BGE 147 IV 253
 
29. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause A. contre Ministère public de la République et canton de Genève (recours en matière pénale)
 
6B_378/2020 du 5 mai 2021
 
Regeste
Art. 291 Abs. 1 StGB, Art. 119 Abs. 1 i.V.m. Art. 74 Abs. 1 lit. a AIG; Konkurrenz zwischen dem Verweisungsbruch und der Missachtung einer Ausgrenzung.
 
Sachverhalt
A. Par jugement du 26 août 2019, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a reconnu A. coupable de rupture de ban (art. 291 al. 1 CP) et d'infraction à l'article 119 al. 1 de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l'intégration (LEI; RS 142.20). Il l'a condamné à une peine privative de liberté de six mois, sous déduction de la détention préventive subie.
B. Par arrêt du 7 février 2020, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise a rejeté l'appel formé par A. à l'encontre du jugement du Tribunal de police. Elle s'est fondée en substance sur les faits suivants.
B.a A., né en 1988 à B., Algérie, pays dont il est originaire, est arrivé en Suisse en 2010, sans avoir déposé de demande d'asile. Il est célibataire, sans enfants. Il n'a pas de profession et n'a pas appris de métier. Il est consommateur d'héroïne.
Une interdiction d'entrée sur le territoire suisse a été prononcée contre A., mesure valable du 24 décembre 2015 au 15 avril 2020, notifiée le 2 juin 2015 et une interdiction dans le centre-ville de la Ville de Genève a été notifiée à A. le 22 mars 2018, valable du 22 mars 2018 au 22 mars 2019. Un plan de secteur visé par l'interdiction, avec la précision "accès au local C. autorisé" est joint à cette dernière. C. est un local d'injections à disposition de personnes toxico-dépendantes.
Par jugement du 4 mai 2018, le Tribunal de police a prononcé l'expulsion de A. pour une durée de cinq ans.
B.b Le 11 décembre 2018, A. a été interpellé à la rue D., 1201 Genève, après avoir été repéré dans les environs du local d'injection C.
B.c Selon l'extrait du casier judiciaire suisse, A. a été condamné à 20 reprises, pour des infractions diverses, depuis le 25 mars 2010, pour la dernière fois par ordonnance pénale du ministère public du 1 er décembre 2018, à une peine privative de liberté de 180 jours, ainsi qu'à une amende de 300 francs, pour rupture de ban, délit et contravention contre la loi sur les stupéfiants.
C. A. forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Il conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt attaqué et à son acquittement de l'infraction à l'art. 119 LEI. Il sollicite en outre l'octroi de l'assistance judiciaire.
 
Extrait des considérants:
2.1 Il y a concours imparfait de lois lorsque, comme dans le cas de la spécialité, la définition légale d'une disposition spéciale renferme en elle-même tous les éléments constitutifs d'une disposition générale ou lorsque, comme dans le cas de l'absorption, l'une des deux dispositions considérées embrasse l'autre, sinon dans tous ses éléments constitutifs à tout le moins dans ses éléments essentiels que sont la culpabilité et l'illicéité, de telle sorte que cette disposition absorbe l'autre ( ATF 147 IV 225 consid. 1.7 p. 230; ATF 135 IV 152 consid. 2.1.2 p. 154). En présence d'un concours imparfait entre deux infractions, l'auteur, alors qu'il en a réalisé l'entier des conditions objectives et subjectives, n'est simplement condamné que pour l'une d'elles soit, en cas d'absorption, que pour l'infraction absorbante. Les règles en matière de fixation de la peine en cas de concours, prévues par l'art. 49 CP, ne lui sont alors pas opposables (cf. arrêt 6B_1216/2017 du 11 juin 2018 consid. 1.3.1).
Il s'agit dès lors de savoir si l'art. 291 CP doit être considéré comme une règle spéciale par rapport à l'art. 119 LEI, respectivement comme une disposition qui l'absorbe, de sorte que l'on se trouve en présence d'un concours improprement dit. Il convient, pour cela, de déterminer si, d'après son sens et son texte, l'art. 291 CP vise, sous tous leurs aspects, les actes dont le recourant s'est rendu coupable.
 
