BGE 126 I 153 - Cologny | |||
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Bearbeitung, zuletzt am 15.03.2020, durch: Sabiha Akagündüz, A. Tschentscher | |||
19. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour de droit public du 3 mai 2000 dans la cause F. contre Officier de police du canton de Genève (recours de droit public) | |
Regeste |
Art. 4 aBV (Art. 31 Abs. 2 BV); Art. 6 Ziff. 3 EMRK und Art. 107A StPO/GE; Rechte einer verhafteten Person. |
Art. 107A Abs. 3 lit. g StPO/GE über den Verkehr einer verhafteten Person mit ihrem Anwalt wurde im vorliegenden Fall nicht verletzt (E. 3). |
Die willkürfreie Anwendung dieser Bestimmung führte hier auch zu keiner Verletzung von Art. 4 aBV oder von Art. 6 Ziff. 3 EMRK (E. 4). | |
Sachverhalt | |
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Les personnes arrêtées ont d'abord été conduites au poste de police de la Pallanterie, en vue de la vérification de leur identité. Elles ont toutes été relâchées, sauf F. dont il est apparu qu'elle faisait l'objet d'une interdiction d'entrée en Suisse prononcée par l'Office fédéral des étrangers le 21 mai 1998, avec effet jusqu'au 20 mai 2003.
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Pour la suite des opérations, les gendarmes ont conduit F. d'abord dans les locaux de la brigade d'intervention, puis à l'Hôtel de Police, où elle est arrivée vers 10h30.
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A 10h12, Me Jean-Pierre Garbade, avocat à Genève, a adressé un message télécopié à l'officier de police. S'annonçant comme le mandataire de F., il a demandé à pouvoir s'entretenir avec elle immédiatement. Ce message comporte le passage suivant:
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"Je sais que le Code de procédure pénale n'autorise la visite qu'après l'interrogatoire par l'officier de police, mais j'estime que ce droit résulte de l'art. 4 Cst. féd. et 6 ch. 1 c) CEDH (...)".
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Vers 10h55, l'un des gendarmes ayant procédé à l'arrestation de F. a téléphoné à Me Garbade pour lui indiquer que sa cliente devant être probablement relâchée, une visite n'entrait pas en ligne de compte à ce stade.
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A 12h04, l'officier de police a décerné un mandat d'amener contre F. pour infraction à l'art. 23 de la loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE; RS 142.20).
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A 13h., un gendarme maîtrisant l'allemand a procédé à l'audition de F. et lui a remis une copie de l'art. 107A CPP/GE, régissant les droits de la personne entendue par la police.
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L'officier de police a entendu F. à 17h35. Il lui a signifié son arrestation pour infraction à l'art. 23 LSEE et ordonné son transfert à la prison de Champ-Dollon pour être mise à la disposition du juge d'instruction. Il lui a rappelé la teneur de l'art. 107A CPP/GE.
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A 17h35, l'officier de police a adressé à Me Garbade un message télécopié l'informant de la notification du mandat d'amener et de l'arrestation de sa cliente, laquelle avait exprimé le souhait de rencontrer son avocat. L'officier de police a invité Me Garbade à s'adresser au Juge d'instruction en charge de la procédure, "pour la suite des modalités".
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Me Garbade a eu connaissance de ce message à 18h30.
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F. a été placée au relais carcéral de l'Hôtel de police avant d'être conduite à la prison de Champ-Dollon, où son arrivée a été enregistrée à 18h20.
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Le 28 août 1998 à 10h., F. a pu s'entretenir avec Me Garbade. Au terme de l'audition qui a suivi, en présence de Me Garbade, le Juge d'instruction a ordonné la relaxe de F., qui a été reconduite immédiatement à la frontière.
