 4 LAVS, cette prestation est calculée en effet comme s'il n'y avait pas eu divorce, soit donc sur la base du revenu de l'ex-mari décédé:
a) lorsque, avant d'atteindre l'âge lui ouvrant droit à la rente de vieillesse, la femme divorcée recevait une rente de veuve, ou
b) lorsque le mariage avait duré 5 ans au moins et que, au moment du divorce, la femme avait accompli sa 45e année ou avait des enfants de son sang ou adoptés.
Est réservé, tout comme pour la veuve (art. 33 al. 3 LAVS), le cas où le calcul de la rente sur la base du seul revenu de la femme divorcée est plus favorable à l'intéressée. On peut relever en passant que, dans l'hypothèse sous lettre b ci-dessus, le Parlement a ramené à 5 ans la durée exigée du mariage, que le projet du Conseil fédéral fixait à 10 ans (voir Bull.stén. CN 1972 I 380). Cette réduction a créé une divergence logiquement immotivée avec l'art. 23 al. 2 LAVS; mais la loi lie le juge, qui n'a d'ailleurs pas à examiner cette question en l'espèce. Par contre, le défaut de toute exigence relative au droit à pension alimentaire - bien que les rapporteurs aux Chambres aient invoqué la perte d'une telle pension pour justifier la condition du décès de l'ex-mari à l'art. 31 al. 4 LAVS (voir Bull.stén. précité) - paraît répondre, en la portant jusqu'à ses conséquences extrêmes, à la tendance (constatée dans l'arrêt Wittwer précité) à éliminer le renvoi à la notion civile de la perte de soutien; il n'appartient pas à la Cour de céans de poser sur ce point une condition que le texte légal ignore.
2. La situation qui découle du nouvel art. 31 al. 3 et 4 LAVS est ainsi claire et l'application de ces textes ne semble pas devoir soulever de problèmes particuliers, lorsqu'il y a eu un seul mariage, suivi d'un seul divorce. Mais les difficultés surgissent en cas de mariages successifs, dissous par veuvage, divorce ou annulation. Tel est le cas en l'occurrence, où la recourante, deux fois mariée et deux fois divorcée, a deux ex-maris. Auquel de ces mariages et ex-maris les conditions de

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l'art. 31 al. 3 et 4 LAVS se rapportent-elles? Qu'un choix soit indispensable est évident: il est tout aussi exclu de cumuler par exemple les revenus et durées de cotisations de deux ex-maris que d'additionner des durées de mariages (à propos de la disposition parallèle de l'art. 23 al. 2 LAVS, voir RCC 1948 p. 269 et Directives concernant les rentes, ch. 111), et on saurait moins encore associer le décès de l'un des ex-maris avec le revenu et la durée de cotisations de l'autre.
a) La première solution qui vient à l'esprit, à la lecture du texte légal, est sans conteste celle qu'ont retenue la Caisse cantonale neuchâteloise de compensation et le juge cantonal: l'ex-mari dont le décès entraîne application de l'art. 32 al. 3 et 4 LAVS est le dernier en date, et toutes les conditions du droit à la rente et de son calcul se rapportent donc au second mariage.
Cette solution a pour triple avantage d'être simple, de répondre au langage courant et surtout de demeurer dans la ligne du droit de famille. Il est en effet indéniable que, sur le plan civil, la femme dont un second mariage est dissous par le divorce ne redevient pas l'épouse veuve ou divorcée de son premier mari; ainsi que le dit en particulier le jugement cantonal, le second mariage a effacé les effets du premier - sinon quant aux enfants (la recourante formule cette réserve à raison), du moins quant aux relations entre conjoints.
b) A cette solution, la recourante et l'Office fédéral des assurances sociales opposent des arguments tirés de l'intention du législateur et de l'analogie avec d'autres dispositions légales également introduites le 1er janvier 1973.
La situation antérieure avait pour effet de priver la femme divorcée, une fois l'âge venu, de tout le bénéfice des cotisations versées par le mari durant l'union conjugale, à la prospérité de laquelle elle avait pourtant contribué par son activité non rémunérée pendant de longues années souvent. Le but de la novelle, clairement exprimé dans le message du Conseil fédéral du 11 octobre 1971 (p. 41), était de lui accorder désormais cet avantage, à l'instar de la veuve. Ce but ne peut évidemment être atteint si un nouveau mariage, aussi éphémère soit-il, exclut tout le bénéfice de la première union. Or le remariage conclu pour des raisons d'isolement ou à un âge avancé "comporte, comme l'expérience l'a prouvé, un grand risque de rupture, aboutit, après une courte période, à un