Erwägung 2.2
2.2.1 Selon l'art. 291 CP, celui qui aura contrevenu à une décision d'expulsion du territoire de la Confédération ou d'un canton prononcée par une autorité compétente sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire. La rupture de ban suppose la réunion de trois conditions: une décision d'expulsion, la transgression de celle-ci et l'intention. L'infraction est consommée si l'auteur reste en Suisse après l'entrée en force de la décision, alors qu'il a le devoir de partir ou s'il y entre pendant la durée de validité de l'expulsion ( ATF 147 IV 232 consid. 1.1 p. 234 et les références). La rupture de ban est un délit continu qui est réalisé aussi longtemps que dure le séjour illicite ( ATF 147 IV 232 précité consid. 1.1 p. 234; ATF 135 IV 6 consid. 3.2 p. 9).
La rupture de ban constitue un délit contre l'autorité publique (titre quinzième du CP; cf. ATF 147 IV 232 précité consid. 1.6 p. 238 et les références). Elle vise à garantir l'exécution des décisions d'expulsion prises par les autorités judiciaires ou administratives (MICHEL DUPUIS ET AL., Code pénal, Petit commentaire, 2e éd. 2017, n° 2 ad art. 291 CP). Par l'art. 291 CP, on veut assurer l'efficacité de l'expulsion, sorte de disposition spéciale par rapport à l'art. 292 CP (FREYTAG/BÜRGIN, in Basler Kommentar, Strafrecht, vol. II, 4e éd. 2019, nos 13 et 45 ad art. 291 CP).
L'art. 115 al. 1 let. a et b LEI, qui réprime de manière générale le fait d'entrer ou de résider en Suisse illégalement, revêt un caractère subsidiaire par rapport à la rupture de ban, qui sanctionne la transgression d'une décision d'expulsion, judiciaire ou administrative, par le fait d'entrer ou de rester en Suisse au mépris d'une telle décision ( ATF 147 IV 232 précité consid. 1.1 p. 234 et les références; ATF 104 IV 186 consid 5b p. 191; ATF 100 IV 244 consid. 1 p. 245 s.). L'art. 291 CP n'est ainsi applicable qu'à celui qui contrevient à une expulsion, ce qui n'est notamment pas le cas si l'auteur a fait l'objet d'un refoulement, d'un renvoi, d'une interdiction d'entrée ou du non-renouvellement d'une autorisation de séjour. A défaut de contrevenir à une expulsion, c'est l'art. 115 LEI qui s'applique ( ATF 147 IV 232 précité consid. 1.1 p. 234 et les références). Il est admis en doctrine que le comportement réprimé par l'art. 115 al. 1 (let. a et b) LEI consistant à entrer ou rester en Suisse en violation d'une règle administrative est identique à celui réprimé par l'art. 291 CP. Ainsi, celui qui commet une rupture de ban en demeurant en Suisse malgré une décision d'expulsion, réalise également les éléments constitutifs du séjour illégal au sens de l'art. 115 al. 1 let. b LEI, disposition qui a un caractère subsidiaire par rapport à l'art. 291 CP ( ATF 147 IV 232 précité consid. 1.1 p. 234 et les références).
2.2.2 Selon l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée dans les cas suivants: l'étranger n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a); l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire (let. b); l'exécution du renvoi ou de l'expulsion a été reportée (let. c).
Selon l'art. 119 al. 1 LEI, quiconque enfreint une assignation à un lieu de résidence ou une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 74 LEI) s'expose à une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.
