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13. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Béglé contre Conseil d'Etat du canton de Vaud (recours en matière de droit public) |
1C_338/2018 du 10 avril 2019 | |
Regeste |
Eidgenössische Volksabstimmung vom Februar 2016 über die Volksinitiative "Für Ehe und Familie - gegen die Heiratsstrafe", Informationslage im Vorfeld der Abstimmung, nachträglich entdeckte krasse Unregelmässigkeiten, Auswirkung auf das Abstimmungsergebnis; Art. 5, 29, 29a, 34, 182 und 189 BV, Art. 10a, 11, 15 und 77 ff. BPR, Art. 82, 88, 89 und 100 BGG. |
Anforderungen an die Erläuterungen gegenüber den Stimmberechtigten, namentlich Grundsätze der Objektivität und Transparenz (E. 2). |
Falsche und lückenhafte Informationen, die vor der streitigen Abstimmung abgegeben wurden (E. 3.1-3.3); Verletzung der Abstimmungsfreiheit (Art. 34 Abs. 2 BV) (E. 3.4). |
Voraussetzungen für die Aufhebung einer Volksabstimmung bei nachträglich bekannt gewordenen Unregelmässigkeiten (E. 4.1); Auswirkung der Aufhebung einer eidgenössischen Volksabstimmung auf den Erwahrungsbeschluss des Bundesrats (E. 4.2); Aufhebung der streitigen eidgenössischen Volksabstimmung, weil die Unregelmässigkeiten krass sind, das Abstimmungsergebnis knapp ausfiel und die Rechtssicherheit gewahrt ist (E. 4.3). | |
Sachverhalt | |
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Art. 14 al. 2 (nouveau)
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2 Le mariage est l'union durable et réglementée par la loi d'un homme et d'une femme. Au point de vue fiscal, le mariage constitue une communauté économique. Il ne peut pas être pénalisé par rapport à d'autres modes de vie, notamment en matière d'impôts et d'assurances sociales.
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Il ressortait des explications du Conseil fédéral - que les citoyens avaient reçues avant la votation - que "environ 80'000 couples mariés à deux revenus et de nombreux retraités mariés continuent de subir, en matière d'impôt fédéral direct, une charge supplémentaire (d'où le terme de "pénalisation du mariage") jugée contraire à la Constitution"; les baisses de recettes pour la Confédération étaient chiffrées à environ 1,2 milliard de francs par an (si le modèle d'imposition était le calcul alternatif d'impôt) et entre 1,2 et 2,3 milliards de francs par an (si le modèle d'imposition était le splitting). Le Conseil fédéral recommandait de rejeter l'initiative.
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Par arrêté du 19 avril 2016, le Conseil fédéral a constaté que l'initiative populaire avait été rejetée par 50,8 % des votants (par 1'664'224 non contre 1'609'152 oui) et acceptée par les cantons (par 15 3/2 oui contre 5 3/2 non). L'initiative avait ainsi été rejetée (FF 2016 3557).
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Dans un communiqué de presse daté du 15 juin 2018, intitulé "Pénalisation du mariage: rectification d'une erreur dans l'estimation du nombre des couples mariés à deux revenus", le Conseil fédéral a informé que le nombre des couples mariés à deux revenus concernés par la pénalisation fiscale du mariage était nettement plus élevé que ce qu'avait estimé l'Administration fédérale des contributions (AFC); selon les estimations corrigées, quelque 454'000 couples mariés à deux revenus étaient concernés par la pénalisation fiscale du mariage; l'AFC avait estimé ce nombre à environ 80'000, mais n'avait pas tenu compte des couples mariés à deux revenus avec enfants; l'estimation du nombre des couples de rentiers mariés concernés par cette pénalisation restait valable (quelque 250'000 couples); au total, c'étaient donc environ 704'000 couples mariés qui étaient pénalisés sur le plan fiscal; s'agissant de l'estimation des conséquences financières du projet de réforme du Conseil fédéral, les couples mariés à deux revenus avec enfants avaient été pris en compte; cette estimation était donc correcte (diminution annuelle des recettes fiscales de l'ordre de 1,15 milliard de francs). Le porte-parole de l'Administration fédérale ![]() | 6 |
B. Le 18 juin 2018, Claude Béglé, citoyen vaudois, a formé un recours en matière de droits politiques auprès du Conseil d'Etat du canton de Vaud (ci-après: le Conseil d'Etat) contre la votation fédérale susmentionnée. Il s'est plaint d'une violation de la liberté de vote (art. 34 al. 2 Cst.) au motif que le chiffre erroné de 80'000 couples à deux revenus avait induit en erreur les citoyens. Il a demandé l'annulation de la votation fédérale. Par décision du 27 juin 2018, le Conseil d'Etat a déclaré le recours irrecevable. Il a considéré en substance que les griefs soulevés avaient une portée supracantonale, de sorte qu'il n'était pas compétent pour en connaître.
