BGE 98 II 104
 
15. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 14 mars 1972 dans la cause Aeschbach contre Jérôme DUCHOSAL SA
 
Regeste
Art. 48 OG: Endentscheid.
Art. 267a und 267c lit. c OR, Erstreckung des Mietverhältnisses.
Der Eigenbedarf, den der Eigentümer an seinen Geschäftsräumen haben kann, darf nicht strenger gewertet werden als bei Wohnungen; ist er begründet, so kommt auf die gegenseitigen Interessen des Eigentümers und des Mieters nichts an (Erw. 3 b).
 
Sachverhalt
A.- Jérôme Duchosal SA, entreprise spécialisée dans le commerce en gros et au détail ainsi que dans la pose de glaces et de vitres, était au bénéfice d'un bail dès le 1er octobre 1968 pour une durée de cinq ans, avec tacite reconduction d'année en année. Ce bail concernait des bureaux et des entrepôts qu'elle occupait depuis 60 ans et d'ailleurs situés entre deux immeubles lui appartenant.
En 1968 les frères Aeschbach, qui possèdent quatre et bientôt cinq magasins de chaussures, sont devenus propriétaires de l'immeuble (25 bis, rue de Carouge) au rez-de-chaussée duquel se trouvent les locaux loués. Ils déclarent en avoir absolument besoin; le manque de personnel les obligerait à étendre leurs installations de vente de façon à pouvoir pratiquer une sorte de self-service nécessitant des étalages importants.
B.- Le 26 juin 1970, par lettre de leur régisseur, les frères Aeschbach ont dénoncé le bail précité pour le 30 septembre suivant en précisant: "Dès cette date, votre contrat de location se poursuivra pour des périodes de 6 mois en 6 mois avec préavis de résiliation de 3 mois d'avance, avant l'échéance du semestre en cours."
La locataire n'a pas répondu à cette lettre et n'a pas formé de recours contre la modification apportée aux clauses de résiliation de son bail. En revanche, lorsqu'elle a reçu, le 15 décembre 1970, l'avis que le contrat était résilié au 31 mars 1971, elle a introduit action devant le Tribunal de première instance de Genève.
Celui-ci, au cours d'une inspection locale, a constaté que Duchosal SA "pourrait mettre ailleurs ses bureaux, que les entrepôts ne sont pas complètement ni judicieusement utilisés", mais que, compte tenu des locaux dont elle était propriétaire et de ceux qu'elle louait à des tiers, la réorganisation de l'ensemble des lieux "posait des problèmes difficiles". Il a cependant reconnu que les frères Aeschbach se trouvaient "à l'étroit" dans leurs installations actuelles.
Le 28 mai 1971, le Tribunal de première instance a déclaré la résiliation du bail valable, au sens de l'art. 267 a CO, mais il en a reporté les effets au 31 décembre suivant, 9 mois plus tard. Sur appel de Duchosal SA qui demandait l'invalidation de la résiliation du bail et subsidiairement sa prolongation pour deux ans, la Cour de justice de Genève a confirmé, le 12 novembre 1971, le premier jugement en tant qu'il avait déclaré valable la résiliation du bail, mais elle a prolongé celui-ci de 15 mois jusqu'au 30 juin 1972.
C.- Les frères Aeschbach recourent en réforme au Tribunal fédéral. Ils concluent au rétablissement du jugement de première instance. Duchosal SA propose la confirmation de l'arrêt attaqué.
 
