BGE 86 IV 209
 
54. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 14 octobre 1960 dans la cause Emery contre Morard et Ministère public du canton du Valais.
 
Regeste
Art. 173 Ziff. 1 StGB.
Wird der ehrverletzende Vorwurf dadurch, dass ihn der Beklagte gegenüber seinem Anwalt äussert, bei einem "andern" erhoben?
 
Diffame au sens de l'art. 173 ch. 1 CP quiconque émet sur une personne, en s'adressant à un tiers, des accusations ou des soupçons déshonorants. Le recourant soutient qu'il ne s'est pas adressé à un tiers en écrivant à son avocat le 27 septembre 1957 et qu'en conséquence, sa lettre de ce jour ne tombe pas sous le coup de l'art. 173 ch. 1 CP.
Le Tribunal fédéral entend par tiers toute personne qui n'est ni l'auteur ni l'objet des propos qui portent atteinte à l'honneur. Jusqu'à présent, il n'a jamais admis d'exception à ce principe. C'est ainsi qu'il a considéré comme des tiers les magistrats (RO 69 IV 116; cf. 86 IV 75; arrêts Giron du 4 février 1944; Wild du 4 janvier 1946; Bossy du 12 novembre 1948; Schläpfer du 20 février 1959 et Karli du 15 mai 1959), un agent de police (arrêt Martano 30 juin 1944), l'avocat du lésé (arrêt Klagsbrunn du 12 mai 1944), le supérieur hiérarchique de l'accusé (arrêt Pianzola du 20 janvier 1950), ceux qui travaillent avec lui (arrêt Schütz du 10 juillet 1946), son conjoint qui vit séparément (arrêt Eggenschwiler du 23 novembre 1945) et même son père, du moins dans certaines circonstances (arrêt Traumann du 10 octobre 1953). Dans son arrêt Kollbrunner, du 11 juillet 1957, en particulier, la cour de céans, sans trancher la question, a examiné s'il n'y a pas lieu d'exclure du cercle des tiers ceux qu'on appelle les confidents nécessaires, notamment les proches et les détenteurs de secrets de fonctions (cf. art. 321 CP). Quoi qu'il en soit, il ne se justifie pas de déroger à la règle en déniant à l'avocat la qualité de tiers par rapport à son client.
Les intérêts de ce dernier ne l'exigent pas. Certes, il convient de lui laisser la faculté de s'exprimer le plus librement possible en présence de son avocat. L'individu qui est l'objet d'une poursuite pénale ou qui souffre de difficultés familiales ou financières doit pouvoir s'épancher dans le cabinet de son mandataire. L'administration de la justice n'a d'ailleurs qu'à y gagner. Il est cependant raisonnable de demander au client de s'en tenir à des assertions qui se rapportent d'une manière ou d'une autre à son affaire et ne sont pas absolument dénuées de fondement. Or, à condition de respecter ces limites, le client échappera aux sanctions prévues par l'art. 173 ch. 1 CP. D'abord, s'il ne soulève que des questions liées à la mission de l'avocat, il pourra se prévaloir d'un motif suffisant au sens de l'art. 173 ch. 3 CP et administrer les preuves libératoires énoncées à l'art 173 ch. 2 CP. De plus, il lui suffira d'invoquer certains indices à l'appui de ses déclarations pour établir sa bonne foi conformément à l'art. 173 ch. 2 CP et obtenir son acquittement. En l'occurrence, il importera en effet d'appliquer cette disposition en tenant compte des relations particulières de l'avocat et de son client. On n'attendra pas de ce dernier qu'il ait vérifié toutes ses assertions de façon approfondie. Au contraire, de même que "dans l'examen de la bonne foi, le juge se montrera particulièrement large s'il s'agit d'actes commis au cours d'une procédure" (RO 86 IV 75), il fera preuve de souplesse en ce qui concerne les allégations d'un client à son avocat. En somme, ce n'est que s'il par le sans raison que le client encourra une peine. Or ce résultat n'a rien de choquant.
Il s'impose même, eu égard aux intérêts légitimes du lésé. En effet, si l'avocat n'est pas considéré comme un tiers par rapport à son client, de graves atteintes à l'honneur ne pourront être réprimées. L'avocat n'est pas un confident comparable en tous points à l'ecclésiastique et au médecin. Alors que ceux-ci doivent garder secrètes les déclarations dont ils sont les dépositaires, l'avocat, au contraire, est obligé d'utiliser dans l'exercice de son mandat, du moins partiellement, les renseignements de son client. Or, si préjudiciable soit-elle à ceux qui en sont victimes, cette diffusion restera parfois impunie. Tel sera le cas, notamment, si, recevable à prouver sa bonne foi, l'avocat parvient à faire cette preuve selon l'art. 173 ch. 2 et 3 CP et si, en outre, le client se soustrait à toute responsabilité pénale en établissant, par exemple, qu'il n'avait pas à compter avec les démarches de son mandataire. Il ne serait guère admissible que les propos tenus par le client à l'avocat échappent, eux aussi, à toute sanction, ce qui se produirait, supposé que l'avocat ne soit pas considéré comme un tiers par rapport à son client.
En conclusion, non seulement les intérêts du client ne commandent pas d'exclure l'avocat du cercle des tiers visés par l'art. 173 ch. 1 CP, mais les intérêts du lésé s'y opposent. Dès lors, il ne se justifie pas de faire, eu égard à l'avocat, une réserve au principe qui fait rentrer au nombre des tiers au sens de cette disposition toute personne qui n'est ni l'auteur, ni l'objet de l'atteinte à l'honneur incriminée. Le moyen du recourant est donc mal fondé.