BGE 109 III 58
 
17. Extrait de l'arrêt de la Chambre des poursuites et des faillites du 7 septembre 1983 dans la cause Scheidegger (recours LP)
 
Regeste
Verspätete Drittansprache. Anspruch auf einen Teil der mit Arrest belegten Vermögenswerte. Verwirkung.
 
Extrait des considérants:
2. Selon la jurisprudence récente, le tiers qui tarde, sans motif légitime, à annoncer ses droits préférables alors qu'il ne peut ignorer qu'il entrave par là le déroulement normal de la procédure d'exécution, agit d'une manière incompatible avec les règles de la bonne foi, ce qui entraîne la déchéance de son droit de revendication (ATF 106 III 59, 104 III 45 et arrêts cités).
a) L'autorité cantonale a, dans la première partie de sa motivation, appliqué cette jurisprudence à la présente espèce. Elle a ainsi considéré, avec raison, que la prétention de la Banque sur les biens séquestrés, annoncée quelque huit mois après l'exécution du séquestre, était tardive, sans que les motifs qu'elle invoquait justifiassent un tel retard. L'intimée, dans ses observations, tente de remettre en cause la jurisprudence susmentionnée en reprenant à son compte les arguments qui avaient déjà été discutés et écartés dans l'arrêt publié aux ATF 104 III 44 ss. On peut, dans cette mesure, renvoyer aux considérants de cet arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'examiner plus avant le mérite de l'argumentation de l'intimée. Quant au caractère soi-disant exploratoire du séquestre dont se prévaut l'intimée pour expliquer son retard à faire connaître sa prétention, il n'est nullement établi; on ne trouve en effet, dans la décision attaquée, aucun élément qui permettrait de retenir l'existence d'un tel séquestre exploratoire (Sucharrest). Au reste, la formulation générale utilisée dans l'ordonnance de séquestre pour désigner les biens à séquestrer ne saurait prêter le flanc à la critique, dès lors qu'elle est conforme aux exigences de la jurisprudence. On relèvera de surcroît à ce sujet que, s'il s'agissait là réellement d'un séquestre exploratoire, l'intimée eût été légitimée - en sa qualité de détentrice des biens séquestrés (ATF 105 III 110) - à demander par la voie de la plainte l'annulation de l'exécution du séquestre. Celui-ci étant en revanche en force, faute de plainte, le tiers détenteur était tenu de renseigner l'Office et ne pouvait tirer de son opinion sur le caractère exploratoire du séquestre un prétendu juste motif de tarder dans l'annonce de ses droits.
b) L'autorité cantonale s'est ensuite, dans la seconde partie de sa motivation, distancée de la jurisprudence rappelée ci-dessus, en considérant que la revendication tardive de la Banque n'avait, en l'espèce, pas entravé le déroulement de la procédure. Se référant sur ce point à l'avis de l'Office, elle expose en effet que la procédure déjà engagée devait nécessairement se poursuivre, si le créancier ne voulait pas perdre son droit au produit de la réalisation des autres biens séquestrés, soit des immeubles du débiteur sur lesquels avait également porté le séquestre. Elle a en particulier fait sien le point de vue de la Banque selon lequel, après déduction des dettes hypothécaires, le droit de copropriété du débiteur sur les immeubles séquestrés représentait une valeur de réalisation de 350'000 francs, montant qui, à lui seul, eût justifié l'introduction d'une action en validation de séquestre.
Le recourant s'en prend à cette partie de la motivation de la décision attaquée. Il fait valoir que l'autorité cantonale s'est fondée sur une notion juridique erronée de l'entrave à la procédure d'exécution. Selon lui, en tenant la revendication d'un tiers pour valable, en dépit de sa tardiveté, lorsque la revendication porte sur une partie seulement des biens séquestrés, l'autorité cantonale subordonne pratiquement la déchéance à une condition que l'on ne trouve nulle part dans la jurisprudence fédérale, à savoir que les biens revendiqués doivent être les seuls mis sous main de justice.
c) On ne trouve effectivement nulle part dans la jurisprudence de référence à une telle condition pour juger si le tiers doit être déchu de son droit de revendiquer. Son introduction aurait pour effet d'atténuer, voire d'exclure sans raison les conséquences que la jurisprudence a voulu attacher au comportement abusif du tiers. A cet égard, il convient de procéder à une pesée des intérêts en présence. C'est ainsi que le devoir du tiers de faire connaître à temps ses prétentions sur les biens séquestrés apparaît comme une formalité que celui-ci doit accomplir à moins d'avoir une raison valable de s'y refuser. Quant au créancier, son intérêt est de pouvoir, en toute connaissance de cause - soit en sachant parfaitement quelle est la situation de fait et de droit - décider quelles mesures il doit prendre en vue d'assurer la couverture de sa créance dans le cadre de la procédure