BGE 147 IV 402
 
41. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause A. contre Ministère public et Tribunal des mesures de contrainte de la République et canton de Genève (recours en matière pénale)
 
1B_638/2020 du 4 juin 2021
 
Regeste
Art. 278 Abs. 2, Art. 281 Abs. 3 lit. a StPO; Art. 10 Abs. 2 und Art. 13 BV; Bedingungen für die Verwendung von Zufallsfunden aus technischen Überwachungsmassnahmen, die im Besuchszimmer einer Strafanstalt durchgeführt wurden.
 
Sachverhalt
A. Plusieurs individus ont commis, le 2 janvier 2016, un brigandage à main armée dans les locaux d'une société de surveillance; des armes à feu et des cartouches ont notamment été dérobées. Dans ce cadre, les soupçons de la police se sont portés sur la fratrie E.; deux d'entre eux, A.E. et B.E. ont été appréhendés le 4 décembre 2017. Au cours de l'instruction A.E. a précisé qu'un dénommé A., ressortissant français, savait où les armes se trouvaient. Les perquisitions menées en France, notamment au domicile de A., les 4 décembre 2017 et 8 février 2018 n'ont pas permis de retrouver les objets dérobés.
En février 2018, une procédure pénale parallèle a été ouverte contre A. pour infractions à l'art. 33 de la loi fédérale du 20 juin 1997 sur les armes, les accessoires d'armes et les munitions (LArm; RS 514.54) et "140 CP" pour avoir "réceptionné tout ou une partie du butin du brigandage" de 2016. Entendu par la police le 8 février 2018, A. a contesté toute implication dans ce brigandage, respectivement toute connaissance du lieu où se trouveraient les armes. A. n'a pas été placé en détention.
Suspectant C.E., D.E. - mère et soeur de A.E. et B.E. -, ainsi que F. - leur cousine - d'avoir notamment entravé l'action pénale (art. 305 CP), le Ministère public de la République et canton de Genève a ordonné l'écoute et l'enregistrement des conversations aux parloirs de la prison de Champ-Dollon, entre les premières et A.E ainsi que B.E. Ces surveillances - autorisées et prolongées par le Tribunal des mesures de contrainte (Tmc) - ont eu lieu entre le 30 mars 2018 et fin mai 2019. Selon les comptes-rendus de la police, différentes conversations mettant en cause A. ont été enregistrées lors de cette surveillance. Sur requêtes du Ministère public, le Tmc a autorisé, le 20 juillet 2018, l'exploitation de ces découverts fortuites.
B. Le 10 octobre 2019, le Ministère public a informé les parties de l'existence de la mesure d'écoute et d'enregistrement des conversations aux parloirs et des autorisations reçues du Tmc pour exploiter les découvertes fortuites en découlant.
Par arrêt du 7 février 2020, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Chambre pénale de recours) a partiellement admis, dans la mesure de sa recevabilité, le recours formé par A. contre ces mesures. Elle a notamment considéré que le recours tendant à contester les mesures ordonnées à l'encontre de tiers à l'origine des découvertes fortuites concernant A. était irrecevable et a confirmé, formellement et matériellement, l'exploitation des découvertes fortuites en lien avec le braquage de 2016 à l'encontre de A.
Le 7 septembre 2020 (cause 1B_133/2020), le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours, dans la mesure où il était recevable, formé par A. contre cet arrêt et l'a annulé dans le sens où l'autorité précédente n'était pas entrée en matière sur les griefs soulevés dans le recours cantonal en lien avec l'art. 281 al. 3 let. a CPP, condition matérielle permettant, le cas échéant, l'autorisation d'exploiter des découvertes fortuites (cf. arrêt 1B_133/2020 consid. 2.2; voir également 1B_638/2020 consid. 4, non publié dans la présente cause); la cause a été renvoyée à l'autorité précédente.
C. Le 12 novembre 2020, la Chambre pénale de recours a partiellement admis, dans la mesure de sa recevabilité, le recours formé par A. Elle a en particulier constaté la licéité formelle et matérielle de la mesure de surveillance en lien avec le brigandage de 2016.
D. Par acte du 14 décembre 2020, A. forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt, concluant à son annulation en raison en substance de l'illicéité de la mesure de surveillance et de l'absence de réalisation des conditions permettant l'exploitation de découvertes fortuites.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
(résumé)
 
