BGE 107 Ia 59 - Prévoté | |||
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Bearbeitung, zuletzt am 15.03.2020, durch: Sabiha Akagündüz, A. Tschentscher | |||
12. Extrait de l'arrêt rendu le 18 mars 1981 par la 1re Cour de droit public, dans la cause L'Amicale des patoisants de la Prévôté contre Conseil-exécutif du canton de Berne (recours de droit public) | |
Regeste |
Art. 4 BV; Meinungsäusserungs- und Versammlungsfreiheit. | |
Sachverhalt | |
L'Amicale des patoisants de la Prévôté, société folklorique jurassienne, est une association au sens des art. 60 ss CC dont le siège est à Moutier; réunissant les amis du patois jurassien de Moutier et environs, elle a pour but fondamental de conserver et faire revivre ce dialecte. Le 19 décembre 1979, elle a sollicité l'autorisation d'organiser, à l'occasion de l'inauguration de sa bannière, un cortège en ville de Moutier, le samedi 14 juin 1980.
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Par lettre du 4 février 1980, le préfet du district de Moutier, chargé en vertu de l'art. 13 de la loi bernoise du 3 septembre 1939 concernant les préfets, de veiller à l'ordre, la tranquillité et la sécurité de son district, a prié le Comité d'organisation de lui fournir des renseignements sur le parcours du cortège, les corps de musique et les personnalités invités, le nombre de personnes attendues et le caractère politique ou non de la manifestation. Dans leur réponse, les organisateurs ont affirmé que le cortège et la manifestation ne comportaient pas de volet politique, que 4 fanfares y étaient invitées et qu'ils comptaient sur une participation de 400 à 600 personnes pour le cortège; ils ont, en revanche, refusé de répondre à la question relative aux personnalités invitées.
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Dans ces conditions, le préfet a, par ordonnance du 20 mai 1980, autorisé le cortège à condition qu'il ne constitue pas une démonstration politique, qu'aucun membre d'une autorité du canton du Jura n'y participe et que l'emblème officiel de ce canton n'y soit pas déployé. Le 23 mai 1980, l'Office de la circulation routière du canton de Berne a également donné son autorisation en y incluant les conditions prescrites dans l'ordonnance préfectorale et celles contenues dans le préavis municipal.
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Statuant le 11 juin 1980, le Conseil-exécutif du canton de Berne a rejeté la plainte formée par l'Amicale des patoisants de la Prévôté contre l'ordonnance préfectorale. Il a considéré que la situation tendue qui régnait à Moutier et les difficultés d'y maintenir la paix et l'ordre public justifiaient les conditions raisonnables, respectant le principe de la proportionnalité, dont avait été assortie l'autorisation accordée par le préfet.
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L'Amicale des patoisants de la Prévôté a formé un recours de droit public contre la décision du Conseil-exécutif du 11 juin 1980, dont elle demande l'annulation.
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Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable, notamment pour les motifs suivants.
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Considérant en droit: | |
5. a) Dans son arrêt du 21 septembre 1977 en la cause Rassemblement jurassien et Unité jurassienne contre Conseil-exécutif du canton de Berne (ATF 103 Ia 311 ss), le Tribunal fédéral a constaté qu'il existait un état sérieux de tension dans les districts du Jura méridional qui, lors du plébiscite du 16 mars 1975, ont opté pour le maintien de leur territoire dans celui du canton de Berne. Il a admis que, spécialement à Moutier, cette tension légitimait le Gouvernement bernois à prendre, selon les circonstances, des mesures particulières pour protéger l'ordre public. Les événements qui se sont déroulés à Cortébert, le 16 mars 1980, soit à la date anniversaire du plébiscite évoqué, ont démontré, comme cela ressort de la déclaration faite à ce sujet par le Conseil fédéral devant les Chambres réunies le 19 mars 1980, que cet état de tension ne s'est guère apaisé (Bulletin officiel de l'Assemblée fédérale 1980 I/p. 422 ss). Les affirmations de l'autorité intimée, au sujet de la situation troublée qui régnerait encore à Moutier en relation avec la question jurassienne, paraissent dès lors vraisemblables; elles ne sont en tout cas pas démenties par l'argumentation de la recourante, selon laquelle aucune tension politique n'existait à Moutier à l'époque de la manifestation. Quant aux fêtes qui avaient été organisées à la même époque par des associations poursuivant des buts analogues, elles n'ont guère de signification à cet égard, les autorisations les concernant ayant été assorties de réserves sans qu'elles aient fait l'objet de plaintes de la part des organisateurs.
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Il est vrai que, selon les statuts de la recourante, rien ne permet de l'assimiler à une association poursuivant des buts politiques. On y décèle simplement un attachement profond au Jura et à ses traditions, toute volonté de provocation à l'endroit de l'Etat bernois en étant absente. De même, son mandataire a, le 18 avril 1980, donné au préfet l'assurance formelle que la manifestation ne comportait pas de volet politique lié à la question jurassienne, ce que confirmait le programme de la fête des 13 et 14 juin 1980, qui ne prévoyait que des concerts et des spectacles apparemment sans signification politique. Il y a lieu, cependant, de mettre ces éléments en parallèle avec l'appel lancé, au début de juin 1980, par le Rassemblement jurassien dans lequel celui-ci invite massivement ses adhérents et sympathisants à participer à la fête d'inauguration de la bannière de la recourante, qu'il fait coïncider avec la 5e fête de l'Unité. Le ton de cet appel était de nature à inquiéter l'autorité cantonale quant aux perturbations qui pourraient survenir au cours de la manifestation litigieuse. Cette inquiétude se comprend d'autant plus que celle-ci devait se dérouler à une date précédant immédiatement le 23 juin, anniversaire du premier plébiscite sur la question jurassienne, et cela dans une localité où la population est encore profondément divisée sur cette question. L'ensemble de ces circonstances révèle que des motifs sérieux postulaient l'adoption de mesures préventives destinées à éviter des affrontements violents entre éléments incontrôlés partisans de la réunification du Jura et partisans du statu quo. La décision attaquée témoigne, à n'en pas douter, d'une volonté d'éviter que le cortège de la recourante n'apparaisse, à tort ou à raison, comme un acte de provocation et qu'elle ne déclenche des désordres que l'autorité cantonale était habilitée à prévenir en vertu de son pouvoir général de police.