d'exécution forcée. Il ne saurait le faire de manière claire aussi longtemps qu'il n'a pas connaissance de droits préférables de tiers sur les avoirs du débiteur. S'il ne connaît l'existence de tels droits qu'à un stade déjà avancé de la procédure d'exécution, il peut avoir entre-temps accompli des actes ou engagé des frais inutilement. Il peut également avoir perdu l'occasion d'obtenir d'autres actes d'exécution pour la couverture de sa créance. Ainsi, d'une façon ou de l'autre, une annonce tardive par le tiers de ses prétentions compromettra en règle générale les droits du créancier (cf. ATF 106 III 59, ATF 104 III 47). Le tiers qui sait, ou qui devrait savoir en usant de l'attention requise, que son retard aura des effets préjudiciables pour le créancier et qui ne fait rien pour empêcher pareille atteinte aux droits de ce dernier, agit d'une manière incompatible avec les règles de la bonne foi. Il ne saurait légitimement se prévaloir de ce que le créancier poursuivant aurait de toute façon dû valider le séquestre ou ouvrir une action en paiement, ou encore de ce qu'il resterait, pour satisfaire éventuellement le créancier poursuivant, une partie des biens du débiteur mis sous séquestre. Il n'en pourrait aller autrement que si le créancier lui-même se prévalait, d'une manière abusive, de la déchéance du droit de revendication du tiers résultant de son annonce tardive.
d) En l'espèce, il ressort des constatations de l'autorité cantonale et des pièces du dossier que la Banque a attendu, sans raison valable, plus de huit mois depuis l'exécution du séquestre avant d'annoncer qu'elle entendait faire valoir un droit de gage sur la quasi-totalité des biens du débiteur séquestré qu'elle détenait, à concurrence d'un montant de plus de 2 millions de francs. Entre-temps, le créancier a dû, dans le délai légal, valider le séquestre d'abord en introduisant une poursuite contre le débiteur, puis en ouvrant contre lui une action en reconnaissance de dette. S'il avait connu à temps la prétention de la Banque sur les avoirs séquestrés, le recourant aurait pu, au vu des circonstances, renoncer à déposer sa demande en paiement du 5 novembre 1982, voire même s'abstenir de tout acte destiné à valider le séquestre. Est sans fondement, à cet égard, l'argument de l'intimée selon lequel le recourant, dès lors qu'il pouvait inférer du procès-verbal de séquestre que le séquestre avait porté chez elle, disposait de tous les éléments pour prendre sa décision de valider le séquestre. Il lui manquait précisément, pour cela, l'élément essentiel que représentait la connaissance d'une prétention de la Banque sur les biens séquestrés. Faute de connaître cet élément, le recourant était au contraire fondé à penser qu'il pourrait réaliser les biens détenus par la Banque et que ceux-ci constituaient dès lors une couverture suffisante de sa créance. La Banque, en le maintenant durablement dans cette erreur et en laissant progresser la procédure au fond, a agi d'une manière contraire aux règles de la bonne foi. Ce comportement entraîne pour le recourant des frais qui peuvent s'avérer importants suivant l'évolution de la procédure de validation du séquestre. A cet égard, on ne saurait, pour juger de la question qui se pose ici, accorder de l'importance au produit que pourrait rapporter la réalisation des immeubles séquestrés; en effet, on ne sait au juste si cette réalisation rapportera quelque chose, ni, le cas échéant, combien elle rapportera, ou si d'autres créanciers pourront faire valoir des droits sur le produit de cette réalisation.
Le recourant, eu égard au montant de sa créance et au fait qu'il n'est pas seul à poursuivre le débiteur, aurait en tous les cas pu, s'il avait connu plus tôt la prétention de la Banque sur les biens séquestrés placés sous sa garde, obtenir en son temps d'autres actes d'exécution pour la couverture de sa créance, et cela avec davantage de chances de succès qu'aujourd'hui.
e) Pour toutes ces raisons, il apparaît que le retard mis par la Banque pour annoncer sa prétention sur les biens séquestrés qu'elle détenait a rendu plus difficile pour le créancier l'exercice de ses droits en relation avec le séquestre opéré et, partant, entravé le déroulement normal de la procédure, ce que l'intimée ne pouvait ignorer. Par ailleurs, rien ne permet de dire que le créancier aurait abusivement, soit d'une manière contraire aux règles de la bonne foi, invoqué ce retard pour faire reconnaître la déchéance du droit de la Banque à émettre une prétention sur les avoirs séquestrés. C'est donc à tort et en violation des principes dégagés par la jurisprudence que l'autorité cantonale a considéré que la revendication de l'intimée n'était pas tardive et qu'elle a rejeté le recours que lui adressait le créancier. Le présent recours s'avérant dès lors fondé, il doit être admis et la décision attaquée annulée.