Extrait des considérants:
Selon cette disposition, les informations concernant une infraction dont l'auteur soupçonné ne figure pas dans l'ordre de surveillance peuvent être utilisées lorsque les conditions requises pour une surveillance de cette personne sont remplies. Dans les cas visés par l'art. 278 al. 1, 1bis et 2 CPP, le ministère public ordonne immédiatement la surveillance et engage la procédure d'autorisation (art. 278 al. 3 CPP). Les documents et enregistrements qui ne peuvent être utilisés au titre de découvertes fortuites doivent être conservés séparément et détruits immédiatement après la clôture de la procédure (art. 278 al. 4 CPP).
(...)
5.1.1 Selon la jurisprudence, la surveillance par des dispositifs techniques au sens de l'art. 280 CPP - notamment aux fins prévues par les lettres a et b - entraîne une atteinte à la sphère privée plus intrusive qu'en matière de surveillance de la correspondance par poste et télécommunication vu la méthode utilisée, à savoir l'installation d'un appareil d'écoute/d'enregistrement/de localisation à l'insu de la personne concernée qui ne peut dès lors en principe pas supposer que ses conversations à ces endroits seront écoutées/enregistrées ou ses déplacements localisés ( ATF 144 IV 370 consid. 2.3 p. 375 s.; voir également SCHMID/JOSITSCH, Handbuch des Schweizerischen Strafprozessrechts [ci-après: Handbuch], 3e éd. 2017, n. 1168 p. 514). Le Tribunal fédéral a également eu l'occasion de rappeler qu'il est inadmissible de poser un mouchard dans une cellule ou d'installer de manière secrète d'autres moyens d'écoute et/ou d'enregistrement en particulier dans les salles de visite ou dans d'autres espaces où le détenu peut rencontrer son défenseur ( ATF 144 IV 23 consid. 4.2 p. 26); il n'était en revanche pas contraire à l'art. 140 CPP d'enregistrer les conversations téléphoniques d'un prévenu détenu lorsque celui-ci utilise un téléphone portable obtenu de manière illicite, soit en violation des règles connues prévalant en la matière dans l'établissement de détention où il se trouvait ( ATF 144 IV 23 consid. 4.3 p. 27).
En se référant au Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale (ci-après: Message CPP-2005; FF 2006 1057, 1234 avec référence à PETER GOLDSCHMID, Der Einsatz technischer Überwachungsgeräte im Strafprozess, 2001, ad 3/b/aa p. 37 ss), la doctrine expose que la restriction de surveillance prévalant pour les prévenus détenus résulte de la protection nécessaire à accorder au noyau des droits fondamentaux du détenu, dont sa liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.), sa sphère privée (art. 13 al. 1 Cst.), ainsi que son droit de ne pas s'auto-incriminer (NIKLAUS OBERHOLZER, Grundzüge des Straprozessrechts, 4e éd. 2020, n. 1624 p. 500 s.; HANSJAKOB/PAJAROLA, in Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO], Donatsch/Lieber/Summers/Wohlers [éd.], 3e éd. 2020, n° 7 ad art. 281 CPP; SYLVAIN MÉTILLE, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd. 2019, n° 7 ad art. 281 CPP; SCHMID/JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung [StPO], Praxiskommentar [ci-après: Praxiskommentar], 3e éd. 2018, n° 3 ad art. 281 CPP; SCHMID/JOSITSCH, Handbuch, op. cit., note de bas de page n. 563 p. 515; MOREILLON/PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, 2e éd. 2016, n° 8 ad art. 281 CPP; EUGSTER/KATZENSTEIN, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, vol. II, 2e éd. 2014, n° 10 ad art. 281 CPP; FRANZ RICKLIN, StPO Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung mit JStPO, StBOG und weiteren Erlassen, 2e éd. 2014, n° 2 ad art. 281 CPP).
