BGE 49 I 14 - Mademoiselle Dora Roeder | |||
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Bearbeitung, zuletzt am 15.03.2020, durch: Sabiha Akagündüz, A. Tschentscher | |||
3. Arrêt du 24 février 1923 dans la cause Mme Dr Roeder contre Conseil d'Etat du canton de Fribourg. |
Avocats : Inconstitutionnalité d'une loi cantonale excluant les femmes de l'accès à la profession d'avocat. | |
En fait: | |
Mademoiselle Dora Roeder a obtenu le doctorat en droit de l'université de Zurich et a travaillé pendant un certain temps chez un avocat de Zurich. Depuis septembre 1922 elle est employée chez le Dr Villars, avocat à Fribourg. Elle a sollicité du Conseil d'Etat du canton de Fribourg l'octroi d'une patente de licenciée lui permettant de pratiquer devant les tribunaux de lre instance sous la direction et la responsabilité de l'avocat Villars. Par arrêté du 24 novembre 1922 le Conseil d'Etat du canton de Fribourg a écarté la demande de Mme Roeder par les motifs suivants :
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La requérante ne peut invoquer l'art. 5 Disp. transit. Const. féd., car la patente de licencié donne au candidat l'autorisation de faire son stage, or le stage n'est pas une profession, c'est un premier stade vers la profession d'avocat et dans le canton de Fribourg les femmes ne sont pas admises à l'exercice du barreau : les avocats sont des officiers civils (art. 1 de la loi du 22 novembre 1851) et ils doivent justifier de leur qualité de citoyens actifs (art. 36 du Règlement du 2 janvier 1886).
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Mademoiselle Roeder a formé un recours de droit public au Tribunal fédéral contre cet arrêté, en invoquant les art. 4, 31, 33 Const. féd. et l'art. 5 Disp. transit, et en exposant ce qui suit :
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La profession d'avocat est une profession libérale qui, d'après l'art. 5 Disp. transit. Const. féd., doit être ouverte aux ressortissants des autres cantons et dont l'exercice ne peut être subordonné qu'à des conditions égales pour tous ; en réservant aux hommes le droit de pratiquer le barreau, la loi fribourgeoise viole le principe de l'égalité de traitement.
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Agissant au nom du Conseil d'Etat, le Ministère public du canton de Fribourg a conclu au rejet du recours pour les motifs suivants :
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Le stage est une anticipation dans l'exercice du barreau. Ne peuvent être donc admis au stage que ceux qui sont dans les conditions requises pour pouvoir aspirer à la profession d'avocat. Toute la question se ramène à savoir si la recourante peut se présenter à l'examen d'avocat dans le canton de Fribourg. Les avocats sont, d'après l'art. 1 de la loi de 1851, des "officiers civils" ; la loi veut dire par là qu'ils remplissent une fonction quasi-publique, honorée de l'Etat et entourée de différents privilèges. L'art. 5 Disp. transit, n'est pas applicable, la recourante n'étant pas porteur d'un certificat de capacité délivré dans un autre canton. D'autre part, pour devenir avocat fribourgeois elle devrait être en possession de ses droits politiques. Cette exigence n'est pas contraire à l'art. 4 Const. féd., puisque l'exclusion qui en résulte s'applique non seulement aux femmes, mais aussi aux citoyens qui par leur conduite ont perdu l'exercice des droits politiques. Quant à l'art. 31 Const. féd., il suffit de rappeler que, si l'avocatie est librement accessible à tous sous les conditions légales, cette fonction est cependant entourée de droits et de charges qui la différencient d'une simple industrie : examen, serment, chambre de discipline, obligation de défendre gratuitement les pauvres, inviolabilité du cabinet et du secret professionnel, droit de présenter des moyens sans procuration, droit au respect, etc. Aussi bien l'art. 33 Const. féd. permet aux cantons de réglementer les professions libérales. Le canton de Fribourg oi le féminisme n'a pas encore triomphé a fait usage de cette faculté en exigeant la possession des droits politiques et en excluant par conséquent les femmes ; cette réglementation n'est pas anticonstitutionnelle.