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Agissant par la voie du recours de droit public, F. demande au Tribunal fédéral de constater que la police aurait violé ses droits constitutionnels, notamment la liberté personnelle, l'art. 4 aCst. et l'art. 6 par. 3 let. b et c CEDH, en ne lui remettant pas le message télécopié de Me Garbade et en ne l'autorisant pas à rencontrer son avocat dans les locaux de la police le 27 août 1998 avant 13h., ou au moins avant son transfert dans le relais carcéral. F. requiert l'assistance judiciaire.
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Par ordonnance du 30 septembre 1998, le Président de la Ie Cour de droit public a suspendu la procédure jusqu'à ce que le Conseil d'Etat et le Procureur général du canton de Genève aient statué sur les recours formés parallèlement auprès d'eux par F.
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Le 24 novembre 1998, le Procureur général a déclaré le recours irrecevable, faute de compétence pour en connaître. Le 10 novembre 1999, le Conseil d'Etat en a fait de même. La procédure a été reprise le 19 novembre 1999. Le Chef de la police cantonale conclut au rejet du recours. Invitée à répliquer, la recourante a maintenu ses conclusions. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
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Extrait des considérants: | |
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b) Outre les art. 4 aCst. et 6 par. 3 CEDH, la recourante invoque la liberté personnelle (cf. désormais l'art. 10 al. 2 Cst.). Il est douteux que celle-ci confère à la personne arrêtée le droit de s'entretenir librement avec son avocat dès son arrestation, non pas pour les besoins de la défense, mais pour la protection de son intégrité personnelle contre d'éventuels mauvais traitements qu'elle pourrait subir au cours de sa détention - comme le soutient la recourante. Cette mission n'entre pas dans les tâches de l'avocat et on ne voit pas pourquoi elle serait assumée par celui-ci plutôt que par un tiers. En l'espèce, eu égard au fait que l'intervention du mandataire s'inscrivait exclusivement dans la perspective de la défense de la recourante au stade initial de la procédure pénale, il est superflu d'examiner si les faits de la présente cause pourraient également entrer dans le champ d'application de la liberté personnelle.
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Pour ce qui concerne la base légale topique, il convient de relever que l'art. 107A al. 3 let. b CPP/GE permet à la personne détenue de requérir en tout temps la visite d'un médecin, disposition qui vise précisément à écarter tout risque de mauvais traitement. Confier prioritairement au médecin la tâche de protéger la personne arrêtée contre d'éventuelles violences policières procède d'un choix délibéré du législateur (Mémorial des séances du Grand Conseil 1993, p. 2425 ss; 1996, p. 2114 ss), lequel avait opté dans un premier temps en faveur d'une version selon laquelle "toute personne entendue par la police a le droit d'être assistée d'un avocat".
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2. Lorsqu'une personne est entendue à titre de renseignements, les art. 46 à 49 sont applicables par analogie.
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3. Lorsqu'une personne est entendue comme auteur présumé d'une infraction, elle est rendue attentive, sans délai, par la remise du présent article dans une langue comprise par elle, à ce:
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a) qu'elle doit, dans les vingt-quatre heures au plus, si elle n'est pas relaxée, être mise à la disposition du juge d'instruction et que celui-ci dispose de vingt-quatre heures au plus pour l'interroger et la relaxer ou décerner contre elle un mandat d'arrêt;
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b) qu'elle peut demander à tout moment, pendant la durée de son interrogatoire et au moment de quitter les locaux de police, à faire l'objet d'un examen médical et qu'un tel examen a également lieu sur demande de la police;
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c) qu'elle peut prendre connaissance des charges dirigées contre elle et des faits qui lui sont reprochés;
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d) qu'elle ne peut être forcée de déposer contre elle-même ou de s'avouer coupable;
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e) qu'elle peut informer de sa détention un proche, un familier ou son employeur, sauf risque de collusion ou de danger pour le cours de l'enquête, ainsi que de faire prévenir son avocat;
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f) qu'elle peut informer de sa détention son consulat, si elle est étrangère;
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g) qu'elle a le droit d'obtenir la visite d'un avocat et de conférer librement avec lui, dès la fin de son interrogatoire par l'officier de police, mais au plus tard à la première heure ouvrable à l'issue des vingt-quatre heures suivant le début de l'audition par la police, sauf risque de collusion ou de danger pour le cours de l'enquête, les horaires de visite des avocats à la prison pouvant toutefois être limités à deux heures le samedi, le dimanche et les jours fériés;
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h) qu'elle peut, si elle ne connaît pas d'avocat, s'en faire désigner un;
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i) qu'elle peut, le cas échéant, faire appel à l'assistance juridique, aux conditions prévues par la loi.
