BGE 99 Ia 739
 
85. Arrêt du 4 décembre 1973 dans la cause Galland contre Commune de Lausanne et Commission cantonale vaudoise de recours en matière d'impôt.
 
Regeste
Kultussteuer. Art. 49 Abs. 6 BV.
 
Sachverhalt


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A.- Le 25 octobre 1971, Henri Galland a demandé à la Commission d'impôt du district de Lausanne de déduire de son bordereau la part de l'impôt communal affectée aux dépenses du culte; il déclarait n'appartenir ni à l'une ni à l'autre des deux confessions reconnues officiellement (Eglise évangélique réformée et Eglise catholique). La Commission de district a rejeté cette requête le 18 novembre 1971, relevant qu'il n'existait, dans le canton de Vaud, aucun impôt ecclésiastique spécial au sens de l'art. 49 al. 6 Cst.
Saisie d'un recours de Galland, la Commission cantonale de recours en matière d'impôt l'a rejeté le 19 décembre 1972, pour les motifs suivants: Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'art. 49 al. 6 Cst. vise exclusivement les impôts ecclésiastiques spéciaux, soit ceux qui sont perçus en plus des impôts ordinaires, en vue de couvrir les frais des Eglises nationales et des paroisses. Par le texte précité, le constituant a voulu empêcher que des personnes n'appartenant pas à une Eglise nationale puissent déduire de leurs impôts généraux payés à l'Etat et à la commune une part correspondant aux prestations destinées à une institution telle qu'une Eglise nationale. Il a entendu maintenir ainsi l'état de fait historique selon lequel les besoins de l'Eglise nationale sont principalement couverts au moyen de recettes générales de l'Etat. Les arrêts du Tribunal fédéral invoqués par le recourant et remontant au siècle dernier, selon lesquels la limitation de l'art. 49 al. 6 ne touche pas les impôts communaux généraux, se rapportaient à des situations particulières, différentes de la présente espèce. Il s'agissait de communes qui décidaient librement de leurs dépenses en faveur du culte et du financement par l'impôt, alors que dans le canton de Vaud le système est tout différent et qu'au surplus la liberté des communes se trouve très limitée en matière fiscale.
Il en résulte que l'art. 49 al. 6 Cst. ne vise que les impôts ecclésiastiques spéciaux et que les communes vaudoises ne

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perçoivent aucune contribution de cette nature en vue de participer aux frais des Eglises protestante et catholique. D'ailleurs, le recourant n'établit pas qu'une part de son impôt communal est réellement affectée à des dépenses d'ordre religieux. La commune de Lausanne dispose non seulement des rentrées fiscales, mais encore d'autres ressources importantes, si bien que celles-ci suffisent en général à la couverture des dépenses cultuelles. Il n'y a donc pas de violation de la Constitution fédérale et la décision attaquée se révèle ainsi justifiée.
B.- Agissant par la voie du recours de droit public, Henri Galland demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 19 décembre 1972 de la Commission cantonale vaudoise de recours en matière d'impôt. Il allègue la violation de la garantie constitutionnelle de la liberté de conscience et de croyance (art. 49 Cst.) et prétend qu'en ne l'autorisant pas à déduire de son impôt communal la part qui est affectée aux frais proprement dits des cultes de communautés religieuses auxquelles il n'appartient pas, l'autorité cantonale aurait également violé le principe de l'égalité devant la loi. Ses arguments seront repris ci-dessous, dans la mesure utile.
Dans leur réponse respective des 6 et 14 juin 1973, l'Administration cantonale des impôts et la Commission cantonale de recours concluent au rejet du recours.
 
Considérant en droit:
La loi prévue par cette disposition n'a jamais été adoptée par les Chambres fédérales, malgré un projet du Conseil fédéral de 1875, qui lui a été renvoyé par décision des Chambres, après un premier examen de la Commission du Conseil national (cf. DE SALIS/BOREL, Le droit fédéral suisse, 1905, 3e vol. no 1019 p. 74). Mais le Tribunal fédéral, dans une jurisprudence constante, applique directement le principe constitutionnel, estimant qu'il s'agit d'un principe positif et précis et