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Considérant en droit : | |
Le brevet de licencié sollicité par la recourante lui a été refusé par l'unique motif que, d'après l'art. 36 du Règlement fribourgeois sur les examens des aspirants à l'exercice du barreau et du notariat, seuls les "citoyens actifs" peuvent obtenir la patente d'avocat et par conséquent aussi celle de stagiaire-licencié. Il y a lieu de rechercher si cette exigence du droit fribourgeois, qui a pour effet d'exclure les femmes de l'accès au barreau, est contraire à la constitution. A cet égard, la recourante ne saurait invoquer l'art. 5 Disp. transit. Const. féd., car elle n'est pas avocate zurichoise et il ne s'agit donc pas de la reconnaissance, par le canton de Fribourg, d'un certificat de capacité délivré par un autre canton. L'art. 33 Const. féd. n'est pas davantage applicable ; il ne vise en effet que les preuves de capacité que les cantons peuvent exiger de ceux qui veulent exercer des professions libérales ; lorsque, comme en l'espèce, l'exercice d'une profession libérale est subordonné à d'autres conditions qu'à celles de capacité, c'est à la lumière de l'art. 31 litt. é) combiné avec l'art. 4 Const. féd. qu'on doit décider si les restrictions ainsi apportées au principe général de la liberté du commerce et de l'industrie se justifient (Salis II Nos 831 et suiv. ; RO 32 I p. 638 et sv. ; 40 I p. 54 et sv.).
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Le Conseil d'Etat soutient, il est vrai, que l'art. 31 Const. féd. est sans application possible, parce que, dans le canton de Fribourg, l'avocat n'exerce pas, à proprement parler, une profession, il remplit un "office public". Cette argumentation ne saurait toutefois être admise. Il est exact que, lorsqu'une législation cantonale donne à une profession comme elle peut le faire (cf. Burckhardt, p. 297) le caractère de charge publique, de ce fait celle-ci sort du cadre de l'art. 31 Const. féd. (v. en ce qui concerne les notaires, RO 23 I p. 481 et sv.) ; mais, pour le même motif, elle sortirait aussi du cadre des art. 33 et 5 Disp. transit. ; or le Tribunal fédéral a jugé que ces dispositions sont applicables à la profession d'avocat telle qu'elle est organisée dans la plupart des cantons (v. par ex. RO 30 I p. 28 et sv.; 32 I p. 267 et sv. et p. 638 et sv.; 39 I p. 48 et sv.; 40 I p. 54 et sv.; 42 I p. 277 et sv.; 45 I p. 362 et sv.) et notamment dans le canton de Fribourg (RO 30 II p. 18 et sv.) ; c'est donc qu'il a estimé que, dans ces cantons, les avocats n'ont pas la qualité de fonctionnaires publics (cf. en ce qui concerne les avocats vaudois RO 43 I p. 36-37). Et en effet les avocats fribourgeois n'ont pas cette qualité. Sans doute, ils collaborent comme organes auxiliaires à l'administration de la justice ; à ce titre, ils sont tenus de présenter certaines garanties au point de vue des connaissances et de l'honorabilité personnelle et ils ont, de par la loi, des devoirs spéciaux ce qui explique que, pour pouvoir pratiquer, ils doivent obtenir un brevet et être assermentés et qu'ils soient soumis à la surveillance de l'autorité judiciaire supérieure. Mais cela ne modifie pas la nature fondamentale de leur activité qui est celle de professionnels indépendants et non de fonctionnaires. Leur nombre est illimité, ils ne sont ni nommés, ni rétribués par l'Etat et, en assistant et représentant les parties devant les tribunaux, ils ne s'acquittent pas d'une charge publique, ils exécutent le mandat de droit civil qu'ils ont reWu de leur client (cf. Zürcher, Schweizerisches Anwaltsrecht, p. 200 et sv.). Peu importe dès lors que la loi de 1851 les appelle des "officiers civils", c'est là une simple désignation qui ne correspond plus à la réalité des choses, soit au fait que les avocats ne détiennent aucune parcelle de la puissance publique et qu'ils pratiquent pour leur propre compte et à leur profit personnel ce qui est la marque distinctive de l'activité professionnelle à laquelle s'applique la garantie inscrite à l'art. 31 Const. féd.