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C. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, Claude Béglé demande principalement au Tribunal fédéral d'annuler la décision du Conseil d'Etat vaudois du 27 juin 2018, d'annuler la votation fédérale du 28 février 2016 portant sur l'initiative précitée et de la renvoyer au vote dans tous les cantons, subsidiairement dans le canton de Vaud uniquement. A titre subsidiaire, il conclut à la constatation que la votation fédérale litigieuse a été entachée d'irrégularités au sens de l'art. 77 de la loi fédérale du 17 décembre 1976 sur les droits politiques (LDP; RS 161.1) et de la jurisprudence du Tribunal fédéral. Encore plus subsidiairement, il requiert la constatation que ses droits politiques ont été violés lors de la votation litigieuse.
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Invité à se déterminer, le Conseil d'Etat s'en remet à justice. Le Conseil fédéral conclut à l'irrecevabilité du recours, éventuellement à son rejet dans la mesure de sa recevabilité. Le recourant a répliqué. Le Conseil fédéral a dupliqué, par courrier du 30 novembre 2018.
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D. Le Tribunal fédéral a rendu son jugement en séance publique le 10 avril 2019.
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Extrait des considérants: | |
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1.1 La loi fédérale du 17 décembre 1976 sur les droits politiques (LDP; RS 161.1) ne prévoit pas de voie de droit permettant de faire valoir des irrégularités connues seulement après une votation fédérale. D'après la jurisprudence, un droit à un contrôle de la régularité ![]() | 12 |
Le Tribunal fédéral est compétent, en dernière instance, pour connaître des recours dans lesquels la conformité d'une votation fédérale à la Constitution et à la législation fédérale est mise en cause en raison d'irrégularités graves découvertes ultérieurement (art. 189 al. 1 let. f Cst.; ATF 138 I 61 consid. 4.4 p. 75). Dans un tel cas, la procédure de révision des art. 121 ss LTF n'est pas pertinente car aucun recours n'a été exercé lors de la votation fédérale auprès des gouvernements cantonaux. Il se justifie en revanche d'appliquer par analogie les dispositions de procédure de la loi fédérale sur les droits politiques. Ainsi, la procédure doit en principe être introduite auprès du gouvernement cantonal compétent (ATF 138 I 61 consid. 4.6 p. 77). Cela vaut aussi par analogie pour le recours touchant les votations selon l'art. 77 al. 1 LDP lorsque les conclusions présentées ou les faits contestés dépassent la compétence du gouvernement cantonal. Tel est notamment le cas lorsque l'annulation d'une votation fédérale est demandée ou lorsque les interventions dans la campagne précédant la votation sont contestées et qu'elles dépassent le cadre d'un canton. Dans de tels cas, le gouvernement cantonal doit rendre une décision formelle d'irrecevabilité (cf. ATF 137 II 177 consid. 1.2.3 p. 180 s.). Un recours au Tribunal fédéral peut ensuite être interjeté à l'encontre d'une décision du gouvernement cantonal de rejeter un recours déposé au motif d'une irrégularité grave connue après la votation ou de refuser d'entrer en matière (art. 80 al. 1 LDP en lien avec art. 82 let. c et art. 88 al. 1 let. b LTF). Aux termes de l'art. 82 let. c LTF, le Tribunal fédéral connaît en effet des recours qui concernent les votations populaires, en particulier en matière fédérale contre les décisions des gouvernements cantonaux (art. 88 al. 1 let. b LTF). Le recourant peut alors aussi soulever des questions déjà abordées sur le plan cantonal, que le gouvernement cantonal n'a pas pu traiter faute de compétence. Cela vaut aussi lorsque le recourant n'a jusqu'alors jamais pris de conclusions formelles à leur sujet (ATF 137 II 177 consid. 1.2.3 p. 180 s.; arrêt 1C_63/2015 du 24 août 2015 consid. 2.2).