Il convient de distinguer la violation d'une interdiction de périmètre prononcée en lien avec la mise en oeuvre du renvoi (art. 119 cum art. 74 al. 1 let. b et c LEI) de celle prononcée en raison du comportement de l'intéressé troublant ou menaçant la sécurité et l'ordre publics (art. 119 cum art. 74 al. 1 let. a LEI). En effet, la violation d'une interdiction de périmètre (art. 119 al. 1 LEI) prononcée en vertu de l'art. 74 al. 1 let. a LEI a pour but de maintenir l'intéressé éloigné d'une région déterminée, en particulier d'un lieu de trafic de drogue. En revanche, lorsqu'une interdiction de périmètre est prononcée en lien avec la mise en oeuvre du renvoi ou de l'expulsion (cf. art. 74 al. 1 let. b LEI), son non-respect s'apparente à la transgression d'une décision d'expulsion au sens de l'art. 291 CP ( ATF 147 IV 232 précité consid. 1.7 p. 239 et les références; cf. ATF 143 IV 264 consid. 2.6.2. p. 269).
Selon ZÜND, il y a concours idéal entre l'art. 115 al. 1 let. b LEI et la violation d'une interdiction de périmètre fondée sur l'art. 74 al. 1 let. a LEI, puisque les buts poursuivis par ces dispositions ne sont pas les mêmes, la première ayant pour objectif le départ du pays, la seconde, d'éloigner une personne d'un lieu déterminé, comme celui d'un trafic de drogue (ANDREAS ZÜND, in Migrationsrecht, Kommentar, 5e éd. 2019, n° 2 ad art. 119 LEI; en lien avec le but poursuivi par l'art. 74 al. 1 let. a LEI: CHATTON/MERZ, in Code annoté du droit des migrations, Loi sur les étrangers, vol. II, 2017, n° 15 p. 2.2.1 let. a et n° 44 p. 4 ad art. 74 LEI).
2.3 Selon ce qui précède, l'infraction de violation d'une interdiction de périmètre fondée sur l'art. 74 al. 1 let. a LEI vise à protéger en priorité la sécurité et l'ordre publics, en particulier en matière de stupéfiants, tandis que l'art. 291 CP a pour but de garantir l'exécution des décisions d'expulsion prises par les autorités judiciaires ou administratives. Ces deux dispositions ne protègent donc pas le même bien juridique. De surcroît, la définition légale de la rupture de ban ne renferme pas tous les éléments constitutifs de l'art. 119 al. 1 cum art. 74 al. 1 let. a LEI. Comme l'a relevé la cour cantonale, une personne peut parfaitement faire l'objet d'une expulsion sans interdiction de périmètre, ou l'inverse, puisque l'interdiction de périmètre prohibe l'accès à un lieu précis, afin de prévenir la commission d'infractions déterminées, alors que la rupture de ban sanctionne le non-respect d'une décision judiciaire d'expulsion. Il s'ensuit que la rupture de ban ne constitue pas une disposition spéciale ou absorbante par rapport à l'infraction de non-respect d'une interdiction géographique prononcée en raison du comportement de l'intéressé troublant ou menaçant la sécurité et l'ordre publics.
En définitive, il y a lieu de retenir que la rupture de ban de l'art. 291 CP entre en concours parfait avec l'art. 119 LEI lorsque l'interdiction de périmètre est fondée sur l'art. 74 al. 1 let. a LEI.
2.4 En l'espèce, le recourant a continué de séjourner en Suisse alors que son expulsion du territoire avait été prononcée par le tribunal de police le 4 mai 2018 pour une durée de cinq ans. Par ailleurs, une interdiction d'entrée dans la région du centre-ville lui avait été notifiée le 22 mars 2018 pour une durée d'un an. Il ressort de l'arrêt entrepris que cette interdiction se fonde sur le comportement de l'intimé troublant ou menaçant la sécurité et l'ordre publics dans le canton de Genève, notamment dans le centre-ville de Genève. Cette mesure trouvait ainsi appui sur l'art. 74 al. 1 let. a LEI. En conséquence, l'infraction à l'art. 119 LEI découle ici de la violation d'une interdiction ayant pour but la protection de la sécurité et de l'ordre publics, et non de la mise en oeuvre de l'expulsion.
ll s'ensuit que le recourant pouvait être condamné pour rupture de ban (art. 291 CP) et pour non-respect d'une interdiction géographique selon l'art. 119 LEI, les deux infractions entrant en concours parfait au sens de l'art. 49 CP.