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Du moment donc que la recourante peut se mettre au bénéfice de cette garantie, la seule question qui se pose est celle de savoir s'il existe des motifs suffisants pour justifier la restriction au libre exercice de la profession et l'inégalité de traitement que consacre le droit fribourgeois en réservant aux hommes la faculté de pratiquer le barreau. Cette question a été résolue affirmativement par le Tribunal fédéral dans l'affaire Kempin (arrêt du 29 janvier 1887 : RO 13 p. 16 sv.) oi il a été jugé que, "d'après les conceptions dominantes à l'époque, le traitement inégal des deux sexes, notamment en ce qui concerne la participation à la vie publique, n'est pas dépourvu de fondement intrinsèque" (loc. cit. p. 5). Dans une affaire plus récente (RO 40 I p. 1 et sv.), le Tribunal fédéral a laissé la question ouverte, mais en faisant observer que, s'agissant de l'exclusion des femmes de la profession d'agent d'affaires, le canton de Saint-Gall ne peut pas invoquer les conceptions traditionnelles auxquelles se réfère l'arrêt Kempin, puisqu'il les a abandonnées en permettant aux femmes de pratiquer le barreau. Aussi bien, l'idée dont s'inspire cet arrêt Kempin n'est plus en harmonie avec les conditions actuelles. Par suite des transformations d'ordre économique et social qui se sont produites au cours des dernières décades, les femmes ont été obligées d'étendre leur activité à des domaines qui autrefois paraissaient réservés aux hommes et elles y sont mieux que par le passé préparées par leur éducation et leur instruction qui tendent à se rapprocher de celles que reWoivent les hommes. Enregistrant cette évolution, le droit fédéral leur reconnaót une pleine capacité civile, même à la femme mariée il facilite l'exercice d'une profession indépendante en lui permettant de recourir au juge si le mari refuse son autorisation, il ne fait plus de distinction entre les sexes quant à la faculté de remplir les fonctions de tuteur. Si les droits politiques continuent très généralement en Suisse à être refusés aux femmes, par contre dans la vie économique les mÃurs et les lois qui en sont le reflet ont consacré l'égalité des sexes. La différence de sexe n'est donc plus en elle-même une raison suffisante pour refuser aux femmes l'accès à telle profession déterminée ; on doit encore rechercher si les conditions particulières de cette profession rendent les femmes inaptes à l'exercer. Or tel n'est certainement pas le cas de la profession d'avocat. Dans de nombreux cantons, les femmes sont autorisées expressément (Zurich, Loi du 3 juillet, 1898 § 5 ; Saint-Gall, Règlement du 21 mai 1901, art. 1; Bâle-Ville, Loi du 29 septembre 1910 § 3 et § 9 ; Genève, Loi du 18 novembre 1911, art. 126; Neuchâtel, Loi du 20 mai 1914, art. 14) ou tacitement (Berne, Zoug, etc. cf. Zürcher, op. cit. p. 73 et sv.) à pratiquer le barreau et en effet l'aptitude à la profession d'avocat dépend beaucoup plus de la personnalité que du sexe et l'on ne saurait raisonnablement prétendre et le Conseil d'Etat fribourgeois ne prétend pas que d'une faWon générale la femme ne possède pas les qualités intellectuelles et morales qui sont indispensables pour l'exercer correctement. Seuls des préjugés et des conceptions surannées motivant ainsi l'exclusion des femmes qui résulte de la loi fribourgeoise, elle apparaót comme une restriction inadmissible de la liberté garantie par l'art. 31 Const. féd. et par conséquent la patente qui pour cette unique raison a été refusée à la recourante doit lui être accordée.
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Le Tribunal fédéral prononce : | |
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