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Dans ses déterminations, le Conseil fédéral soutient que le recourant ne se fonde pas sur des faux nova admissibles, mais sur des vrais nova lorsqu'il tient compte de la nouvelle estimation des couples mariés à deux revenus; la nouvelle estimation résulterait d'une nouvelle méthode d'évaluation qui ne devrait pas conduire à la remise en question des décisions antérieures prises sur la base des anciennes évaluations; en d'autres termes, la nouvelle méthode et les chiffres qui en résultent seraient nouveaux car la méthode modifiée n'avait pas encore été utilisée avant la votation.
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1.5 Enfin, en vertu de l'art. 189 al. 4 Cst., les actes de l'Assemblée fédérale et du Conseil fédéral ne peuvent pas être portés devant le Tribunal fédéral, sauf si une loi fédérale le prévoit. Le législateur fédéral n'a pas prévu de moyen de droit contre les actes de l'Assemblée fédérale et du Conseil fédéral en lien avec les votations et les élections fédérales (ATF 138 I 61 consid. 7.1 p. 85). Les explications du Conseil fédéral relatives à la votation ainsi que le message explicatif adressé aux Chambres fédérales ne sont par conséquent pas attaquables en tant que tels. Il en va de même des déclarations individuelles des Conseillers fédéraux, tant que celles-ci correspondent au contenu du message explicatif (ATF 145 I 1 consid. 5.1.1 p. 7 et les arrêts cités). Indépendamment de ces exclusions d'ordre procédural, l'état d'information global prévalant au moment d'une votation populaire peut en revanche faire l'objet d'une contestation. Il y a lieu en effet d'examiner si les électeurs étaient objectivement capables de se former une opinion suffisamment concrète et sûre en fonction des informations données par les différents acteurs politiques et les médias. Il faut ainsi prendre en considération l'ensemble des informations mises à disposition des électeurs. Dans ce contexte, ![]() | 19 |
En l'occurrence, le recourant fait notamment valoir que le Conseil fédéral a donné une fausse information au corps électoral en se fondant sur des données, dont seule l'administration fédérale disposait. Il souligne que cette information a été relayée dans de nombreux médias et dans l'argumentaire de deux partis politiques. Il ne s'agit pas d'informations qui auraient pu être discutées et mises en cause dans le débat public précédant la votation (cf. arrêt 1C_455/2016 du 14 décembre 2016 consid. 2.4, non publié in ATF 143 I 78). Le grief du recourant est par conséquent recevable. L'art. 189 al. 4 Cst. ne s'oppose ainsi pas à l'entrée en matière sur le recours.
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Le recourant déduit ensuite du communiqué de presse du Conseil fédéral du 15 juin 2018 qu'en réalité 66 % des couples mariés à deux revenus étaient concernés par l'initiative (374'000 couples mariés à deux revenus en plus de ce qui avait été annoncé) et que la majorité (52,29 %) des couples suisses (y compris les couples à un seul revenu) était touchée. Il ajoute que la correction du chiffre représente ![]() | 23 |
Le recourant souligne aussi que le chiffre de 80'000 a été abondamment relayé dans différents documents officiels, lors des débats parlementaires, dans de nombreux journaux, à la radio et à la télévision ainsi que dans l'argumentaire de partis politiques; compte tenu de l'importance donnée au chiffre erroné de 80'000 couples mariés dans le cadre de la campagne précédant la votation en question, l'impact de l'irrégularité sur le résultat de la votation ne peut être que significatif.
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En définitive, le recourant soutient que la double erreur (nombre de couples visés et rapport entre le coût et l'impact sur la population) constitue une violation de l'art. 34 al. 2 Cst., qui a très vraisemblablement eu une incidence sur l'issue du scrutin, compte tenu du faible écart final (50,8 % contre 49,2 %) et du fait que l'initiative a été acceptée par la grande majorité des cantons.