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4. Mention est faite de ces communications au rapport de police".
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b) Il est constant que la recourante a été entendue par la police comme personne soupçonnée d'avoir commis une infraction, soit la violation de la décision du 21 mai 1998 lui interdisant l'entrée sur le territoire suisse (art. 23 LSEE). Elle a reçu une copie de l'art. 107A CPP/GE et eu la possibilité de faire avertir de son arrestation le consulat d'Allemagne, mesure à laquelle elle a renoncé spontanément.
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c) Pour déterminer le moment à partir duquel la personne arrêtée a le droit de rencontrer son défenseur, l'art. 107A al. 3 let. g CPP/GE se réfère à l'interrogatoire par l'officier de police et non à la notification du mandat d'amener. Il faut en conclure que le délai fixé par cette norme du droit cantonal a commencé à courir dès le 27 août 1998 à 17h35, ce que la recourante ne conteste pas au demeurant et ce que confirme aussi le message télécopié adressé par Me Garbade à l'officier de police le 27 août 1998 à 10h12.
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Pour le reste, le délai de seize heures et vingt-cinq minutes qui s'est écoulé entre le moment où l'officier de police a informé Me Garbade du sort de sa cliente et celui où l'entrevue réclamée a pu avoir lieu - soit le 28 août 1998 à 10h. -, s'explique par des motifs organisationnels. Selon l'art. 38 CPP/GE, toute personne appréhendée en vertu d'un mandat d'amener doit être conduite sans retard à la maison de détention préventive, soit la prison de Champ-Dollon (cf. l'art. 1 al. 1 du Règlement genevois sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées, du 30 septembre 1985 - le Règlement), à moins que le Juge d'instruction ne décide immédiatement de ne pas écrouer la personne - hypothèse non réalisée en l'espèce. Conformément à l'art. 38 CPP/GE, immédiatement après son interrogatoire par l'officier de police, la recourante a été conduite à la prison de Champ-Dollon, où elle est arrivée à 18h20. Dès cet instant, Me Garbade avait le droit de rendre visite à sa cliente, mais seulement après l'audition de celle-ci par le juge d'instruction (art. 36 al. 1 du Règlement) ou avec l'autorisation de celui-ci (art. 37 al. 3 du Règlement). En l'espèce, aucune de ces formalités n'a pu être accomplie avant le 28 août 1998, l'office des juges d'instruction étant fermé au moment où la recourante a été écrouée à la prison de Champ-Dollon.
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L'officier de police a interrogé le 27 août 1998 à 17h35 la recourante, qui a pu s'entretenir avec Me Garbade le 28 août 1998 à 10h. Le délai maximal de vingt-quatre heures, fixé par l'art. 107A al. 3 let. g CPP/GE, a ainsi été respecté.