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qu'on ne saurait paralyser indéfiniment un droit individuel important garanti par la Constitution fédérale (RO 10 p. 323 et les arrêts cités). Le recourant a donc qualité pour requérir, par la voie du recours de droit public, la protection de sa liberté de conscience et de croyance en invoquant cette disposition constitutionnelle.
Tout en consacrant une exception au principe de la liberté de conscience et de croyance posé par l'al. 1 de ce même article, cette jurisprudence est conforme à la volonté du constituant, telle qu'elle s'est manifestée non seulement lors des travaux préparatoires (cf. le résumé des délibérations des Chambres dans VON REDING-BIBEREGG, Über die Frage der Cultussteuern, Bâle 1885, p. 42 ss., notamment p. 46 et 47), mais surtout dans le texte même de l'art. 49 al. 6 Cst. Il n'y a pas lieu de s'en écarter, d'autant moins qu'en l'espèce le recourant ne la remet pas en question; ce dernier, en effet, demande le remboursement non pas de la part de son impôt cantonal consacrée aux frais des cultes des Eglises protestante et catholique, mais seulement de la part de son impôt communal utilisée à cette même fin.
3. Si le Tribunal fédéral a toujours admis que l'exemption d'impôt prévue par l'art. 49 al. 6 Cst. ne pouvait pas porter sur les impôts généraux prélevés par un canton qui assume lui-même les frais de culte d'une Eglise dite nationale, il a en revanche déclaré dès le début que la garantie de l'art. 49 al. 6 Cst. restait entière en matière de dépenses communales pour le culte, même dans les cas où ces dépenses étaient couvertes par une allocation du budget général de la

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commune, et non au moyen d'une contribution spéciale (arrêt Pelli du 1er novembre 1879, RO 5 p. 432 ss.). A l'appui de cette décision, le Tribunal fédéral a notamment cité le projet de "loi fédérale concernant les impôts pour frais de culte", présenté en 1875 par le Conseil fédéral (FF 1875 vol. 4 p. 961), dont l'art. 2 prévoyait uniquement en faveur des impôts cantonaux le non-remboursement, aux citoyens n'appartenant à aucune des communautés religieuses soutenues par les deniers publics, d'une part proportionnelle des impôts généraux payés par eux. Il a même rappelé que la majorité de la Commission du Conseil national, qui s'était occupée de ce projet, avait proposé de supprimer cette restriction au principe de la liberté de conscience et de croyance et de prévoir un remboursement proportionnel des impôts directs perçus tant par l'Etat que par les communes (cf. SALIS/BOREL, op.cit., p. 75 s.). Mais l'impôt cantonal n'étant pas en jeu dans cette affaire Pelli, le Tribunal fédéral n'avait à s'occuper que de l'impôt communal. Il a relevé à ce propos que, s'agissant d'une exception au principe de la liberté de conscience et de croyance, il y avait lieu de l'interpréter de façon restrictive et de n'admettre une telle exception que dans les cas où elle était expressément voulue, de façon certaine, par le constituant qui avait posé ledit principe. Constatant qu'une telle volonté n'était nullement prouvée en ce qui concerne les impôts communaux, il en a conclu que la protection de l'art. 49 al. 6 Cst. subsistait entière dans ce domaine. Il a encore ajouté que la solution contraire ne contribuerait guère au maintien de la paix confessionnelle dans les communes.
Cette jurisprudence a été maintenue de façon constante dans les arrêts ultérieurs (RO 10 p. 325, 13 p. 374, 14 p. 18 et 164, 39 I 31). Tout en reconnaissant dans ce dernier arrêt (qui date de 1913) que le texte même de la Constitution n'empêcherait pas d'appliquer également aux impôts généraux des communes la restriction admise en faveur des impôts généraux des cantons, le Tribunal fédéral a néanmoins déclaré vouloir s'en tenir à cette jurisprudence constante, qui s'appuie sur la genèse de la disposition constitutionnelle et sur le projet de loi fédérale de 1875.
Alors même qu'il s'agit d'une jurisprudence déjà ancienne, il n'y a pas lieu de s'en écarter ici. Sans doute convient-il d'user de circonspection à l'égard de l'interprétation historique