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b) Il est certain que, dans un cortège folklorique, la présence de drapeaux d'un autre canton ne comporte en soi rien de répréhensible; il en va de même d'autres moyens licites par lesquels les participants à un tel cortège exprimeraient leur attachement à un autre canton que celui où ils sont domiciliés et où se déroule la manifestation. La sensibilité particulière de la population du Jura méridional, et en particulier de Moutier, à la question jurassienne commandait toutefois à l'autorité intimée de faire preuve de prudence, sans pour autant porter indûment atteinte à la liberté d'opinion et de réunion de la recourante. Certes, on ne saurait mettre en doute la volonté des organisateurs de ne pas créer une situation conflictuelle. Ils ne pouvaient ainsi apparaître à l'autorité chargée d'examiner leur demande d'autorisation comme des perturbateurs directs. Cependant, l'expérience a démontré que les organisateurs d'une réunion ou d'un cortège, même lorsque celui-ci n'a pas immédiatement un caractère politique, ne sont pas toujours en mesure de contrôler le comportement des participants, ni d'éviter que des tiers viennent menacer l'ordre qu'ils s'efforcent de maintenir. La jurisprudence a donc élargi la notion de perturbateur, en considérant comme tel non seulement l'auteur d'un dommage, mais également celui qui, par son comportement, crée le risque d'une violation de l'ordre public par des tiers (ATF 103 Ia 314 consid. 4, ATF 99 Ia 511 et arrêts cités). Or, à la teneur de l'appel du Rassemblement jurassien, l'autorité cantonale pouvait légitimement craindre la participation au cortège de nombreux drapeaux jurassiens, dont l'ensemble aurait donné à cette partie de la manifestation, dans le contexte décrit plus haut, une coloration politique. Certains événements antérieurs lui permettaient, au demeurant, de redouter qu'une telle participation soit ressentie comme une provocation par une partie des habitants de la localité. La limitation apportée à la liberté d'opinion et de réunion par l'interdiction de déployer l'emblème du canton du Jura durant le cortège était ainsi justifiée par l'intérêt public à sauvegarder; elle viole d'autant moins le principe de la proportionnalité qu'elle ne touche que le cortège, celui-ci ne revêtant, selon les organisateurs eux-mêmes, aucun caractère politique lié à la question jurassienne.
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En ce qui concerne l'inégalité de traitement que cette interdiction provoquerait entre les formations jurassiennes invitées au cortège et celles provenant d'autres cantons romands, la recourante ne motive nullement ce grief qui doit, partant, être déclaré irrecevable en application de l'art. 90 al. 1 OJ.
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c) Au sujet de la condition visant à interdire la participation au cortège de tout membre d'une autorité du canton du Jura, il y a lieu de constater ce qui suit.
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Le 4 février 1980, le préfet avait invité la recourante à lui indiquer quelles étaient les personnalités de Moutier ou d'ailleurs participant au cortège ou invitées à la manifestation. La recourante a refusé de répondre à cette question, précisant toutefois, lors d'une audience qu'elle avait requise et qui s'est tenue le 30 avril 1980 à la Préfecture de Moutier, qu'elle invitait 240 personnes au total sans apporter d'autres indications. L'ordonnance préfectorale du 19 mai 1980 s'est alors fondée sur le refus répété du Comité d'organisation de donner connaissance des noms des invités officiels au cortège et à la manifestation. Dans sa décision, le Conseil-exécutif a exposé que les habitants du Jura bernois, partisans du statu quo, auraient également vu une provocation dans la présence au sein du cortège, à titre d'invités, de membres des autorités du nouveau canton, qui, par leur participation, auraient montré leur sympathie pour la réunification. Il semble à cet égard douteux que la clause générale de police ait permis à l'autorité cantonale d'interdire toute participation de personnalités exerçant une fonction officielle dans le canton du Jura. La question peut cependant demeurer indécise, car l'autorité cantonale pouvait, en l'espèce, fonder son interdiction sur le refus des organisateurs de lui fournir les renseignements demandés. En présence des dangers redoutés par l'autorité cantonale, celle-ci était en effet légitimée à s'enquérir des intentions des organisateurs. La recourante aurait dû alors se rendre compte que son refus faisait naître des soupçons justifiés. Dans ces conditions, il faut admettre que, craignant l'afflux d'un nombre excessif d'invités venant du canton du Jura qui, par leur présence, auraient pu donner l'impression que la manifestation litigieuse avait un caractère politique, l'autorité cantonale pouvait, sans excéder les limites de son pouvoir général de police, prononcer l'interdiction litigieuse.
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d) Il résulte de ce qui précède qu'en rejetant la plainte de la recourante et en admettant que l'autorisation de défiler à Moutier, le 14 juin 1980, soit assortie de conditions visant à assurer le maintien de l'ordre et de la tranquillité publics, le Conseil-exécutif n'a pas violé le principe de la proportionnalité, ni abusé de son pouvoir d'appréciation. Le recours de droit public doit dès lors être rejeté, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'argument que le Gouvernement bernois tire de l'art. 5 Cst.
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