BGE 115 III 130
 
28. Extrait de l'arrêt de la Chambre des poursuites et des faillites du 14 septembre 1989 dans la cause Jet Aviation Basel AG et Jet Aviation Zürich AG (recours LP)
 
Regeste
Art. 271 SchKG und Art. 81 Luftfahrtgesetz.
 
Sachverhalt
A.- Le 3 novembre 1988, le Président du Tribunal de première instance du canton de Genève a rendu, à la requête de Jet Aviation Zürich AG et de Jet Aviation Basel AG, une ordonnance urgente de mesure conservatoire selon la procédure civile genevoise. La mesure, qui devait porter sur l'avion Falcon Jet dont Transportes Aereos Hispanos (ci-après: TAHIS) est propriétaire, fut exécutée lorsque l'appareil atterrit à Genève, le 8 novembre, au cours d'un trajet Madrid-Genève-Munich et retour à Madrid. Le 10 novembre, les deux sociétés précitées obtinrent une nouvelle mesure conservatoire tendant à faire déposer les deux réacteurs de l'appareil qu'elles avaient loués à TAHIS.
Jet Aviation Zürich AG et Jet Aviation Basel AG requirent le 16 novembre 1988, et obtinrent le même jour, le séquestre (art. 271 ch. 4 LP) de l'appareil toujours immobilisé sur l'aéroport de Genève-Cointrin. La mesure fut aussitôt exécutée par l'Office des poursuites de Genève.
Le 23 novembre 1988, le Président du Tribunal de première instance révoqua l'ordonnance qu'il avait rendue le 3 novembre.
Jet Aviation Zürich AG et Jet Aviation Basel AG ont encore obtenu, le 10 janvier 1989, un second séquestre portant sur les deux réacteurs de l'appareil.
La débitrice ayant fourni une garantie bancaire, l'Office l'autorisa à disposer des biens frappés par les deux séquestres.
B.- TAHIS a formé deux plaintes contre l'exécution par l'Office des séquestres frappant l'avion Falcon Jet et ses réacteurs.
Par décision du 21 juin 1989, l'autorité cantonale de surveillance a ordonné la levée des séquestres litigieux et la restitution de la garantie bancaire à la plaignante.
C.- Jet Aviation Zürich AG et Jet Aviation Basel AG exercent en temps utile un recours à la Chambre des poursuites et des faillites du Tribunal fédéral. Elles concluent, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision de l'autorité cantonale de surveillance, au maintien des séquestres et de la garantie bancaire en mains de l'Office.
 