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A teneur de l'art. 11 al. 2 LDP, le texte soumis à la votation est accompagné de brèves explications du Conseil fédéral, qui doivent rester objectives. Le Conseil fédéral est tenu de respecter les principes de l'exhaustivité, de l'objectivité, de la transparence et de la proportionnalité lorsqu'il informe les citoyens sur les objets soumis à votation fédérale (art. 10a al. 2 LDP). Cette dernière disposition législative, entrée en vigueur le 15 janvier 2009, a été introduite comme contre-projet indirect à l'initiative populaire fédérale intitulée "Souveraineté du peuple sans propagande gouvernementale" visant notamment à interdire au Conseil fédéral, aux cadres supérieurs de l'administration fédérale et aux offices de la Confédération toute activité d'information et de propagande, notamment toute intervention dans ![]() | 27 |
Selon la jurisprudence, le résultat d'une votation est faussé lorsque les citoyens ont été informés de manière erronée sur le but et la portée du projet soumis au vote. Il est interdit de passer sous silence des éléments importants pour la décision du citoyen ou de reproduire de manière inexacte les arguments des adversaires du référendum ou de l'initiative (cf. ATF 139 I 2 consid. 6.2 p. 13 s. et les références citées; ATF 138 I 61 consid. 6.2 p. 82).
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Le principe de la transparence exige par ailleurs que s'il existe des incertitudes significatives lors de l'évaluation de la situation de départ, celles-ci soient clairement présentées comme telles (rapport de la Commission des institutions politiques du Conseil national du 15 septembre 2006 précité, FF 2006 8779, 8791; cf. arrêt 1C_385/2012 du 17 décembre 2012 consid. 2.5 et les références in ZBl 2013 p. 524, où il est essentiel que les citoyens, se fondant sur les données se trouvant à leur disposition, puissent reconnaître l'absence de fiabilité des prévisions et des chiffres; cf. aussi ATF 138 I 61 consid. 8.6 p. 92 ss.; voir aussi arrêt 1P.280/1999 du 7 décembre 1999, in DEP 2000 p. 142, in RDAF 2001 I p. 513 où les informations précédant le vote avaient exposé certains pronostics quant au trafic aérien, pronostics qui se sont révélés par la suite largement insuffisants).
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Ces principes constitutionnels valent d'autant plus pour les explications du Conseil fédéral avant une votation qu'ils sont désormais expressément prévus par la LDP (cf. ATF 138 I 61 consid. 6.3 p. 84 et les références).
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2.2 Dans ses déterminations, le Conseil fédéral explique que le communiqué de presse du 15 juin 2018 était en lien avec la discussion du projet de modification de la loi fédérale du 21 mars 2018 sur l'impôt fédéral direct présenté dans le message (Message du 21 mars 2018 relatif à la modification de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct [Imposition équilibrée des couples et de la famille], FF 2018 2173); ![]() | 31 |
Le Conseil fédéral soutient que la différence entre le nombre de couples mariés avec deux revenus selon le message explicatif pour la votation du 28 février 2016 (80'000) et le nombre mentionné dans le communiqué de presse précité (454'000) résulte de deux circonstances. D'une part, une actualisation des chiffres avait eu lieu en juin 2018 à la suite de nouvelles données statistiques; en raison de l'augmentation tant du nombre de contribuables et de couples mariés à deux revenus que des revenus eux-mêmes, le nombre de couples mariés à deux revenus concernés était plus élevé; le chiffre de 80'000 se fondait sur une statistique datant de 2001. D'autre part, la méthode d'estimation du nombre de couples mariés concernés avait changé en lien avec le Message du 21 mars 2018. Le Conseil fédéral décrit en détail les deux méthodes d'évaluation. Il fait valoir qu'avec le changement de méthode un nouveau point de référence pour la comparaison des charges de couples mariés avec enfants a été défini.
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Le Conseil fédéral explique ensuite pourquoi, malgré cette différence de chiffres, il n'y a pas eu d'influence inadmissible dans la formation de la volonté des citoyens. Il fait remarquer que la Confédération ne dispose pas directement de données statistiques au sujet des couples mariés à deux revenus parce que l'impôt fédéral direct est prélevé par les cantons; les chiffres communiqués n'étaient donc que des estimations; la Confédération récoltait cependant auprès des cantons des données statistiques relatives à l'impôt fédéral direct, desquelles il résultait des informations ponctuelles portant sur les relations personnelles du contribuable et sa situation économique; la limitation de la statistique fiscale tenait à l'absence d'information concernant les revenus et les déductions de chaque époux (il était donc impossible de connaître la répartition des revenus au sein du couple) et au manque d'information sur le nombre d'enfants (enfants communs ou non communs).