Considérant en droit:
L'intimée, tout en s'en remettant sur ce point à l'appréciation de la Cour de céans, émet l'hypothèse que la décision attaquée n'est peut-être pas finale au sens de l'art. 48 OJ. Le recours en réforme pourrait n'être ouvert qu'à l'encontre de la décision statuant sur la seconde demande de prolongation de bail autorisée par l'art. 267 a al. 2 CO.
Il n'en est rien. Chaque prolongation de l'art. 267 a, al. 1 et 2 CO fait l'objet d'une procédure distincte. La première décision prise n'emporte pas l'effet de la chose jugée à l'égard de la seconde, sans quoi le juge ne pourrait tenir compte, ainsi que l'art. 267 a al. 2 CO le lui commande, des changements de circonstances intervenus durant le premier moratoire, tant en ce qui concerne le locataire que le bailleur. D'ailleurs, le code de procédure civile genevois dispose que la requête du locataire est examinée selon les règles de la procédure accélérée (art. 25 h CPC cant.); celle-ci aboutit à une décision sur le fond du litige susceptible d'appel (art. 25 n CPC cant.), et partant, le cas échéant, d'un recours en réforme au Tribunal fédéral (art. 48 OJ).
b) En ce qui concerne la valeur litigieuse, il faut d'après la jurisprudence, considérer le loyer afférent à la période sur laquelle porte la contestation lorsque le différend a pour objet l'existence d'un contrat de bail ou l'expulsion du preneur (RO 33 II 706; 85 II 220; 86 II 57/58; 88 II 59). Les positions respectives des parties sont réputées être celles qu'elles ont défendues en dernière instance cantonale (art. 46 OJ).
En l'espèce, les recourants acceptaient une prolongation de bail de 9 mois; l'intimée a demandé à la Cour de justice d'annuler la résiliation du contrat, subsidiairement de le prolonger pour deux ans. Le loyer annuel s'élevant à 14 600 fr., la valeur litigieuse équivaut à 15 mois de loyer au moins et dépasse en tout cas 8000 fr. Le recours est donc recevable.
c) Selon l'intimée, les recourants auraient admis le principe de la prolongation du bail en renonçant à mettre en cause le sursis de 9 mois accordé par le premier juge. Dès lors que la Cour de justice n'a pas excédé la limite maximale de deux ans posée à l'art. 267 a al. 1 CO, elle ne saurait avoir violé le droit fédéral.
Ce moyen ne résiste pas à l'examen. Lorsque le droit fédéral impose au juge de statuer sur l'ampleur d'une indemnité ou sur la durée d'une obligation ou d'un droit, l'appréciation du juge relève du droit fédéral.
La Cour de justice a pris la décision attaquée en considérant que le besoin des recourants n'était "ni actuel ni urgent". Le Tribunal fédéral est lié par ces constatations quant à l'actualité ou à l'urgence du besoin que le bailleur peut avoir de ses locaux (art. 63 al. 2 OJ), mais non quant à son existence au sens de la loi, car il s'agit là d'une question de droit.
b) Lorsque le besoin du propriétaire est sérieux, il n'y a pas lieu de mettre en balance les intérêts respectifs du propriétaire et du locataire (RO 92 I 191). Cela revient à dire que le juge n'a pas à examiner s'il doit exiger du premier de patienter plutôt que d'imposer au second de vider les locaux loués. Par ailleurs, le congé justifié par le besoin du propriétaire en locaux commerciaux ne doit pas être apprécié de façon plus sévère qu'en matière de logement (RO 92 I 191). Même sous l'empire de la législation exceptionnelle du 20 octobre 1941 au 18 décembre 1970, le droit du propriétaire d'occuper un logement dans sa propre maison n'a jamais été lié au risque qu'il aurait eu luimême de se trouver sans toit. Aussi bien, d'après la jurisprudence du Tribunal fédéral relative aux arrêtés fédéraux en la matière, le besoin personnel du propriétaire existait dès que celui-ci avait des raisons sérieuses d'occuper des locaux et que, dans les circonstances données, ces raisons devaient être considérées comme valables; il n'était pas nécessaire qu'il y fût contraint ou menacé d'un grave préjudice (RO 74 I 3 confirmé à p. 99/100 avec références à des arrêts non publiés). Aucune raison ne commande de se montrer plus rigoureux sous le régime du droit commun dont les dispositions sont entrées en vigueur le 19 décembre 1970.
c) La Cour de justice n'a pas nié la légitimité du désir des recourants d'augmenter la surface de vente de leur magasin; elle l'a même expressément reconnue, admettant de ce fait l'actualité du besoin. Comment admettre en effet qu'il n'y a pas de raison de réaliser immédiatement un désir légitime? L'arrêt attaqué renferme donc une certaine contradiction dans les appréciations qu'il contient. En constatant la légitimité du besoin qu'ils ont de leurs locaux, la Cour de justice a montré que les recourants avaient des raisons valables de les occuper. Elle a dès lors violé le droit fédéral en n'appliquant pas l'exception prévue à l'art. 267 c CO et en procédant à la comparaison des intérêts en présence avant d'accorder la prolongation du bail selon l'art. 267 a al. 1 CO Comme les recourants n'ont pas conclu à la suppression de celle-ci dans sa totalité, il suffit d'admettre le recours dans la mesure demandée, c'est-à-dire de limiter à une durée de 9 mois la prolongation du bail accordée à l'intimée.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours et réforme l'arrêt attaqué en ce sens que la prolongation du bail accordée à l'intimée est limitée à 9 mois, soit jusqu'au 31 décembre 1971.