Extrait des considérants:
a) L'art. 80 LNA prévoit en principe la saisie conservatoire d'un aéronef au profit du titulaire d'une créance privée; sont toutefois réservées les hypothèses où elle est exclue (art. 81 LNA; cf. RUOSCH, Luftfahrzeuge als Gegenstand der Zwangsvollstreckung, BlSchK 1977 p. 134 s.; BOURGEOIS, FJS 1084 p. 20 s.). Or la mesure est notamment exclue lorsque l'appareil est affecté à des transports de personnes ou de biens contre rémunération, lorsqu'il est prêt à partir pour un tel transport, excepté dans le cas où il s'agit d'une dette contractée pour le voyage qu'il va faire ou d'une créance née au cours du voyage (art. 81 al. 1 let. c LNA).
b) Selon les constatations de la décision attaquée, l'intimée exploite une entreprise de transport aérien. Elle s'était engagée à effectuer un vol commercial le 8 novembre 1988 de Madrid à Genève, puis de Genève à Munich et retour à Madrid. L'appareil fut bloqué à Genève au cours de ce voyage, en exécution des mesures urgentes que les sociétés créancières avaient requises le 2 novembre et obtenues le lendemain.
L'autorité cantonale a exprimé l'opinion selon laquelle l'avion Falcon Jet n'était pas "prêt à partir" lorsqu'il a été immobilisé; toutefois, comme les prétentions des créancières - des factures pour travaux effectués sur les réacteurs de l'appareil - n'étaient pas la conséquence d'une dette contractée pour ou au cours du voyage (art. 81 al. 1 let. c LNA), elle a considéré que la saisie conservatoire était exclue. Cet argument, s'il aboutit à un résultat correct, pèche cependant par manque de logique. Ce n'est en effet que si l'avion est "prêt à partir" que la saisie est exclue, à moins que la créance soit en rapport direct avec le voyage. Or l'escale technique à Genève n'empêchait nullement que l'appareil fût prêt à partir, ou plutôt à repartir. Les recourantes reconnaissent d'ailleurs n'avoir jamais prétendu que l'avion, en raison des mesures conservatoires qu'elles avaient obtenues, se trouvait de manière durable en Suisse, partant qu'une des conditions d'exclusion de la saisie conservatoire (art. 81 al. 1 let. c LNA) n'était pas remplie.
c) Selon l'art. 86 LNA, les dispositions relatives à la saisie conservatoire des aéronefs - et à l'exclusion d'une telle mesure - ne sont applicables aux aéronefs étrangers que si l'Etat dans lequel ils sont immatriculés assure la réciprocité. Cette réciprocité est garantie par tout Etat qui a ratifié la Convention du 29 mai 1933 pour l'unification de certaines règles relatives à la saisie conservatoire des aéronefs. Tant la Suisse que l'Espagne - Etat dans lequel est immatriculé l'avion Falcon Jet de l'intimée - ont ratifié la Convention, respectivement les 27 février 1950 et 12 janvier 1937 (ROLF 1949 II 1756 ss); les recourantes ne le contestent d'ailleurs pas.
Les recourantes contestent que puisse être appliquée au séquestre d'un aéronef la jurisprudence invoquée par l'intimée à l'appui de sa plainte, qui restreint la possibilité d'obtenir un séquestre fondé sur l'art. 271 ch. 4 LP (ATF 112 III 47 ss: "Taschenarrest"). Le moyen n'est pas pertinent. L'autorité cantonale a en effet considéré que le séquestre d'un aéronef devait en premier lieu être examiné au regard des dispositions spéciales dans ce domaine. Le Tribunal fédéral n'a pas non plus de raison d'examiner l'application en l'espèce de la jurisprudence précitée, ni d'ailleurs de se prononcer sur les critiques qu'elle a suscitées (cf. GILLIÉRON, JdT 1988 II 147 ss).
Ce que les recourantes exposent encore à propos de la nature de leurs prétentions - qui seraient reconnues par l'intimée - constitue un moyen qui n'a pas sa place dans le présent recours. Le Tribunal fédéral n'a en effet pas à examiner si la créance est fondée, mais doit se borner à vérifier si les biens séquestrés pouvaient l'être.
4. L'autorité cantonale ne s'est pas prononcée de manière expresse sur le séquestre qui a porté sur les réacteurs de l'avion. Elle est manifestement partie de l'idée que la mesure avait été elle aussi exécutée en violation de l'art. 81 al. 1 let. c LNA. On peut cependant se demander si, comme le prétendent les recourantes, la question du séquestre des réacteurs, qui constituent certes un accessoire indispensable à l'appareil (cf. ATF 108 III 104 consid. 2a), sans lequel il ne peut plus être "prêt à partir" (art. 81 al. 1 let. c LNA), ne doit pas être examinée sous l'angle des dispositions générales qui régissent le séquestre (art. 271 LP). Dans cette hypothèse, il conviendrait alors d'examiner si cette mesure n'aurait pas été obtenue en violation du principe de la bonne foi (art. 2 al. 2 CC; cf. ATF 108 III 103 ss; 120 ss).
Or les recourantes démontrent elles-mêmes l'existence d'un comportement contraire à la bonne foi. Elles expliquent qu'elles avaient démonté les réacteurs (pour les réviser en août 1988), puis avaient obtenu la saisie, le 10 novembre 1988, d'autres réacteurs qu'elles louaient à l'intimée et qui, entre-temps, avaient été montés sur l'appareil bloqué à Genève depuis le 8 novembre; quant au séquestre du 10 janvier, il avait porté sur les réacteurs révisés au début du mois, propriété de l'intimée, et il devait couvrir les prétentions des recourantes et celles de General Electric Company, qui avait procédé à des travaux sur ces moteurs. Or, si les créancières avaient entendu invoquer un droit de rétention sur les réacteurs (cf. sur ce problème RUOSCH, Luftfahrzeuge als Gegenstand der Zwangsvollstreckung, Bulletin de l'ASDA, No 1, 1978 p. 9/10; le même auteur in BlSchK 1977 p. 135-137), elles auraient pu et dû l'invoquer avant que les réacteurs ne soient remontés sur l'appareil au début du mois de janvier. En obtenant un séquestre sur ces réacteurs, les recourantes ont renforcé l'impossibilité pour l'avion de poursuivre le voyage, interrompu en violation de l'art. 81 al. 1 let. c LNA (cf. consid. 2 supra), et obligé l'intimée de manière plus contraignante encore à fournir à l'Office une garantie en vue de la levée des séquestres.