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divorce" (message précité, p. 42); le présent cas en est l'illustration. Aussi la solution adoptée par l'Office fédéral des assurances sociales répond-elle sans doute à l'intention du législateur, lorsque cet office propose d'ignorer les nouvelles unions éphémères, ne pouvant en aucun cas satisfaire aux conditions de l'art. 31 al. 3 LAVS, et de se baser "sur le dernier mariage qui a duré 5 ans au moins".
L'analogie avec le droit à la rente de veuve saute aux yeux. Dans sa nouvelle teneur dès le 1er janvier 1973, l'art. 23 al. 3 LAVS prévoit qu'un droit à la rente de veuve, éteint par le remariage, renaît en cas de dissolution du second mariage aux conditions établies par le Conseil fédéral; et celui-ci a édicté l'art. 46 al. 3 RAVS, aux termes duquel "le droit à la rente de veuve qui s'est éteint lors du remariage de la veuve renaît au premier jour du mois qui suit la dissolution de son nouveau mariage par divorce ou annulation si cette dissolution est survenue moins de dix ans après la conclusion du mariage". La loi replace ainsi la femme, quant à son droit à la rente de veuve, dans la situation qui était la sienne avant un second mariage de durée trop brève pour pouvoir jamais lui ouvrir droit à prestations - puisque dissous par une autre cause que le décès du deuxième conjoint; s'agissant d'une femme deux fois divorcée, qui touchait une rente de veuve en raison du décès de son premier ex-mari, la seconde union cessera donc d'être prise en considération, et la femme redeviendra en quelque sorte pour l'AVS l'épouse divorcée de son premier mari. Cette solution, que l'art. 23 al. 3 LAVS consacre de façon expresse pour ce qui concerne la rente de veuve, peut-elle être reprise par analogie dans le cadre de l'art. 31 al. 3 et 4 LAVS concernant la rente de vieillesse? Cela paraît bien répondre à la tendance, manifestée par le législateur (voir p. ex. message précité, p. 75), d'étendre au-delà de l'âge ouvrant droit à la rente de vieillesse la portée des normes applicables à la rente de veuve.
c) La première solution, conforme à une interprétation littérale, demeure dans la ligne du droit de famille. Mais elle ne permet pas, en cas de mariages successifs, d'atteindre le but visé par le législateur lors de l'introduction de l'art. 31 al. 3 et 4 LAVS.
La seconde solution, qui n'est à tout le moins pas incompatible avec le texte légal, permet en revanche de réaliser très

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largement les objectifs fixés. Elle le fait sans doute au prix d'une déviation de la ligne du droit de famille. Mais le législateur a sur plus d'un point dérogé expressément et sciemment aux normes civiles en vigueur, lorsque ces dernières étaient impropres à une solution satisfaisante en droit des assurances sociales (voir par exemple message précité, p. 34 et 41/42); la Cour de céans a été amenée à constater déjà de semblables tendances.
La pratique administrative, telle qu'elle a été fixée par l'autorité de surveillance, a adopté la seconde solution. Celle-ci est conciliable avec la loi et répond à l'orientation nouvelle du système des rentes. Le juge ne saurait donc la rejeter, au nom d'un strict respect de normes civiles dont le législateur lui-même s'est détaché à divers égards.
Il incombera à la caisse de compensation compétente de calculer la rente simple de vieillesse revenant à l'assurée, à compter du 1er janvier 1973, sur la base du revenu annuel moyen qui aurait été déterminant pour le calcul de la rente de vieillesse pour couple, conformément à l'article précité, s'il en résulte une rente plus élevée que celle calculée sur la base des revenus propres de l'intéressée.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:
Le recours est admis, dans le sens des considérants, la décision litigieuse et le jugement cantonal étant annulés et la cause, renvoyée à l'administration pour qu'elle statue à nouveau.