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d) Cela étant, il aurait sans doute été conforme à l'esprit de l'art. 107A CPP/GE (disposition conçue essentiellement en vue du cas où la personne arrêtée n'est pas assistée par un avocat s'annonçant spontanément à la police, contrairement au cas d'espèce) de donner connaissance à la recourante du message télécopié de Me Garbade (ou simplement l'en informer et lui en relater le contenu), dès l'instant où, le 27 août 1998 à 12h04, un mandat d'amener a été décerné contre elle, voire à 13h., où elle a été interrogée par un policier parlant l'allemand. Il n'aurait en effet pas été indifférent à la recourante de savoir que Me Garbade cherchait à intervenir en sa faveur en réclamant la possibilité de s'entretenir immédiatement avec elle. De même, il semble, sur le vu du dossier cantonal, que les démarches nécessaires pour clarifier la situation de la recourante étaient terminées vers 13h. Si l'officier de police avait procédé immédiatement à l'interrogatoire de la recourante, il aurait sans doute été possible d'aménager la rencontre demandée avec Me Garbade encore avant la fin de l'après-midi. Une plus grande promptitude aurait ainsi assuré une application optimale des art. 15 al. 2 Cst./GE et 107A CPP/GE, sans que l'on puisse pour autant reprocher à l'autorité cantonale d'avoir violé ces normes, dont la recourante ne se prévaut pas.
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e) Il convient dans ce contexte de souligner que l'art. 107A CPP/GE fait appel à des notions juridiques indéterminées (telles que le risque de collusion ou le danger pour les besoins de l'enquête), ce qui justifie pleinement le choix du législateur de confier à l'officier de police, fonctionnaire supérieur disposant d'une formation juridique complète, l'application - parfois délicate - de cette norme innovatrice et équilibrée.
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a) A teneur de l'art. 6 par. 3 CEDH, tout accusé a le droit notamment d'être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui (let. a), de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (let. b) et de se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix (let. c). Ces garanties constituent un aspect particulier du droit au procès équitable au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH (ATF 125 I 127 consid. 6a p. 131/132; arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999 par. 52). Les garanties offertes par l'art. 6 par. 3 let. a et b CEDH sont liées, en ce sens que le droit d'être informé de la nature et de la cause de l'accusation doit être envisagé à la lumière du droit de l'accusé de préparer sa défense (arrêt Pélissier et Sassi c. France, précité, par. 54; JOCHEN A. FROWEIN/WOLFGANG PEUKERT, EMRK-Kommentar, 2ème éd., Kehl, Strasbourg, Arlington, 1996, N.175 ad art. 6).
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b) La Cour européenne des droits de l'homme interprète de manière autonome les notions d'"accusation en matière pénale", de "personne accusée d'une infraction" et d'"accusé", auxquelles se réfère l'art. 6 par. 1 et par. 3 CEDH (arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme Deweer c. Belgique du 27 février 1980, Série A, vol. 35, par. 42). Ces notions sont équivalentes (arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme Lutz c. Allemagne du 25 août 1987, Série A, vol. 123, par. 52). L'accusation se définit comme la notification officielle, émanant de l'autorité compétente, du reproche d'avoir commis une infraction pénale (arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme Pélissier et Sassi c. France, précité, par. 51; Brozicek c. Italie du 19 décembre 1989, Série A, vol. 167, par. 38; Corigliano c. Italie du 10 décembre 1982, Série A, vol. 57, par. 34; Deweer, précité, par. 46). Les dispositions de l'art. 6 par. 3 let. a CEDH n'imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l'accusé doit être informé de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui (arrêt Pélissier et Sassi précité, par. 53). Cette notification peut intervenir avant le renvoi en jugement, soit notamment au moment de l'arrestation, de l'inculpation ou de l'ouverture des enquêtes préliminaires (arrêt Corigliano précité, par. 34).
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Le mandat d'amener au sens des art. 15 Cst./GE et 32 CPP/GE doit être tenu comme un acte par lequel l'autorité compétente notifie à la personne arrêtée qu'elle est soupçonnée d'avoir commis un crime ou un délit et qu'elle est, à ce titre, détenue provisoirement en vue d'un interrogatoire. Dès la remise de ce mandat, la personne arrêtée doit être considérée comme "accusée" au sens de l'art. 6 CEDH, quand bien même aucune inculpation (art. 134 CPP/GE) n'a été prononcée, ni, partant, aucun mandat d'arrêt (art. 33 CPP/GE) décerné contre elle. La recourante bénéficiait dès la notification du mandat d'amener - soit le 27 août 1998 à 16h35 - des garanties énoncées à l'art. 6 par. 3 CEDH.