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Dans sa réplique du 30 novembre 2018, le Conseil fédéral produit deux rapports de l'Administration fédérale des contributions (AFC) avec des données détaillées sur l'ancienne et la nouvelle méthode ![]() | 34 |
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Le recourant souligne encore que la mise en place par le Conseil fédéral d'un examen externe des méthodes d'estimation et du matériel statistique de l'AFC démontrerait que celui-ci a été surpris de ces différences significatives et qu'il entend faire la lumière sur l'origine et les causes des erreurs commises.
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3.2 Deuxièmement, les électeurs n'ont jamais été informés de ce que le chiffre de 80'000 résultait d'une estimation. Dans son Message explicatif, le Conseil fédéral a toujours affirmé (en utilisant l'indicatif présent) que "quelque 80'000 couples mariés à deux revenus et de nombreux couples de retraités mariés doivent s'acquitter d'un impôt fédéral direct plus élevé que les couples non mariés se trouvant dans la même situation économique"; il a assuré que "environ 80'000 couples mariés à deux revenus et de nombreux retraités mariés continuent de subir, en matière d'impôt fédéral direct, une charge supplémentaire [...] jugée contraire à la Constitution". A aucun moment, il n'a dit que le chiffre de 80'000 ne provenait pas de statistiques, mais d'une estimation faite selon une méthode particulière etpeu fiable. Pour garantir la libre formation de l'opinion des citoyens, il aurait fallu mentionner que le chiffre de 80'000 émanait d'une estimation et utiliser le conditionnel pour énoncer le nombre de couples touchés par la pénalisation fiscale du mariage. Ce chiffre a d'ailleurs systématiquement été repris dans les différents communiqués de presse officiels du Conseil fédéral et du Parlement, lors des débats parlementaires et dans les différents médias lors du débat public précédant la votation. Les termes "quelque" et "environ" indiquaient certes que le nombre de 80'000 n'était pas un chiffre exact, mais ils ne pouvaient que signifier, dans l'esprit du public, que ce nombre avait sans doute été arrondi, par exemple, à la dizaine de milliers de couples touchés directement inférieure ou supérieure. Les citoyens ne pouvaient en tout cas pas imaginer, dans l'état d'information ![]() | 40 |
Ce manque de transparence ainsi que l'absence d'indication sur le défaut de fiabilité des données représentent une carence portant sur un élément essentiel dans la formation de l'opinion des électeurs. Cette carence est encore aggravée par le fait que la mention d'un nombre, certes approximatif mais apparemment exact, de "quelque 80'000" couples mariés à deux revenus se lit en parallèle avec la mention, quant à elle non chiffrée, de "nombreux" couples de retraités mariés: cela suscite l'impression que le nombre de couples mariés à deux revenus a, contrairement à celui des couples retraités, pu être établi de manière fiable et exacte.
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Le Conseil fédéral a expliqué qu'une des raisons qui pouvait expliquer la différence de chiffres était le changement de la méthode d'estimation. Cet élément pourrait être pris en compte si, dans le message explicatif, il avait été mentionné que le chiffre de 80'000 résultait d'une méthode d'estimation. Les citoyens n'ayant pas reçu cette information, le changement de méthode d'estimation opéré après coup ne peut justifier l'information erronée qui leur a été donnée. Si, à en croire le Conseil fédéral, une estimation plus précise n'était pas possible, la transparence de l'information aurait exigé qu'il soit renoncé à la mention d'un quelconque nombre concret dans la brochure explicative ou qu'il soit fait mention de l'absence de fiabilité des estimations données, de façon à ce que les électeurs puissent se faire une idée correcte et fiable de la question.
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Au demeurant, les citoyens n'ont jamais été mis au courant de ce que des écarts d'estimation si importants pouvaient exister selon les différentes méthodes utilisées, à savoir entre 80'000 et 454'000 couples mariés à deux revenus touchés.
