BGE 107 V 173
 
37. Extrait de l'arrêt du 20 janvier 1981 dans la cause Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents contre O. et Tribunal des assurances du Canton de Vaud
 
Regeste
Art. 76 und Art. 82 Abs. 1 KUVG.
 
Sachverhalt


BGE 107 V 173 (174):

A.- Giuseppe O., né en 1941, a été victime d'un accident, le 1er septembre 1975, alors qu'il travaillait en qualité de maçon sur un chantier. Coincé entre le contrepoids d'une grue et un coffrage, il a subi une éventration et une fracture du bassin. Il a bénéficié des prestations légales de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (indemnité de chômage, soins médicaux et pharmaceutiques). Se fondant sur divers rapports médicaux, la Caisse nationale a estimé, par décision du 15 juillet 1976, qu'à partir du 1er août 1976 la capacité de travail était à nouveau entière.
B.- Par jugement du 23 juillet 1979, le Tribunal des assurances du canton de Vaud a condamné la Caisse nationale à verser au recourant, dès le 1er août 1976, une rente d'invalidité calculée sur une incapacité de travail permanente de 66 2/3%. Se fondant sur une expertise judiciaire confiée à deux médecins de la Clinique psychiatrique universitaire de l'Hôpital de C., les juges cantonaux ont considéré que l'assuré était atteint d'une névrose post-traumatique en relation de causalité adéquate avec l'accident survenu le 1er septembre 1975.
C.- La Caisse nationale interjette recours de droit administratif contre ce jugement. Elle conclut au rétablissement intégral de sa décision du 15 juillet 1976.
 
Extrait des considérants:
S'agissant du diagnostic d'une affection médicale, le juge ne saurait s'écarter sans motifs concluants de l'appréciation d'un expert dont c'est précisément le rôle de mettre ses connaissances spéciales au service de la justice, pour qualifier médicalement un état de fait déterminé. Affirmé constamment en procédure pénale et civile (ATF 101 IV 130 consid. 3a), le principe vaut tout autant en droit des assurances sociales (arrêt non publié Gwerder, du 3 mai 1968).
En l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre en doute, sur ce point précis, l'appréciation des experts quant à la nature de l'affection dont est atteint l'intimé, qui est motivée de manière convaincante et permet, en particulier, d'exclure à coup sûr l'existence d'une névrose de revendication non assurée.
Au demeurant, ce n'est pas sur ce point que porte la contestation de la recourante. Cette dernière admet, en effet, que son assuré souffre de troubles névrotiques. Mais elle soutient que ces troubles ne sont pas en relation de causalité adéquate avec l'accident assuré. C'est donc cette question qu'il faut trancher.
On ne saurait dès lors nier qu'il existe un rapport de causalité naturelle entre l'accident assuré et l'affection psychique dont souffre l'intimé. Les divers éléments dont fait état la recourante dans son mémoire ne sont pas de nature à infirmer cette conclusion. En effet, d'une part, comme le relève à juste titre l'intimé dans sa réponse, il s'agit de faits qui ressortent du dossier et dont les experts avaient donc connaissance et, d'autre part, l'interprétation qu'en donne la recourante n'est guère convaincante. Il n'est pas nécessaire de reprendre ici en détail la liste des faits énumérés dans le recours de droit administratif, car il est manifeste que toutes ces circonstances, dont plusieurs sont d'ailleurs mentionnées dans le rapport d'expertise, doivent être considérées comme des manifestations des troubles psychiques dont souffre l'intimé et non pas comme leur cause. Il en va notamment ainsi du fait que l'intimé a l'impression que ses supérieurs cherchent à l'humilier, qu'il parle de se suicider,

BGE 107 V 173 (176):

qu'il dit ressentir une aggravation continuelle de ses douleurs ou du fait qu'il se montre impressionnable et craintif sans raisons objectives, toutes circonstances qui parlent en faveur d'un état névrotique mais qui n'en expliquent pas l'origine.
Or, les experts relèvent dans leur rapport que rien, dans le psychisme de l'intimé, n'indique une prédisposition au développement d'une maladie mentale. Selon eux, l'assuré avait beaucoup investi, sur le plan affectif, dans son métier de maçon qui "constituait pratiquement sa seule raison d'existence" et dans lequel, au dire de ses anciens employeurs, il excellait. Aussi, le fait qu'il ait dû abandonner son métier à la suite de l'accident, ajouté à la frayeur causée par un traumatisme dont on ne saurait contester la gravité, rend plausible le développement d'une névrose post-traumatique dans son cas.
Pas plus qu'en ce qui concerne la nature de l'affection, le tribunal de céans n'a donc de raison concluantes de s'écarter, sur ce point, de l'appréciation des experts.
b) Encore faut-il que la relation de causalité entre l'événement assuré et la maladie dont souffre l'assuré soit adéquate, question qu'il appartient au juge et à lui seul de trancher.
A cet égard, le fait que les experts qualifient la névrose dont est atteint l'intimé de "post-traumatique" n'est pas déterminant. En effet, sur le plan médical, on considère comme névrose traumatique une affection psychique qui survient à la suite de violents ébranlements du système nerveux (accident de chemin de fer, chute, tremblement de terre) et qui se manifeste surtout par des phénomènes de dépression continus et croissants, pouvant aboutir à une véritable paralysie organique (ATF 104 V 31 et les auteurs cités; cf. en outre: GARNIER-DELAMARE, Dictionnaire des termes techniques de médecine, 20e éd., Paris 1978, à la rubrique névrose traumatique; PETERS, Wörterbuch der Psychiatrie und medizinischen Psychologie, 2e éd., Munich 1977, à la rubrique Unfallneurose, ainsi que les développements de BLEULER, Lehrbuch der Psychiatrie, 14e éd., Berlin 1979, p. 549 ss).
Or, une telle définition ne recouvre que le lien de causalité naturelle entre un événement déterminé, par exemple un accident, et la maladie psychique qui s'ensuit.
Par contre, selon la théorie de la causalité adéquate qui s'applique également en droit des assurance sociales (ATFA 1960 p. 163-164), aux termes d'une jurisprudence constante, la causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses

BGE 107 V 173 (177):

et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance. Le juge appelé à se prononcer sur l'existence d'un rapport de causalité adéquate doit se demander, en face d'une enchaînement concret de circonstances, s'il était probable que le fait considéré produisît le résultat intervenu. A cet égard, ce n'est pas la prévisibilité subjective mais la prévisibilité objective du résultat qui compte (ATF 101 II 73 consid. 3a).
Les premiers juges ne se sont pas prononcés explicitement à ce sujet. Cependant, on doit admettre qu'un traumatisme aussi violent que celui qu'a subi l'assuré (éventration et fracture du bassin), survenant dans des circonstances particulièrement impressionnantes, et suivi d'un long traitement médical, est de nature, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à provoquer un ébranlement nerveux évoluant en névrose traumatique.
En outre, pour qu'une cause soit généralement propre à avoir des effets du genre de ceux qui se sont produits, il n'est pas nécessaire qu'un tel résultat doive arriver régulièrement ou fréquemment. Si un fait est en soi propre à provoquer un effet du genre de celui qui s'est produit, même des conséquences singulières, c'est-à-dire extraordinaires, peuvent constituer des conséquences adéquates de l'accident (ATF 96 II 396).
Il faut dès lors considérer, au vu du dossier de la cause, notamment du rapport d'expertise judiciaire, qu'il existe en l'espèce un lien de causalité adéquate entre l'accident du 1er septembre 1975 et la névrose dont souffre l'intimé.