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d'une disposition vieille de près d'un siècle, alors que les circonstances qui l'ont inspirée à l'époque se sont sensiblement modifiées; on ne saurait non plus attribuer une trop grande importance à la règle selon laquelle les dispositions exceptionnelles doivent être interprétées restrictivement (RO 88 II 153; cf. EGGER, Komm., n. 19 ad art. 1er CC; MEIER-HAYOZ, Komm., n. 191 ad art. 1er CC; GRISEL, Droit administratif suisse, p. 57). Mais, s'agissant de l'exception apportée à une disposition constitutionnelle qui assure la protection d'une des libertés fondamentales de la personne humaine, on comprendrait mal qu'aujourd'hui, où se manifeste la tendance à une protection plus efficace de ces libertés (cf. FF 1968 II 1086 al. 2), on s'écarte d'une jurisprudence constante en étendant davantage la restriction d'une telle liberté. On le comprendrait d'autant moins que la Suisse s'apprête à ratifier la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont l'art. 9 garantit à toute personne le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (cf. FF 1968 II, p. 1069 ss., notamment p. 1126 ss., 1972 I 989 ss. et 1974 I p. 1020 ss.).
Il est exact que c'est la législation cantonale qui met à la charge des communes certains frais de culte, à savoir notamment l'entretien des immeubles nécessaires au culte, la fourniture et l'entretien du mobilier nécessaire au culte, la mise à disposition des locaux pour l'mstruction des catéchumènes, le traitement du personnel auxiliaire (cf. art. 122 à 124 de la loi du 25 mai 1965 sur l'Eglise évangélique réformée du canton de Vaud, art. 13 à 16 de la loi du 16 février 1970 sur l'exercice de la religion catholique dans le canton de Vaud). Mais cette

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législation ne change rien à la nature des frais concernés, qui restent essentiellement des frais de culte, ni au fait que leur couverture est notamment assurée par le prélèvement des impôts communaux ordinaires. Si ces derniers sont, en raison du système fiscal vaudois, perçus sur les mêmes bases et avec les mêmes défalcations que les impôts cantonaux correspondants, ce sont cependant les communes elles-mêmes qui en fixent le taux, en pour-cent de l'impôt cantonal de base (loi du 5 décembre 1956 sur les impôts communaux, art. 5 et 6).
Il n'y a donc aucune raison de déroger en l'espèce au principe posé par la jurisprudence.
En effet, s'il est admis en jurisprudence que les autres recettes d'une commune peuvent servir à la couverture des frais de culte et qu'un citoyen dissident n'a pas à se plaindre d'une telle utilisation tant qu'il n'est pas appelé à payer un impôt général (RO 17 p. 222 consid. 6), on ne saurait admettre en revanche que, dans une commune qui prélève un impôt général, cet impôt soit censé ne couvrir que les dépenses communales autres que les dépenses pour le culte. Dans un tel cas, il faut comparer les situations qui se présentent dans l'hypothèse d'un budget sans dépenses pour le culte et celle d'un budget semblable mais supportant de telles dépenses: si, dans la première hypothèse, les autres recettes de la commune suffisent juste à équilibrer les comptes sans qu'il y ait lieu de prélever un impôt général, cela signifie que, dans la seconde hypothèse, la commune doit prélever des impôts pour un montant équivalant aux dépenses pour le culte; de même si, dans la première hypothèse, la commune prélève déjà un impôt général, le produit de cet impôt doit être, dans la seconde hypothèse, augmenté d'un montant équivalant aux dépenses pour le culte.
Ainsi, le contribuable qui n'appartient à aucune des communautés religieuses bénéficiaires des deniers de la commune

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a le droit de demander le remboursement du montant dont son impôt communal est majoré en raison des dépenses de culte supportées par la commune. Cette part correspond, en pour-cent, au rapport qui existe entre le montant des dépenses pour le culte et le montant des dépenses totales de la commune.
On ne saurait non plus admettre le raisonnement de l'Administration cantonale des impôts qui, dans sa réponse au recours, prétend qu'on ne devrait retenir, pour le calcul de la déduction, que la moitié du rapport entre dépenses de culte et dépenses totales, en raison du fait que les recettes fiscales de la commune de Lausanne représentent grosso modo la moitié de l'ensemble de ses recettes. En effet, comme les recettes autres que fiscales peuvent aussi être utilisées pour la couverture des dépenses de culte, chaque franc de recette générale comprend un certain pourcentage (correspondant au rapport précité) destiné aux dépenses du culte, donc chaque franc de l'impôt général comprend ce même pourcentage, et c'est le remboursement de ce pourcentage que peuvent réclamer les contribuables qui ne font partie d'aucune des communautés religieuses bénéficiaires des deniers de la commune. Ledit pourcentage devrait au contraire être doublé si les recettes autres que fiscales ne pouvaient pas servir à la couverture des dépenses destinées au culte; mais on a vu ci-dessus que tel n'était pas le cas. Il y a donc lieu de s'en tenir au pourcentage que représentent les dépenses de culte par rapport au montant total des dépenses de la commune.
Quant à la détermination précise des dépenses à considérer comme frais de culte proprement dits, la chambre de céans n'a pas à y procéder ici. Il appartiendra à la commune de le faire, en s'inspirant des principes posés par la jurisprudence du Tribunal fédéral, que le recourant admet implicitement.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours et annule la décision attaquée.