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3.3 S'y ajoute qu'une partie non négligeable de la différence entre les anciennes et les nouvelles données relatives au nombre de couples mariés à deux revenus concernés ne découle pas de la modification de la méthode d'estimation mais de l'actualisation des données statistiques. Le Conseil fédéral explique à cet égard que le nombre de 80'000 se fondait sur des données datant de l'année 2001, soit quinze ans avant la votation: l'Administration fédérale des contributions aurait estimé que les inconvénients d'une actualisation des données l'emportaient sur ses avantages: une actualisation des données ![]() | 44 |
L'explication du Conseil fédéral ne convainc pas. En effet, la comparaison des différents projets de réformes n'était pas en discussion lors de la votation du 28 février 2016: on ne trouve d'ailleurs aucune mention d'autres projets de réforme dans le Message explicatif du Conseil fédéral. De même, l'argument selon lequel une actualisation du nombre aurait donné la fausse impression que le nombre de couples mariés concernés pouvait être calculé précisément est aussi erroné. Une telle impression aurait facilement pu être évitée par une clarification. Il y a ainsi lieu de retenir que les autorités fédérales savaient que le chiffre de 80'000 n'était plus d'actualité et qu'elles ont renoncé à en informer le corps électoral.
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Dans le second cas, les exigences pour l'annulation d'une votation sont plus élevées. Le principe de la sécurité du droit exige en effet la stabilité de la législation en vigueur (art. 5 Cst.). Suivant les circonstances, le principe de la bonne foi (art. 9 Cst.) et des aspects de l'égalité devant la loi (art. 8 al. 1 Cst.) peuvent aussi s'opposer à l'annulation d'une votation qui a eu lieu depuis un certain temps (ATF 138 I 61 consid. 8.7 p. 94 ss et les références citées). Il s'agit donc de procéder à une pesée globale des intérêts, tenant compte de l'écart des voix, de l'influence possible de la gravité de l'irrégularité sur le résultat du vote (ATF 114 Ia 427 consid. 7a p. 446), de la sécurité du droit et des autres aspects qui s'opposent à une annulation de la votation. Il faut aussi prendre en compte le fait qu'une répétition de la votation ne pourra pas se faire dans les mêmes conditions (ATF 138 I 61 consid. 8.7 p. 95 et la référence citée; cf aussi JOSÉ KRAUSE, Die Rechtsweggarantie [art. 29a BV] im Bereich der politischen Rechte [...], 2017, p. 124).
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Le Tribunal fédéral a annulé à différentes reprises des votations cantonales ou communales. Un recours avait été déposé deux ans après la votation sur le rattachement du Laufonnais au canton de Bâle-Campagne; en 1988, le Tribunal fédéral a annulé la votation en raison de l'intervention du gouvernement bernois dans le financement de la campagne (objet refusé par 56,7 % des voix; ATF 114 Ia 427). En 2006, une votation cantonale dans le canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures a été annulée au motif d'une violation grave du principe de l'unité de la matière de l'objet soumis au vote (objet accepté à 59,6 % des voix; arrêt 1P.223/2006 du 12 septembre 2006, in ZBl ![]() | 50 |
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L'arrêté de validation du scrutin du Conseil fédéral constate seulement la validité de son résultat, alors que le Tribunal fédéral constate la régularité du scrutin, c'est-à-dire sa conformité à la garantie de la libre formation et de l'expression fidèle et sûre de la volonté des citoyens (art. 34 al. 2 Cst.) (voir DUBEY, op. cit, p. 15, qui formule cette distinction sous forme interrogative). Depuis la révision de l'organisation ![]() | 52 |
Si le Tribunal fédéral, saisi d'un recours en raison d'irrégularités découvertes bien après la votation, constate une violation des droits politiques dont il juge qu'elle implique une annulation de la votation, le Conseil fédéral est tenu d'adapter son arrêté de validation d'office au nouvel arrêt du Tribunal fédéral. A défaut, le Conseil fédéral se trouverait en conflit avec le devoir que lui impose l'art. 182 al. 2 Cst. de veiller à la mise en oeuvre des jugements rendus par les autorités judiciaires fédérales (BIAGGINI, op. cit., p. 430).
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4.3 En l'espèce, l'initiative litigieuse a été rejetée à une courte majorité par 50,8 % des votants (1'664'224 non contre 1'609'152 oui). L'écart des voix entre le "oui" et le "non" apparaît ainsi faible. L'initiative en question a de plus été acceptée par une large majorité des ![]() | 54 |
S'agissant de la gravité des irrégularités, l'ampleur de l'erreur doit être prise en considération. La correction a fait en effet passer le nombre de couple mariés à deux revenus touchés par l'initiative en question de 80'000 à 454'000 selon les indications des autorités fédérales. Le nombre initial a ainsi été multiplié par un facteur supérieur à 5.