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c) Les art. 4 aCst. et 6 par. 3 let. c CEDH donnent à l'accusé le droit de s'entretenir librement avec son défenseur (ATF 121 I 164 consid. 2c p. 167 ss; ATF 111 Ia 341 consid. 3c p. 346; arrêt non publié K. du 11 septembre 1996 consid. 2a), au moins dès le stade de l'enquête préliminaire ("Voruntersuchung"; ATF 106 Ia 219 consid. 3c p. 222/223; ATF 105 Ia 98 consid. 2 p. 100/101, et les arrêts cités; arrêt non publié U. du 2 septembre 1993, consid. 2a/aa). La liberté personnelle et l'art. 14 par. 3 let. b du Pacte ONU II n'ont pas de portée propre à cet égard.
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Selon la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'homme, l'art. 6 par. 3 let. c CEDH confère à l'accusé le droit de bénéficier de l'assistance d'un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police. Ce droit, que la Convention n'énonce pas expressément, peut cependant être restreint pour des motifs valables; il convient de déterminer dans chaque cas si, à la lumière de l'ensemble de la procédure, la restriction critiquée a privé l'accusé d'un procès équitable (arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme Murray c. Royaume-Uni du 8 février 1996, par. 63, et Can c. Autriche du 30 septembre 1985, par. 17, renvoyant au rapport établi dans cette affaire le 12 juillet 1984 par la Commission européenne des droits de l'homme, ch. 45-61; pour MARK E. VILLIGER, Handbuch der Europäischen Menschenrechtskonvention, 2ème éd., Zurich, 1999, N.516, l'arrêt Murray doit conduire à un réexamen de la jurisprudence relative à l'art. 4 aCst. qui vient d'être rappelée). Dans cette affaire, la Cour a jugé que refuser tout contact entre l'accusé et son défenseur pendant quarante-huit heures n'est pas compatible avec l'art. 6 CEDH (arrêt Murray, précité, par. 66).
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d) Au regard de ces principes, on ne saurait souscrire à la thèse de la recourante qui prétend que les art. 4 aCst. et 6 par. 3 CEDH imposeraient d'emblée et sans restriction à l'autorité de police d'autoriser la personne arrêtée à s'entretenir librement avec son défenseur dès les premières heures de l'interrogatoire ou, du moins, dès l'instant où le défenseur s'annonce comme tel à la police et demande à exercer ce droit, soit en l'espèce le 27 août 1998 à 10h12. L'art. 107A al. 3 let. g CPP/GE répond aux exigences de la Convention, dans la mesure où il prévoit que la personne arrêtée a le droit de s'entretenir avec son avocat immédiatement après son interrogatoire par l'officier de police, mais vingt-quatre heures au plus après sa première audition par la police. Ce mécanisme est suffisamment souple pour tenir compte à la fois des cas où la situation peut être éclaircie rapidement, parce que la relaxe ou la notification d'un mandat d'amener s'impose d'emblée, et de ceux, plus complexes, réclamant des mesures d'investigations plus approfondies, les risques de collusion et du danger pour l'enquête devant en outre être réservés dans tous les cas.