A lire le Message CPP-2005 dans sa version en allemand, l'interdiction d'enregistrement est limitée à la seule cellule du prévenu (cf. BBl 2006 1085, 1252 ad art. 280["Auf Grund von Buchstabe a wäre es unzulässig, die Vorgänge in der Zelle einer Person in Untersuchungshaft zu beobachten und aufzuzeichnen, um die Ergebnisse zu Beweiszwecken zu verwenden"]). Cette circonscription à la seule cellule du détenu ne se retrouve cependant pas dans les versions française (FF 2006 1057, 1234) et italienne (FF 2006 989, 1155) du Message CPP-2005. Une telle restriction - quant à l'endroit où l'enregistrement a lieu - est en outre contraire au texte de la loi qui parle - sans autre précision - "d'un prévenu en détention".
5.1.2 Dès lors que les détenus concernés par le cas d'espèce se trouvent en détention provisoire, il n'y a pas lieu de déterminer si la protection conférée par l'art. 281 al. 3 let. a CPP s'étend à tous les types de privation de liberté, notamment l'exécution de peine (sur cette problématique voir par exemple HANSJAKOB/PAJAROLA, op. cit., n° 7 ad art. 281 CPP; SCHMID/JOSITSCH, Praxiskommentar, op. cit., n° 4 ad art. 281 CPP; JEANNERET/KUHN, Précis de procédure pénale, 2e éd. 2018, n. 14112 p. 416; SCHMID/JOSITSCH, Handbuch, op. cit., n. 1169 p. 514; EUGSTER/KATZENSTEIN, op. cit., n° 12 ad art. 281 CPP).
La restriction voulue par le législateur vise avant tout à protéger la sphère privée du prévenu placé en détention. Sauf à lui refuser toute visite, un détenu - privé de sa liberté de mouvement - peut en effet difficilement se soustraire aux mesures secrètes qui seraient mises en oeuvre dans un établissement pénitentiaire et ne pourrait ainsi avoir de conversations confidentielles, notamment au parloir avec ses visiteurs (HANSJAKOB/PAJAROLA, op. cit., n° 7 ad art. 281 CPP). Dès lors, au vu de la lettre de la loi, du contenu des Messages en langues française et italienne, ainsi que de l'avis exprimé par la doctrine, le détenu peut en principe bénéficier de cette protection pour les déclarations qu'il pourrait faire au parloir. Il n'y a cependant pas lieu d'examiner de manière plus approfondie cette question. En effet, la surveillance secrète n'était pas ici dirigée contre des détenus et la présente cause ne tend pas à examiner une autorisation d'exploitation de découvertes fortuites à leur encontre.
5.1.3 En l'occurrence, la protection de la sphère privée s'impose avant tout en raison de la restriction à la liberté de mouvement qui découle du placement en détention. Elle ne saurait par conséquent s'étendre aux visiteurs du prévenu détenu. En effet, une personne prévenue qui se trouve en liberté peut faire l'objet d'une mesure de surveillance par le biais d'un moyen technique indépendamment de l'atteinte à la sphère privée que cela constitue (cf. art. 280 s. CPP). Sous réserve d'éventuelles limitations de contacts ou de périmètre, cette personne reste généralement libre de se déplacer, n'ayant ainsi en particulier aucune obligation de se rendre ou de rester à l'endroit où pourrait être installée la mesure secrète. Il peut ainsi arriver que le lieu le plus efficace pour surveiller un tel prévenu soit le parloir d'une prison. Au regard de l'importance de l'intérêt public à la recherche de la vérité, rien ne justifie alors de renoncer à mettre en oeuvre à cet endroit une mesure secrète à l'encontre d'un tel prévenu qui se trouve en liberté.
Par conséquent, si la mesure d'enregistrement par des moyens techniques au parloir de la prison de Champ-Dollon avait immédiatement visé le recourant - qui est un prévenu non détenu et libre de ses déplacements -, elle n'aurait pas violé les conditions d'application de l'art. 281 al. 3 let. a CPP.