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Quant à l'influence possible des irrégularités sur la votation, il faut relever que celles-ci ont conduit à deux arguments erronés. D'une part, le chiffre de 80'000 a été utilisé pour faire ressortir le caractère marginal des cas visés par l'initiative par rapport au coût important qu'elle représentait (entre 1,2 et 2,3 milliards de francs par année). D'autre part, l'erreur sur le nombre de couples mariés n'a pas été reprise dans le calcul du coût de la réforme; cela a eu pour effet d'accroître de manière disproportionnée le coût de l'initiative en rapport avec le nombre de personnes touchées. Ces deux éléments ont pu avoir un poids important dans la formation de l'opinion des électeurs.
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Le chiffre de 80'000 - issu des services de l'administration et dont l'absence de fiabilité et d'actualité était connue de celle-ci - a de surcroît été abondamment relayé. Il figure non seulement dans la brochure explicative du Conseil fédéral mais aussi dans le Message du Conseil fédéral du 23 octobre 2013 (FF 2013 7623) et dans différents documents officiels (communications du Conseil fédéral, arguments développés par le Conseil fédéral et le Parlement, publications du Département fédéral des finances en réponse aux arguments du comité d'initiative). Ce chiffre a été repris dans les débats parlementaires par la Conseillère fédérale en charge du Département fédéral des finances (BO 2014 CN 2304) et a servi de référence dans les débats du Conseil national (BO 2014 CN 2273 ss et 2295 ss) et du Conseil des Etats (BO 2015 CE 43 ss). Ce chiffre a aussi été relayé dans de nombreux journaux, à la radio et à la télévision ainsi que dans l'argumentaire de partis politiques.
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Quant à la sécurité du droit, elle a en l'espèce une importance moindre puisque l'initiative en question a été refusée lors de la votation litigieuse. Contrairement au recours formé contre l'acceptation de la deuxième réforme de l'imposition des entreprises - dans lequel le Tribunal fédéral avait pris en compte le fait que la réforme législative était entrée en vigueur, que de nombreuses entreprises avaient pris leurs dispositions en fonction de ce nouveau droit et que les ![]() | 58 |
Le Conseil fédéral souligne encore le fait que la définition étroite du mariage proposée par l'initiative a été l'élément le plus important pour rejeter l'initiative (SCIARINI/FEDDERSEN/LANZ, Analyse de la votation fédérale du 28 février 2016, p. 3, disponible sous: www.gfsbern.ch [consulté le 10 avril 2019]). L'analyse politologique résultant d'un sondage, citée par le Conseil fédéral, précise cependant que si cet argument a été plébiscité par les personnes qui ont rejeté l'initiative, il est aussi soutenu par près de la moitié des personnes qui l'ont acceptée. Il ressort en outre de cette analyse que l'argument selon lequel "il est injuste que les couples mariés soient pénalisés par rapport aux couples non mariés en matière d'impôts et d'assurances sociales", qui était au coeur de l'initiative, est fortement soutenu tant par les votants qui ont accepté l'initiative que par ceux qui l'ont refusée. Le nombre de personnes fiscalement discriminées était ainsi un élément important dans le choix des électeurs. Quoi qu'il en soit, il n'est pas possible de déterminer quel argument a convaincu chaque citoyen de voter en faveur ou en défaveur de l'initiative. Si certains électeurs ont rejeté l'initiative en raison de la définition étroite du mariage, il n'en demeure pas moins que des citoyens ont aussi pu refuser l'initiative parce qu'ils pensaient que seul un petit nombre de couples mariés à deux revenus était concerné. Le Tribunal fédéral ne peut donc prendre en compte de tels éléments résultant d'un sondage pour opérer la pesée des intérêts relative à l'annulation d'une votation.
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Enfin, quoi qu'en dise le Conseil fédéral, le fait que le thème de la discrimination fiscale des couples mariés est toujours d'actualité dans le cadre de la révision en cours de l'imposition du couple et de la famille n'a pas d'incidence dans la présente procédure, tant qu'une telle réforme n'est pas entrée en vigueur (à l'échéance du délai référendaire). De plus, comme le relève le Conseil fédéral, seule une partie de l'initiative populaire litigieuse est concernée par le projet de réforme en cours.
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