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Après son arrestation avec d'autres personnes, la recourante a d'abord été conduite au poste de la Pallanterie où ont été effectués les premiers contrôles usuels. Lorsqu'il est apparu qu'elle était interdite d'entrée sur le territoire de la Confédération, la recourante a été transférée dans les locaux de la brigade d'intervention, puis à l'Hôtel de police, distant de plusieurs kilomètres. Si la décision du 21 mai 1998 a pu être facilement repérée, il a fallu s'assurer qu'elle était toujours en force, ce qui a nécessité, selon les indications de la police, de faire des vérifications tant auprès de l'Office cantonal de la population que de l'Office fédéral des étrangers à Berne. S'il semble, sur le vu du dossier, que ces opérations étaient terminées le 27 août 1998 à 13h., il se peut que l'exécution de tâches prioritaires aient empêché l'officier de police, après avoir décerné le mandat d'amener le 27 août 1998 à 12h04, d'interroger la recourante avant 17h35. Une action plus rapide aurait été opportune (cf. consid. 3d ci-dessus). Il n'en demeure pas moins que l'autorité a traité dans un délai raisonnable le cas de la recourante, laquelle n'adresse au demeurant aucune critique à la police sur ce point précis.
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e) La recourante se prévaut dans ce contexte de la Résolution (73) 5 adoptée le 19 janvier 1973 par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, relative aux règles minima à observer pour le traitement des détenus, remplacée depuis par la Recommandation noR(87) 3, intitulée "Règles pénitentiaires européennes", adoptée par le Comité des Ministres le 12 février 1987. Selon le ch. 93 de cette Recommandation, tout prévenu doit pouvoir, dès son incarcération, choisir son avocat ou être autorisé à demander la désignation d'un avocat d'office, lorsqu'une telle assistance est prévue, et à recevoir des visites de son avocat en vue de sa défense; il doit pouvoir en outre préparer et remettre à son avocat des instructions confidentielles, et en recevoir. Ces règles, dont le Tribunal fédéral s'inspire dans la concrétisation de la liberté personnelle et des autres droits fondamentaux garantis par la CEDH et la Constitution (ATF 124 I 231 consid. 2b p. 236/237), ne constituent pas des normes obligatoires liant les Etats, mais de simples directives dont la prétendue violation ne peut faire séparément l'objet d'un recours de droit public (ATF 111 Ia 341 consid. 3b p. 345).
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f) Dans son rapport du 7 février 1992, le Comité institué selon la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, conclue à Strasbourg le 26 novembre 1987 et entrée en vigueur pour la Suisse le 1er février 1989 (CPT; RS 0.106) a émis, à l'adresse du Conseil fédéral, une recommandation no121 invitant les autorités suisses à consacrer expressément, dans les meilleurs délais, le droit pour les personnes arrêtées par la police d'avoir accès à un avocat dès le début de la garde à vue; ce droit devrait comprendre à la fois la visite de l'avocat et la présence de celui-ci lors des interrogatoires. Dans sa prise de position du 14 décembre 1992, le Conseil fédéral a indiqué expressément qu'il ne pouvait souscrire à la recommandation no121, laquelle ne produit pas d'effet obligatoire à l'égard des Etats et va au-delà des garanties offertes par l'art. 6 par. 3 CEDH. Bien que cette prise de position ne lie pas le Tribunal fédéral, celui-ci ne saurait méconnaître que les travaux intergouvernementaux menés dans le cadre du Conseil de l'Europe, tendant à consacrer certains droits des personnes arrêtées, n'ont pas abouti en l'état et que certaines des garanties envisagées iraient moins loin que l'art. 107A CPP/GE (cf. art. 3 du projet établi par un groupe de travail du Comité directeur pour les droits de l'homme, qui considérait comme suffisant que la personne privée de liberté puisse, "sans retard injustifié", informer un avocat du fait et du lieu de sa détention). Dans son rapport intermédiaire adopté à la suite de la visite en Suisse, du 11 au 23 février 1996, du Comité institué par la CPT, le Conseil fédéral a estimé qu'"une réévaluation de cette question sera opportune au moment des travaux législatifs tendant à l'unification de la procédure pénale en Suisse". Ces travaux sont en cours (cf. l'art. 123 al. 1 Cst.; FF 1999 p. 7831). Dans cette période d'incertitude normative, tant au niveau européen que suisse, le juge constitutionnel doit faire preuve d'une réserve d'autant plus justifiée que la norme cantonale litigieuse est particulièrement précise et novatrice.
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